Je suis très heureux de revenir à l'Assemblée nationale et de voir que les travaux qui ont été engagés pour améliorer les conditions de travail des députés, notamment dans cette salle, auxquels j'attachais une importance particulière lorsque j'étais Président de l'Assemblée nationale, ont porté leurs fruits puisqu'ils permettent aux députés, et indirectement aux membres du Gouvernement, d'examiner dans de bonnes conditions les textes de loi.
Lors de mes auditions devant les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat, j'avais fait part de ma volonté de déposer un texte de quelques articles visant à rehausser l'ambition de la France en matière de lutte contre l'effet de serre et le dérèglement climatique, et à mettre en oeuvre la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) que nous avons présentée avec le Président de la République à la fin de l'année dernière.
Ce texte vient en discussion dans le contexte particulier que nous avons vécu ces derniers mois : d'abord la crise des « gilets jaunes » à la fin de l'année 2018, puis le Grand débat national au début de l'année 2019. Il est ressorti de ce Grand débat que les questions écologiques sont importantes pour les Françaises et les Français, plus de 60 % de celles et ceux qui y ont participé estimant que le changement climatique était visible, palpable dans leur vie quotidienne et s'étant déclarés prêts à agir en faveur d'une transition écologique. Plus des trois quarts ont considéré que cela pouvait être bénéfique pour eux à titre individuel, au-delà de l'intérêt collectif.
Sans entrer dans les détails, on peut dire également que les résultats des récentes élections européennes sont venus confirmer que nombre de Français souhaitent que nous fassions davantage pour l'écologie, que nous allions en quelque sorte plus vite et plus loin. Il y a quelques jours, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a ainsi placé l'urgence écologique au premier rang de ses priorités. C'est dans ce cadre que nous proposons aux parlementaires des mesures législatives relatives à l'énergie et au climat, et, dans quelques semaines, un texte visant à lutter contre le gaspillage et à développer le recyclage.
Ainsi que j'ai pu l'observer lorsque j'étais Président de l'Assemblée, cette préoccupation est largement partagée par de nombreux députés de la majorité, mais aussi d'autres groupes – en tout cas davantage que lors des précédentes législatures. Cette progression de la prise de conscience, et même de la volonté d'action doit maintenant nous conduire à être plus efficaces et à agir plus rapidement pour répondre aux aspirations des Français.
Comme vous le savez, nous avons mis en oeuvre ces dernières semaines plusieurs dispositifs. Nous avons d'abord créé, au début de cette année, le Haut Conseil pour le climat qui rendra son premier rapport la semaine prochaine, rapport qui pourra nourrir utilement la discussion de ce projet de loi en séance plénière.
Nous avons également souhaité qu'un conseil de défense écologique, sous l'autorité directe du Président de la République, permette de mobiliser tous les ministères, tous les services de l'État. Ce conseil, qui s'est déjà réuni une première fois au mois de mai, se réunira une deuxième fois au mois de juillet, puis à nouveau régulièrement.
Nous avons encore souhaité mettre en place une convention citoyenne pour être plus efficaces dans notre action pour le climat, pour mobiliser et entraîner le maximum de Français. Bien évidemment, nous ne visons pas l'unanimité et le consensus général, mais emporter l'adhésion d'une très grande majorité de nos concitoyens est la clé du succès. Le climat, ce n'est pas l'affaire seulement de l'État, ou de l'État et des collectivités locales, ou encore de l'État, des collectivités locales et des entreprises : c'est l'affaire de toutes et tous. Nous avons donc considéré qu'il fallait innover sur la méthode. C'est ainsi qu'une assemblée citoyenne composée de 150 personnes tirées au sort présentera des propositions d'ici à la fin de l'année à partir des différents constats.
Des mesures importantes ont été prises depuis deux ans, au premier rang desquelles la loi permettant de mettre fin à l'exploration et l'exploitation de toutes les formes d'hydrocarbures, conventionnelles et non conventionnelles, gaz de schiste, pétrole. Bien entendu, les quelques permis qui avaient été octroyés avant le vote de la loi n'ont pas été remis en cause, mais ils font l'objet de la date butoir de 2040. Très concrètement, depuis l'adoption de la loi par la majorité de cette assemblée à la fin de l'année 2017, nous avons refusé cinquante demandes de permis de recherche ou d'exploitation d'hydrocarbures en France. En Guyane, où un permis avait été accordé avant l'adoption de la loi, les forages d'exploration n'ont rien donné. Mais il n'y aura pas d'autres explorations possibles alors que le groupe Total, mais aussi la collectivité de Guyane, auraient pu souhaiter que de nouveaux permis soient octroyés dans la même zone. C'est un choix fort de renoncer à exploiter les énergies fossiles que nous pourrions avoir dans notre sol. Peu de pays au monde ont fait ce choix.
