Monsieur Marilossian, s'agissant de l'Autorité de sûreté nucléaire, je crois que les propos que vous rapportez n'étaient pas exactement ceux qu'a tenus son président. En tout cas, les visites décennales doivent être effectuées en temps et en heure. Je rappelle qu'il y a 58 réacteurs nucléaires de production d'électricité en France et qu'on a prévu de n'en fermer progressivement d'ici à 2035 que 14. Ceux qui prétendent, comme M. Delatte, qu'on veut supprimer notre système électronucléaire français devraient donc y regarder d'un peu plus près. Les mots ont un sens !
On peut parler de sobriété, de décroissance et de tout ce qu'on veut, mais il serait tout de même bien qu'on s'entende sur les faits. Si nous ne faisons que nous envoyer des formules à la figure, au lieu de débattre, je ne suis pas sûr que nous représentions bien nos concitoyens. Ceux qui aspirent aux responsabilités doivent dire concrètement ce qu'ils veulent faire. En l'occurrence, Monsieur Marilossian, on veut en effet se prémunir contre ce risque sur la sécurité d'approvisionnement, dont vous avez bien fait de soulever l'existence.
Examinons seulement ce qui se passe chez nos amis belges… Il ne s'agit certes pas de les pointer du doigt ! La seule différence entre nos deux pays, sur la question du nucléaire, c'est que les centrales nucléaires belges sont un peu plus vieilles que les centrales nucléaires françaises. Or, l'hiver dernier, sur sept centrales, cinq étaient à l'arrêt pour des raisons de sécurité. La Belgique n'assurait donc plus son approvisionnement en électricité et s'est trouvée obligée d'en demander à ses voisins. Elle a fait jouer la solidarité européenne, qui a prouvé combien elle était utile. L'interconnexion européenne, beau projet européen et belle réussite européenne, a joué. Ainsi, les uns et les autres ont pu aider la Belgique.
Il reste que nous souhaitons tous éviter ce genre de situation. Nous devons donc être attentifs car les réacteurs nucléaires français ayant été construits en série, si un problème se pose sur l'un d'entre eux, il y a de fortes probabilités qu'il survienne ensuite sur les autres. C'est ce que nous invite à anticiper l'Autorité de sûreté nucléaire, de concert avec l'opérateur historique EDF. Cette question est d'ailleurs liée à l'ARENH, car tout se tient.
Évidemment, nous sommes très vigilants et très exigeants sur la question de la sécurité. C'est pourquoi nous avons demandé à EDF des vérifications sur une série de sites dont nous avons dressé la liste, liste que le Président de la République a donnée le 27 novembre dernier. Aucun gouvernement n'avait fait cela jusqu'à présent. Au cours du précédent mandat, le Président alors en fonction disait qu'il ne fallait surtout pas établir de liste, parce qu'on commencerait ainsi à inquiéter sur différents territoires et qu'il valait mieux repousser à plus tard, au motif que Fessenheim suscitait déjà la discussion. Nous faisons quant à nous l'inverse : nous voulons préparer la France ; nous voulons anticiper et choisir, et non pas subir. Nous ne voulons pas nous retrouver acculés, dans la situation que vous décriviez : nous voulons au contraire pouvoir y faire face en anticipant.
C'est la raison pour laquelle nous pensons que la diversification des modes d'approvisionnement en électricité est une double force pour notre pays. D'abord, il s'agit de ressources made in France et qui, dans le monde entier, se développent. Permettez-moi de vous rappeler que 70 % des investissements effectués dans le domaine de l'énergie dans le monde sont réalisés dans les énergies renouvelables ! Veut-on, oui ou non, que notre pays reste un grand pays industriel, notamment dans le domaine de l'énergie ? En France, quand on fait allusion aux grands groupes énergétiques, on n'évoque qu'EDF et Total, en oubliant même Engie. En tout cas, on ne parle des industriels que lorsqu'il y a une crise, comme pour General Electric à Belfort. Pourtant, nous sommes un pays producteur d'éoliennes et d'autres modes de production d'énergie. C'est une force. Mais on ne peut pas vendre cette énergie que sur notre marché intérieur. Il ne faut pas qu'on reste à côté des marchés à l'export. C'est aussi pour cette raison que nous soutenons le développement de l'éolien, du solaire, du biogaz…
Monsieur Delatte, écoutons tout de même ce que nous disons. Il faut développer le photovoltaïque et les barrages hydroélectriques qui n'ont pas d'impact sur le paysage, avez-vous dit. En fait, vous proposez cela parce que vous ne voulez pas de l'éolien, ni terrestre et offshore. J'ai connu une époque où on disait que l'éolien serait plus intéressant s'il était offshore. Puis, lorsqu'on a commencé à faire de l'offshore, c'est l'offshore flottant qui est devenu plus intéressant.. C'est-à-dire qu'on repousse toujours à plus tard et à plus loin. Pour notre part, nous le faisons ici et maintenant et nous assumons. Si nous voulons produire de l'électricité à grande échelle par le photovoltaïque, cela aura un impact : il ne faut pas mentir aux Français – même si l'aspect esthétique est subjectif. L'énergie photovoltaïque n'occupera pas que les grandes toitures. Elle se déploiera aussi au sol. Monsieur le député, il m'arrive de refuser un certain nombre de projets photovoltaïques au sol, parce qu'ils viennent en concurrence directe avec des terres agricoles ou avec des espaces naturels sensibles. Eh oui, dans notre pays, on n'installe pas d'équipements photovoltaïques dans n'importe quelles conditions.
