Intervention de François Ruffin

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

J'ai donné rendez-vous à mon copain Cyril à la gare du Nord, sous le panneau des départs – vous savez, celui qui fait « tchic-tchic-tchic-tchic », avec les indications Bruxelles, Amsterdam, Amiens ou Lille. J'ai cherché, mais le panneau avait disparu : je ne le retrouvais plus. J'ai levé mon nez, j'ai regardé alentour, et sur quoi suis-je tombé ? Sur un immense panneau d'affichage publicitaire pour la nouvelle Audi. J'ai cherché où les trains étaient indiqués : il y avait des petits panneaux Samsung, de type LCD, devant tous les quais, par dizaines. Je me suis informé : j'ai appelé la SNCF, peut-être par nostalgie – dans les films policiers, quand le héros cherche à choper son train, il le rate à une minute près et on entend « tchic-tchic-tchic-tchic » : une époque disparaît discrètement – et aussi parce que je me suis dit que cela doit quand même consommer nettement plus d'électricité que le seul panneau central. J'ai donc appelé la « com » de la SNCF, qui m'a dit que toutes les gares vont passer au numérique. J'ai demandé pourquoi : « pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on ne roule plus en 404 ou qu'on ne tape plus à la machine à écrire, c'est le progrès ». J'ai répondu : « avez-vous une idée de la consommation électrique que cela représente ? ». On m'a dit : « moi, non, pas du tout, je n'en sais rien, mais le tableau de publicité, pardon, d'information, rapporte un peu d'argent à la gare ».

Nous sommes dans le cadre d'un projet de loi relatif à l'énergie et au climat. Cette invasion de l'espace public par des écrans qui bouffent de l'énergie est incompréhensible. Même quand vous allez pisser, vous vous retrouvez avec des écrans devant vous dans les toilettes – cela arrive à Paris, et ce sera donc bientôt le cas en province, aussi. C'est complètement absurde si on veut suivre une trajectoire sur le plan énergétique. Il y a dans ce texte des objectifs qui sont ambitieux et auxquels on ne peut que souscrire : un plan national de lutte contre le changement climatique, la neutralité carbone à l'horizon 2050 et la division par 6 des émissions de gaz à effet de serre – mais pourquoi pas par 8, 10 ou 12 ? Ce qui compte, ce sont les moyens qu'on met en face. Or je ne les vois pas dans ce texte.

Nous devrions avoir une sorte d'obsession : on doit consommer moins d'énergie. C'est vrai pour les ménages, les collectivités et les entreprises. Ce n'est pas compatible avec la croissance, il faudrait le marteler. On ne voit pas comment vous allez y arriver sans toucher aux écrans publicitaires, ni aux vols intérieurs, ni aux yachts, ni aux camions, ni, surtout, aux 7 ou 8 millions de passoires énergétiques. Je le redis : on aurait mieux fait de diriger les 40 milliards d'euros du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) vers cette dernière question, qui correspond à un objectif à la fois social – permettre aux familles les plus précaires de payer moins en factures de gaz ou d'électricité – économique, parce que cela représente évidemment des créations d'emplois, et écologique, puisqu'on serait moins dépendant, par exemple, du gaz et du pétrole pour se chauffer. Mais ces ambitions ont été remisées.

Comment parvenir à diviser par 8 les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 ? Par un miracle, par le marché. Vous avez une seule réponse, comme quelqu'un qui n'aurait qu'un seul marteau – que vous repeignez en vert –, le marché, et vous voyez donc tous les problèmes sous forme de clous. Vous tapez et vous nous répétez : « marché », « marché », « marché » – celui des certificats d'économie d'énergie, un marché unique européen de l'énergie ou encore la fin du tarif réglementé du gaz et de l'électricité. Nous serons donc privés du peu d'outils de régulation dont nous disposions. Je vais vous dire ma conviction : la transition ne se fera pas toute seule, par le marché, par le laisser-faire, mais par une rupture, notamment avec l'idéologie de la croissance. Nous devons associer le « consommer moins » et le « répartir mieux », et c'est vrai aussi en matière d'énergie.

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