Nous avons également déployé différentes aides à destination des ménages français. C'est le cas de la prime à la conversion pour les voitures, annoncée lors de la campagne électorale de 2017, votée par le Parlement à l'automne de 2017 et mise en oeuvre dès le 1er janvier 2018. Cette mesure a connu un grand succès puisqu'en 2018, près de 300 000 personnes ont pu mettre à la casse de vieilles voitures gourmandes en carburant et polluantes et les remplacer par des véhicules moins polluants, plus sobres et abordables. Comme cette aide était ouverte à l'achat de véhicules d'occasion, elle a permis en effet une large accessibilité sociale.
Nous avons suivi la même logique pour les chaudières au fioul qui peuvent être remplacées par des chaudières à gaz à haute performance, voire – c'est encore mieux – par des chaudières à bois ou des pompes à chaleur électriques, pour un euro seulement parfois, en fonction des revenus des ménages.
Ces mesures concrètes soutiennent notre action en faveur des économies d'énergie et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Quant à la programmation pluriannuelle de l'énergie, nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir, même si elle est déterminée par décret et non par la loi. Comme nous l'avions indiqué avant les élections, nous ne remettrons pas en cause les grands équilibres de la loi 2015, mais, pour que cette programmation soit mise en oeuvre, il est nécessaire que le présent texte soit adopté.
Je veux dire d'ores et déjà, car je suis attaché à la politique des résultats, que les efforts des Français, qui sont rendus possibles par cette mobilisation et ces mesures, portent leurs fruits. Je rappelle que les émissions de gaz à effet de serre en France ont baissé de 18,8 % entre 1990, année de référence, et aujourd'hui, selon le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), qui fournit chaque année les données consolidées en la matière. Après une année 2017 qui n'avait pas été bonne, la courbe a été inversée en 2018 puisque les émissions ont diminué de 4 %, ce qui représente une baisse de 20 millions de tonnes équivalent CO2, et une baisse des émissions résultant de la production d'électricité de 27 %. Les fermetures de centrales au fioul ou au charbon visent précisément à pérenniser durablement la baisse des émissions de CO2 dans la production d'électricité. Dans le secteur du logement et des bâtiments tertiaires, les émissions de CO2 ont diminué de 6,8 %. Dans le secteur des transports, qui représente 30 % des émissions dans notre pays, la baisse est de 3 % pour les véhicules particuliers et de 3,6 % pour les véhicules utilitaires. Quant à la consommation de carburant, elle était aussi en régression – nous avions les chiffres en temps réel dès la fin de l'année 2018. J'ajoute que la tendance est la même pour 2019.
Le présent texte vise donc à rehausser nos objectifs sur le climat, en l'occurrence atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, en divisant non par quatre mais par six nos émissions de CO2 entre 1990 et 2050. Je le dis tout de suite puisque certains avaient cru pouvoir polémiquer, mais c'était, pardonnez-moi de le dire aussi franchement, se mettre le doigt dans l'oeil de façon assez profonde à moins que ce ne soit de la mauvaise foi assez crasse. Nous écrivons cet objectif noir sur blanc dans la loi, de même que nous fixons la réduction de la consommation d'énergies fossiles à 40 % – et non plus 30 % – en 2030. Baisser de 40 % notre consommation d'énergies fossiles en onze ans : voilà là encore un engagement extrêmement fort.
Nous avons aussi souhaité que ce texte permette l'adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Dès le début du quinquennat, il a été annoncé clairement qu'il serait impossible de réduire à 50 % la part du nucléaire en 2025, le rééquilibrage en faveur des énergies renouvelables n'étant pas atteignable dans ce laps de temps compte tenu des retards pris au cours du précédent mandat. Cette date est repoussée à 2035. Il nous fallait modifier le code de l'énergie pour que la PPE soit conforme à la loi. C'est l'adoption définitive du présent projet de loi qui permettra, dans la foulée, et sans délai car toutes les procédures ont déjà été lancées, l'adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui fait déjà l'objet d'une consultation publique à laquelle tout le monde peut avoir accès. C'est un moment extrêmement important qu'attendent tous les acteurs de l'énergie afin d'avoir des trajectoires claires sur les économies d'énergie et la production d'énergies renouvelables que nous développons fortement.
Nous pérennisons également le Haut Conseil pour le climat qui est inscrit à l'article 2 du projet de loi. Ainsi, cette instance ne sera pas soumise à la volonté d'un gouvernement, mais pourra avoir une action pérenne et durable, sur le modèle du Haut Conseil pour les finances publiques qui rend un rapport tous les ans. Ce sera la même chose pour le climat qui fera l'objet d'au moins un rapport par an sur l'état de la connaissance scientifique, car il est extrêmement important que l'écologie avance sur la base des données éclairées par les scientifiques. Il n'appartient pas aux scientifiques de prendre les décisions : elles sont du ressort du politique, mais celui-ci a tout à gagner à s'appuyer sur les études scientifiques en matière de climat, comme dans d'autres domaines. Je tiens à le souligner car le débat politique est malheureusement rarement structuré autour d'éléments objectifs scientifiques, et j'entends souvent des choses assez éloignées de la réalité.
