Sur Chorus et le droit d'alerte de M. le rapporteur général, dont acte. Chorus est piloté par l'Agence pour l'informatique financière de l'État (AIFE), une entité distincte de la DGFiP. C'est un service à compétence nationale, « Bercy hors Bercy », mais ce n'est pas la DGFiP. Cela renvoie d'ailleurs à des questions un peu plus globales de gouvernance informatique à Bercy.
S'agissant de Chorus, on a fait un gros investissement mais on s'est arrêtés en chemin et de ce fait, on n'a pas tiré toutes les contreparties possibles de l'investissement initial. Après l'investissement initial, la transition, et le gros travail fait au moment du basculement en comptabilité générale, tout le travail d'investissement financier, humain et technique qui devait être fait pour tirer toutes les potentialités de Chorus se sont arrêtés faute de crédits de nos deux ministères, faute d'intérêt à agir également. Nous sommes dans un système qui est de toute évidence sous-optimal.
Sur la « dette technique », question abordée par M. Saint-Martin, la DGFiP s'est en quelque sorte mise en situation de ne pas chercher à la mesurer, l'identifier, la globaliser. Cela fait partie de ces impensés des responsables de la DGFiP. Cela ne veut pas dire que cela ne se fera pas.
Nous avons pu voir, en regardant ce qui se passait dans d'autres organisations, qu'une entité comme la branche famille, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) – dont nous savons que l'informatique est le talon d'Achille car c'est un univers très compliqué – s'est mise en situation à la fois de mesurer sa dette technique et de bâtir un plan de résorption. Il faut bien voir qu'en termes économiques, un plan de résorption est normalement un investissement rentable. Du côté de la CNAF, cet investissement initial de 22 millions d'euros lui a permis au bout de deux ans de dégager des économies de fonctionnement de 20 millions d'euros. Il faut attaquer le sujet au principal, faute de quoi on continue à dépenser beaucoup d'argent pour continuer à maintenir en vie des applications ou logiciels qui ne fonctionnent pas.
Le sujet informatique est porté à la DGFiP au cas par cas, un peu au fil de l'eau, sans vision stratégique de ce vers quoi nous voulons aller. À partir de là, nous accumulons chaque année et nous essayons de faire aussi bien que possible – pas si mal que cela, en fin de compte, avec des systèmes qui ne cessent de vieillir et qui génèrent des coûts de fonctionnement croissants.
Nous appelons de nos voeux un changement de portage. Le ministre dit que tout va bien car les difficultés ne lui remontent pas, mais stratégiquement, tout ne va pas bien. C'est ce que dit le rapport. Précisément, il manque cette dimension globale, stratégique et volontariste. C'est de la gestion au quotidien, correcte, mais ce n'est pas une stratégie de transformation.
Surtout, et cela renvoie à une autre question de M. Saint-Martin, dans des entités comparables à l'étranger ou en France, dans le secteur public ou privé, la stratégie de transformation numérique est le fil directeur d'une transformation tout court des organisations, des métiers, du réseau et des relations territoriales. C'est ce qui fait bouger l'organisation dans son ensemble. Au sein de l'administration fiscale, cet élément n'est pas utilisé comme facteur de transformation. Il est utilisé comme strict objet technique, permettant chaque année d'exécuter les missions que le législateur lui confie.
Il est sûr que pour une maison comme la DGFiP, recenser, mesurer sa dette technique est un gros travail. Pour l'instant, elle n'en a que des éléments très partiels. Mais le sujet est à la mesure des moyens de cette direction qui emploie quelque 5 000 informaticiens. Je pense qu'il faut opérer un changement de représentation, de culture en la matière.
Il est frappant que nous trouvions en l'absence de schéma stratégique cette même difficulté à se projeter, à réfléchir. L'argument serait que les choses évoluent tellement, que le législateur change tellement la législation fiscale que cela n'a pas de sens. Je pense que c'est un faux argument. Toutes les organisations, à l'étranger ou en France, publiques ou privées, ont des schémas directeurs informatiques.