Il en va de même pour l'éolien terrestre. Je ne peux pas laisser dire qu'on en installe dans n'importe quelles conditions. Là encore, il y a des règles. Et, quand vous les croisez toutes pour dresser une cartographie des endroits de France où on peut implanter des éoliennes, vous vous rendrez compte que ce n'est pas possible pour l'essentiel de la surface du pays… Car il y a des règles, ne serait-ce que celle qui défend de rien construire à moins de 500 mètres des habitations. Or, comme l'habitat est assez dispersé en France, cette règle conduit évidemment à réguler les installations. Pour mémoire, il y a 8 000 mâts d'éoliennes en France. Et, si nous remplissions les objectifs de la PPE, ce que nous souhaitons faire, nous arriverions dans dix ans à 15 000 mâts d'éoliennes. Or il y a 200 000 pylônes électriques en France ! Moi qui ai fait du vélo dans le Val-de-Loire, je peux vous dire que quand vous vous promenez dans la belle région de Chinon, avec l'intention d'admirer la Loire, ses espaces naturels, ses constructions magnifiques en tuffeau, ses vignes… plus encore que vous ne les voyez, vous entendez le grésillement des pylônes électriques. Car, depuis l'après-guerre, pour alimenter le pays en électricité à partir des grandes centrales, nucléaires et thermiques, on a implanté 200 000 pylônes en France !
Si j'avais à choisir, sur le plan esthétique, je préférerais les éoliennes aux pylônes. Il se trouve que nous n'avons pas le choix : il faut assurer une production suffisante pour alimenter le pays en électricité, faute de quoi ce qui nous attendrait, ce serait non pas la sobriété ou la décroissance, mais véritablement la restriction autoritaire. Il faut donc accepter un compromis entre l'esthétique – domaine subjectif, du reste – et l'impératif de production. Soit dit en passant – je pense que nous pouvons sourire quelques instants –, Monsieur Turquois, vous avez parlé de la tour Eiffel. Or nous connaissons tous les débats qui ont eu lieu au moment de sa construction : les gens voulaient la démonter. Aujourd'hui, tout le monde la trouve formidable...
Plus concrètement, en ce qui concerne la taille des éoliennes, puisque vous m'avez interrogé sur ce point, je souhaite que l'on soit précis. Dans les derniers appels d'offres pour le terrestre, autrement dit des installations qui seront construites d'ici à 2025, les éoliennes font en moyenne, en bout de pale, 120 mètres. Il ne faut donc pas se faire peur en parlant de 220 mètres. Un certain nombre d'industriels disent qu'on pourrait, un jour, atteindre cette taille. Vous savez d'ailleurs pourquoi ils le proposent : il s'agit de construire des éoliennes moins nombreuses mais plus grandes et plus puissantes. Lorsque cela existera, la décision d'en installer – ou pas – relèvera d'un choix politique. En l'occurrence, nous parlons bien d'éoliennes de 120 mètres. S'agissant d'ailleurs de l'éolien terrestre, l'un d'entre vous a dit que je n'en parlais pas. C'est tout le contraire – je suis même un des seuls à le faire. Je considère qu'il faut en construire, et je l'assume parfaitement.
Madame Batho, vous savez très bien que le projet de loi fait référence directement et explicitement à la stratégie nationale bas carbone, laquelle est la déclinaison concrète des scénarios du GIEC. Il ne faut donc pas se faire du mal ou inventer des divergences là où il n'en existe pas.
S'agissant de l'hydroélectricité, je voudrais citer des propos que vous avez tenus il y a quelques jours dans l'Isère, lors de votre participation à une manifestation. Vous avez dit : « il y a une seule concession hydroélectrique en France, et elle est un service d'intérêt général, et donc elle ne peut pas être privatisée ».
Là aussi, il faut regarder la réalité de notre pays, dans sa diversité. Le fait est qu'il existe des concessions.