Intervention de Dominique Antoine

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes :

Monsieur le Président, Madame la Présidente, je voudrais remercier Mmes et MM. les parlementaires de l'intérêt qu'ils ont manifesté à la prise de connaissance de notre travail. Je voudrais juste faire une remarque de méthode liminaire. Nous ne sommes pas favorables au gouvernement des juges, nous ne dirons pas ce qu'il faut décentraliser ou non. Cette décision est d'opportunité politique. L'institution de la Cour des comptes conserve cette ligne très claire. Nous essayons d'éclairer les choix à faire.

Nous avons peut-être été maladroits dans l'exposé de la recommandation 6 et nous sommes disposés à reprendre les explications, mais nous n'avons pas de préférence entre telle ou telle alternative présentée. Nous essayons de livrer un seul message et je le dis avec le soutien explicite du Premier président Didier Migaud, avec lequel nous avons échangé sur cette question. Mesdames et Messieurs les politiques, vous décentralisez ou non, mais nous vous recommandons d'être cohérents. Si vous décentralisez, décentralisez vraiment. Si vous ne décentralisez pas, tirez-en également les conséquences. Le FEADER est l'exemple type d'une situation délicate, parce que l'alternative n'a pas véritablement été tranchée. Les experts de la Cour des comptes, que nous essayons d'être, n'ont pas d'opinion sur la direction dans laquelle il convient d'aller.

Monsieur le président Woerth, vous avez évoqué la consommation des crédits. À la fin de l'année 2018, pour le FSE, la France avait engagé 57 % des fonds qui lui étaient attribués, ce qui est proche de la moyenne européenne de 61 %. Elle est parvenue au paiement de 29 % des FESI, soit davantage que la moyenne européenne qui est de 22 %. Pour le FEADER, le taux de paiement est environ de 35 %, également dans la moyenne européenne. Nous convenons, avec les orateurs qui se sont exprimés en ce sens, que ce constat n'est pas complètement satisfaisant. Nous avons évité une mauvaise nouvelle qui aurait été la remontée de fonds européens, faute de les avoir dépensés, même si nous avons déjà eu l'occasion de dire que la dépense à tout prix n'est pas, pour nous, un horizon unique. Il faut veiller à ce que la dépense soit respectueuse des règles et respecte l'efficacité et l'efficience. Cela dit, il aurait été navrant de devoir remonter des crédits fin 2018 en raison d'une accumulation de retards. Cela ne s'est pas produit, ce qui est plutôt satisfaisant. Il est toutefois insatisfaisant pour nous de ne pas être parmi les meilleurs en termes de programmation et de consommation. Voilà le jugement que nous portons.

En ce qui concerne les mises en réserve, l'ampleur du phénomène ne pourra être véritablement mesurée qu'à la fin de la gestion, lorsque les bilans seront tenus. Nous avons quelques indications sur la programmation précédente puisque nous avons travaillé, l'année dernière, sur l'outre-mer s'agissant des fonds européens. Notre travail a donné lieu à une insertion dans le rapport public 2019 de la Cour des comptes qui résume nos messages. En Guadeloupe et à La Réunion, nous avions constaté, pour le FEDER, que les réserves atteignaient 62 millions d'euros, 17 millions d'euros en Guyane et 21 en Martinique, ce qui représente des proportions comprises entre 5 et 10 % des montants. Ces cas ne sont pas purement ultramarins. Nous avons constaté des phénomènes du même ordre dans les territoires métropolitains, mais nous n'avons hélas pas encore de chiffres précis à vous soumettre.

Comment ces réserves sont possibles ? Par le mécanisme que nous avons essayé de décrire, qui est une forme de thésaurisation du surplus résultant de l'écart entre le taux utilisé par l'Union européenne pour servir la France ou les régions françaises et le taux utilisé par les régions françaises pour servir les bénéficiaires. Pourquoi cet écart ? Ce n'est pas machiavélique. Simplement, la contrepartie nationale peut parfois être supérieure à ce qui avait été anticipé. Ce cas de figure peut exister. Dans d'autres cas, ces réserves sont moins explicables. Je confirme que nous avons des preuves qui montrent qu'il arrive que ces excédents soient utilisés pour effacer les conséquences des pénalités financières. Dans d'autres cas, les excédents sont versés dans la trésorerie générale des collectivités, sans que l'on sache tracer exactement l'usage qui en est fait. Cela donne lieu à des conversations qui, à une certaine époque, ont été très vigoureuses entre le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), au nom de la France, et les autorités européennes, qui ont cherché à régulariser cette situation. Or la lettre des règlements européens ne l'a pas permis, ce que le SGAE, au nom de la France, a démontré. Il est possible que le dernier mot ne soit pas dit et qu'au moment de la clôture de la reprogrammation 2014-2020, le débat reprenne et la Commission revienne sur ces sujets. La Commission a manifestement tiré les conséquences de cette situation pour la programmation prochaine, ce qui paraît absolument évident.

Quant aux suites, nous avons, comme vous le savez, un parquet à l'intérieur de nos murs. Le parquet général est naturellement saisi de ces questions. L'irrégularité ne porte pas tant sur la constitution même de la réserve que sur son utilisation. Nous sommes notamment choqués lorsqu'une direction en administration centrale nous dit que la Commission sera plus rigoureuse sur ces questions dans la programmation prochaine et qu'elle peut donc provisionner dès maintenant sur la programmation actuelle. Puisqu'il ne sera bientôt plus possible de provisionner de cette façon, il faut mettre de l'argent en réserve dès maintenant pour plus tard. Je ne saurais être aussi éloquent que mon ex-collègue, aujourd'hui parlementaire.

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