Intervention de Roland Lescure

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Lescure, président :

« Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? » Tel était le sujet de l'épreuve de philosophie du baccalauréat, lundi dernier. J'ignore si les candidats, dans leur copie, ont apporté une réponse positive à cette question. Ce que je sais en revanche de façon certaine, c'est que les projets de loi font la joie des députés qui prennent un plaisir manifeste à déposer des centaines d'amendements.

Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat dont nous commençons l'examen aujourd'hui fait ainsi l'objet de 712 amendements, ce qui pourrait sembler peu eu égard à nos habitudes au sein de cette commission : 1 200 sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGALIM) et plus de 3 000 sur le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Je souligne que le Gouvernement, quant à lui, avait été peu prolixe puisque le présent texte ne comporte que douze articles – huit lors de son dépôt initial et quatre ajoutés par lettre rectificative.

Sur ces 712 amendements, 450 portent articles additionnels. Un tiers des amendements déposés visent donc à modifier une disposition du projet de loi, tandis que les deux autres tiers tendent à en introduire de nouvelles. Loin de moi l'idée de brimer le droit d'initiative des parlementaires, mais je dois également composer avec une autre disposition de nature constitutionnelle : l'article 45, qui interdit les cavaliers législatifs.

Je tiens à vous rappeler que les trois textes importants examinés ces derniers mois par notre commission, ou par plusieurs d'entre nous en commission spéciale, ont tous été sanctionnés assez fortement, mais à juste titre, par le Conseil constitutionnel qui semble avoir durci ces dernières années sa jurisprudence sur les dispositions qui ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles figurant dans le projet de loi déposé. Ce sont ainsi 23 articles qui ont été annulés dans la loi EGALIM, 19 dans la loi ELAN et 24 dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE).

Derrière ces chiffres, ce sont d'abord des heures de discussions en commission et en séance qui s'avèrent in fine inutiles. Et encore, les articles censurés sont-ils ceux qui ont été adoptés. Je ne parle évidemment pas des longs débats sur les amendements qui ont été rejetés, tout aussi cavaliers que ceux annulés par le Conseil constitutionnel. Ce sont ensuite souvent de faux espoirs, ou de fausses craintes, donnés à certains de nos concitoyens. Ce sont enfin des critiques sur notre travail et sur la qualité de la loi qui peuvent sembler être confortées par ce type de décision.

Il m'appartient, en tant que président de la commission, de décider de la recevabilité des amendements. Avec l'appui du Président de l'Assemblée nationale et en totale coordination avec la présidente de la commission du développement durable saisie pour avis et bénéficiant d'une délégation sur le fond sur les articles 2 et 4, j'ai souhaité appliquer avec rigueur l'article 45 de la Constitution lors de l'examen du présent projet de loi. Vous en aviez toutes et tous été informés par courrier, en date du 29 mai, cosigné par Mme Barbara Pompili et moi-même.

Soyons précis : je ne souhaite en aucun cas brider nos échanges, mais je ne peux pas accepter non plus qu'ils s'éparpillent hors des limites fixées par les dispositions du texte déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. De ce point de vue, l'intitulé du projet de loi en lui-même n'est évidemment en rien une référence, sinon tous les amendements se rapportant de près ou de loin à l'énergie et au climat pourraient nous être soumis. Nous sommes donc tenus par le contenu des douze articles du texte. Sans entrer dans le détail des justifications, je tiens tout de même à vous expliquer les principes qui m'ont guidé et vous fournir quelques exemples des décisions que j'ai été amené à prendre.

Je tiens à vous dire que je ne suis tenu en rien à justifier ces décisions. Si l'irrecevabilité financière de l'article 40 peut éventuellement donner lieu à une demande d'explication écrite des députés dont les amendements seraient rejetés, ce n'est pas le cas pour celle de l'article 45. Pour autant, j'ai décidé de ne pas retenir les amendements ne prévoyant pas une contribution directe et significative à l'atteinte des objectifs de la politique énergétique et de la transition énergétique.

Sans entrer dans les détails, j'ai décidé de ne pas retenir les amendements ne prévoyant pas une contribution directe et significative à l'atteinte des objectifs de la politique énergétique et de la transition énergétique. Je vous donne quelques exemples. J'ai déclaré irrecevables des séries d'amendements concernant le provisionnement du démantèlement des centrales nucléaires ou des installations éoliennes. Pour les mêmes raisons, plusieurs amendements relatifs à la sécurité des installations nucléaires ont été écartés. La protection contre les actes de malveillance et la vérification de la conformité des installations techniques ne sont manifestement pas dans le champ du projet de loi.

De même, n'ont pas été retenus les amendements relevant surtout d'une approche liée à l'environnement entendue au sens de la protection de la biodiversité ou de la continuité écologique des cours d'eau, ou des amendements motivés par des considérations touchant à l'aménagement du territoire ou ayant principalement un objet d'ordre social. J'évoque ici notamment les nombreux amendements sur les moulins qui, pour la plupart, visaient à modifier le code de l'environnement. Je range aussi dans cette catégorie les amendements visant à réviser la distance minimale entre les éoliennes et les habitations. La préoccupation majeure de ces amendements était clairement présentée comme liée à l'aménagement du territoire, voire à la protection de la santé. De la même manière, les amendements portant sur les modalités de gestion des barrages hydroélectriques n'ont pas été acceptés. Cette question est certes importante mais ne peut se rattacher aux dispositions figurant dans le projet de loi. Enfin, les amendements introduisant des dispositions ayant une simple portée informative ou à visée éducative ont aussi été écartés. Je pense par exemple aux amendements interdisant la publicité pour les véhicules les plus polluants.

Je ne nie évidemment en aucun cas l'importance de ces sujets. J'ai dû décider de leur pertinence rapportée au texte du projet de loi.

Au total, ce sont 120 amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution. Je signale que j'ai fait preuve d'une approche écartant tout esprit partisan. La répartition par groupe est la suivante : 32 amendements du groupe La République en Marche, 39 amendements du groupe Les Républicains, 8 amendements du groupe UDI et Indépendants, 3 amendements du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, 8 amendements du groupe Libertés et territoires, 3 amendements du groupe Socialistes et apparentés, 17 amendements du groupe La France insoumise, 8 amendements des députés non inscrits, ainsi qu'un certain nombre d'amendements émanant du Gouvernement.

J'espère vous avoir tous convaincus du bien-fondé de ma position. Au cas où vous en douteriez, ce que je n'ose imaginer, je vous propose d'éviter de vaines discussions en commission. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de m'en entretenir avec certains d'entre vous et je suis prêt à le faire à l'avenir.

Je vous rappelle enfin qu'en séance publique c'est le Président de l'Assemblée qui apprécie la recevabilité des amendements. Vous pourrez donc lui soumettre à nouveau vos amendements. Il peut évidemment consulter le président de la commission, ce qui ne veut pas dire qu'il le suive systématiquement.

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