L'article 3 du projet de loi permettra d'avoir une assise législative claire pour mettre en oeuvre l'engagement politique que nous avons pris de fermer les centrales à charbon avant la fin de leur exploitation. Nous avons déjà commencé à discuter avec tous les acteurs concernés, territoire par territoire, avec les deux entreprises concernées, EDF et Uniper, avec les représentants syndicaux des salariés, avec les élus des territoires. Des processus d'accompagnement de la reconversion sont déjà en cours, notamment les contrats de transition écologique. Nous avons pris également des mesures sociales. Il fallait que les choses soient très claires et qu'un opérateur ne puisse pas opposer un vide juridique. L'article 3 permet à l'autorité administrative, donc à l'État, de plafonner la durée de fonctionnement des centrales, en l'occurrence de programmer leur extinction d'ici à 2022.
L'article 3 prévoit également, et c'est une première, un dispositif spécifique d'accompagnement des salariés. En effet, de nombreuses centrales thermiques ont été fermées par le passé sans que rien n'ait été prévu sur le plan social ou territorial – je pense notamment à celle de Porcheville dans les Yvelines. C'est l'entreprise qui a dû gérer en interne la fermeture. Il en a été de même à la centrale de Cordemais, en Loire-Atlantique.
Le présent projet de loi vise également à régler des problèmes qui avaient été laissés en suspens ou qui créaient des complexités juridiques et administratives de divers ordres. Il nous fallait, par exemple, tirer les conséquences d'une jurisprudence du Conseil d'État de 2017. Les mesures prévues à l'article 4 permettent de sécuriser juridiquement le dispositif transitoire de l'autorité environnementale, l'insécurité juridique créant un facteur de contentieux. Or, en France, nombreux sont ceux qui aiment développer les contentieux notamment sur les projets liés aux énergies renouvelables, ce qui perturbe beaucoup la vie de nos territoires, de nos entreprises et de nos collectivités. Il était donc indispensable de clarifier les choses et de les sécuriser juridiquement.
J'ai souhaité également aborder la question des tarifs de l'électricité qui a créé beaucoup de débats ces derniers mois, et c'est normal. Le mode de calcul de ces tarifs a été fixé dans la loi de 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », conforté en 2015 par une autre majorité, un autre gouvernement. Je rappelle les faits, car certains ont quelques trous de mémoire et viennent parfois aujourd'hui se lamenter sur les effets de ce mode de calcul, et notamment la hausse de 5,9 % qui a été appliquée sur les tarifs régulés de l'électricité à compter du 1er juin dernier. Comme je l'avais indiqué, nous ne voulions pas nous contenter de constater certaines failles. C'est pourquoi l'article 8 permet – et c'est le débat parlementaire qui ira au bout des choses – de peser sur les prix dans le sens de la stabilisation et de la maîtrise sur la base notamment du plafond de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH).
Le président de la commission a évoqué des dispositions de la loi PACTE, considérées comme des cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel, et censurées à ce titre. Il en a été ainsi de celles concernant la fin des tarifs régulés du gaz. Le Gouvernement vous propose donc, après avoir saisi le Conseil d'État, des mesures claires et sûres sur le plan juridique.
Tels sont les objectifs du présent projet de loi, qui redonne clairement le cap d'une ambition forte sur le climat, plus forte que celle qui avait été tracée par les gouvernements précédents. C'est la programmation pluriannuelle de l'énergie qui en fixe la déclinaison concrète et qui pourra être mise en oeuvre grâce à l'adoption définitive de cette loi. Je sais que des préoccupations complémentaires se font jour sur les différents articles et je suis totalement ouvert à la discussion, sans bien sûr remettre en cause les grands équilibres, sans refaire tous les débats de 2015 puisque nous avions annoncé, avant les élections, que nous ne reviendrions pas sur la loi de 2015. D'autres candidats avaient fait des propositions différentes, mais ils n'ont pas été élus – c'est la démocratie. Une majorité à l'Assemblée nationale a également été élue sur la base des engagements pris. Je le répète, sans remettre en cause les grands équilibres, il sera possible d'enrichir le projet de loi sur certains points, notamment sur l'efficacité énergétique et tout ce qui permettra de baisser les consommations d'énergie dans le logement ou pour préciser les choses et être aussi opérationnel que possible sur le mode de calcul des tarifs régulés de l'électricité.