La douane a appelé cela « e-Douane », pour donner un ton plus moderne et plus transformateur, ou plus disruptif, mais fondamentalement il faut savoir quelle est la cible vers laquelle nous voulons faire évoluer les schémas directeurs, les schémas informatiques, et derrière cela, quelle est la cible vers laquelle nous nous voulons faire évoluer la direction elle-même. Ce n'est jamais qu'un moyen de transformer la direction et de répondre à la demande des usagers.
Cela se fait partout, toutes les caisses nationales de sécurité sociale en ont toujours eu. Il y a même maintenant, du côté de la sécurité sociale, un schéma informatique transverse. L'une des difficultés dans les tuyaux d'orgue est de faire en sorte que de temps en temps chacun pense les éléments de complémentarité. Ces éléments transverses n'existent pas à Bercy, et c'est un vrai sujet.
De ce point de vue, l'élément nouveau et assez positif est ce que la secrétaire générale des ministères économiques et financiers nous a dit qu'il y a maintenant un petit volant de crédits. Cela répond indirectement à la question de M. Saint-Martin. Je pense que donner tous les crédits aux seules directions, c'est les conforter dans une stratégie de tuyaux d'orgue, de silos. Les obliger à expliquer leur stratégie et comment cette stratégie se marie avec d'autres directions ou avec l'interministériel, la DINSIC, me paraît être de bonne politique.
Il est sain que qu'une composante assez significative des budgets informatiques ne soit pas purement et simplement allouée aux directions, en raison de la chape d'opacité qui immédiatement vient recouvrir ces moyens supplémentaires. La nécessité que vont avoir ces directions de devoir justifier et négocier une partie de leurs moyens auprès de l'interministériel, du secrétariat général, va dans le bon sens et les oblige à s'ouvrir à des regards extérieurs.
Sur la fongibilité, sujet évoqué par M. Saint-Martin, nous avons toujours été assez surpris, pour ne pas dire confondus, et nous l'avons dit à l'occasion de l'analyse de l'exécution budgétaire de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines, qu'ayant des disponibilités en fin d'exercice, la DGFiP ne fasse rien d'autre que recruter quelques dizaines ou centaines d'agents contractuels supplémentaires, comme si elle ne cherchait manifestement pas à mettre tout son poids dans la balance pour obtenir de la direction du budget que ces crédits soient transformés en crédits d'investissement informatique.
Dit autrement, la DGFiP, d'une certaine manière, a conclu ou accepté la situation budgétaire dans laquelle elle a été placée après, comme vous l'avez rappelé justement, monsieur le président, le gros effort fait au début des années 2000 avec Copernic et Chorus. Elle a accepté et privilégié le recours au personnel ou à la moindre diminution d'effectifs par rapport à l'investissement informatique.
N'oublions pas que le prélèvement à la source n'a pas été revendiqué par le ministre mais s'est traduit par, deux années de suite, une moindre réduction des effectifs de la DGFiP. La dynamique habituelle et assez légitime, au regard des gains de productivité de 2 000 effectifs, a été réduite deux années de suite à 1 500 agents. Cela signifie que de ce point de vue, de la souplesse s'est manifestée.
Vous disiez, monsieur le président, qu'il n'y a pas de pilotage politique : c'est vrai. Normalement, dans le ministère, il y a un endroit où l'interdirectionnalité pourrait fonctionner, c'est le secrétariat général. Pour l'instant, c'est plus putatif que réel ; cela le sera un peu moins car si, actuellement, le secrétariat général n'a guère son mot à dire et guère d'informations sur les grandes directions métiers du ministère, il en aura davantage demain, lorsque les directions devront venir justifier d'un certain nombre de produits pour obtenir des crédits.
Mais la question s'impose de savoir jusqu'où faire converger les systèmes d'information de la douane et de la DGFiP sur un certain nombre de sujets, notamment en matière de recouvrement ou en matière fiscale.
La question des ressources humaines est un sujet central, qui n'est pas propre à Bercy, mais qui a des composantes propres au ministère de l'action et des comptes publics.