Vos questions montrent l'importance de l'Europe sociale et votre implication à ce sujet. Madame la présidente, vous avez évoqué les freins à Erasmus Pro. Il en existe en effet, et ils sont de trois ordres. Le premier était juridique et administratif, et nous l'avons réglé pour la partie française par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous l'avons aussi traité dans le cadre du Traité d'Aix-la-Chapelle, où il est fait référence à un axe franco-allemand destiné à lever les freins à Erasmus Pro de part et d'autre. Il y avait aussi un frein financier au niveau européen ; pour l'instant, le budget consacré à Erasmus Pro a été doublé, et nous pousserons à ce qu'il soit triplé. Enfin, vous avez évoqué le frein psychologique. Il n'existe pas toujours, comme le montrent les Compagnons du Devoir, dont l'ancien tour de France comprend désormais une année dans un autre pays européen. Mais beaucoup de jeunes gens n'aspirent pas à cette démarche parce qu'elle les effraye : beaucoup d'entre eux n'ont jamais voyagé à l'étranger, ni parfois même en France, et cette idée suscite une crainte. Il faudra donc s'attacher à convaincre, en liaison avec les centres de formation d'apprentis : chacun aura un référent pour Erasmus Pro, et les pionniers auront valeur d'exemple. À l'inverse, j'ai vu ces derniers mois combien le fait qu'un apprenti a désormais les mêmes droits qu'un étudiant pour aller pouvoir découvrir un métier, une culture, est une aspiration forte pour une partie de la jeunesse. Je suis donc confiante : il y aura une première vague de volontaires, et j'espère qu'ensuite nous serons débordés par la demande.
Le Traité d'Aix-la-Chapelle permettra de faire progresser le dialogue franco-allemand. L'Allemagne a adopté il y a plusieurs années le principe d'un SMIC, qui a d'ailleurs augmenté régulièrement ; le débat est donc tranché et je ne pense pas qu'un gouvernement allemand reviendrait en arrière, compte tenu du fait que, pour les partenaires sociaux, cet élément est désormais intégré à la dynamique des salaires.
Le dialogue social européen est en effet très important. Business Europe représente les employeurs et la Confédération européenne des syndicats (CES) les organisations syndicales. La Confédération est dirigée par son secrétaire général, Luca Visentini, et a pour nouveau président Laurent Berger. Cela signifie que le travail en commun, qui se faisait très bien avec Luca Visentini, sera plus étroit encore, avec une vision partagée du dialogue social. La CES est partie au G7 social ; c'est une organisation dynamique qui participe beaucoup aux débats et aux travaux et qui contribue à une vision européenne commune.
Sans que je l'aie fait exprès, le décret portant diverses dispositions relatives au détachement des travailleurs et au renforcement de la lutte contre le travail illégal est publié aujourd'hui : c'est une coïncidence heureuse. J'ai aussi signé, hier, un arrêté précisant les activités dispensées de ces obligations déclaratives spécifiques : il s'agit des prestations et opérations de courte durée ou de celles qui se déroulent dans le cadre d'événements ponctuels, matches sportifs ou concerts par exemple.
Les contrôles sont indispensables. Le travail détaché est une très bonne chose quand il correspond à la philosophie pour laquelle il est conçu : quand on ne trouve pas la main-d'oeuvre qualifiée nécessaire dans un pays donné, le détachement permet d'élargir le vivier des compétences, à condition qu'à travail égal soit versé un salaire égal. Mais il y a des cas de fraude, on le sait. Pour lutter contre cela, il existe, au niveau national, deux instruments. Le premier, ce sont les contrôles locaux, en forte croissance depuis deux ans et pour lesquels j'ai fixé des objectifs d'augmentation encore supérieurs. En 2018, 20 360 contrôles ont eu lieu, le nombre le plus élevé depuis 1996. J'ai donné pour objectif en 2019 la réalisation de 24 000 contrôles, le double de ce qui a été fait en 2015. Et l'efficacité tenant aussi à la peur du gendarme, l'annonce d'un plan de contrôles massif a en soi un rôle de prévention. Plus de 8 000 contrôles ont déjà eu lieu depuis le début de l'année.
Pour ce qui est de la base de données SIPSI, nous ne masquons rien, mais elle était quelque peu obsolète : nous l'avons donc refondue. Elle a désormais un portail d'accès spécifique et la refonte, prévue, du système de déclaration de prestations de service internationales devrait être opérationnelle cet été.
L'autre aspect du contrôle, c'est bien sûr l'Autorité européenne du travail. Jusqu'à présent, les contrôles ayant lieu pays par pays, on ne voyait qu'un bout de la chaîne, si bien que l'on ne pouvait déjouer les sociétés « boîtes aux lettres », créées avec l'unique objectif d'embaucher des travailleurs détachés et de les envoyer dans un autre pays, l'Inspection du travail de chacun des deux pays considérés n'ayant qu'une vision tronquée de l'ensemble. L'Autorité européenne du travail en passe d'être créée permettra des opérations communes avec partage des données, ce qui change tout. Pour l'essentiel, le travail détaché se passe correctement, mais quelques filières, y compris dans les pays d'Europe occidentale, créent des filiales fictives dans un autre pays à cette seule fin. Nous allons mettre bon ordre à tout cela. C'est un signe encourageant que, lors de la négociation de ce sujet, il y ait eu accord de tous les pays, y compris ceux du Groupe de Visegrád. Cela signifie que ni la Pologne, ni la Hongrie, ni la République Tchèque ni la Slovaquie n'ont intérêt à la fraude. Je suis donc assez confiante : ce travail commun se fera, parce que tout le monde souhaite qu'il y ait des contrôles transnationaux. Vous l'avez rappelé, la France a également proposé que la plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré permette d'améliorer la coopération administrative entre les États membres ; la méthodologie étant similaire, on gagnerait du temps. Quatre pays se sont portés candidats pour accueillir le siège de l'Autorité. Il y a de bons dossiers et la décision sera prise la semaine prochaine, le but étant que la nouvelle Autorité soit en place d'ici la fin de l'année 2019 ou au début de l'année prochaine. Une soixantaine de personnes y travailleront, issues des différents États membres pour qu'elles maîtrisent les différentes législations nationales. Nous serons très engagés sur ce sujet très important.
L'écosystème des associations et des mutuelles qui porte fièrement le contrôle de l'effectivité des droits par la société civile n'a pas fait l'objet d'un traitement juridique au niveau européen. C'est un sujet dont les partenaires sociaux européens pourraient aussi se saisir et que l'on peut aborder avec eux avant qu'il n'arrive dans le champ législatif ou réglementaire européen.
Nous ferons valoir que le futur calendrier des travaux doit permettre de progresser, au niveau européen, au sujet des travailleurs des plateformes. Il est trop tôt pour dire quelles sont les opinions des États membres, mais nous avancerons en tout cas au niveau français ; quand j'en discute avec mes collègues en tête-à-tête, il apparaît que le sujet intéresse un certain nombre d'entre eux, dont les Allemands, les Italiens et les Britanniques. Nous en parlerons au G7, et le fait que le sujet soit à l'ordre du jour est plutôt de bon augure.
M. Bourlanges a parlé du rapport de force en Europe, question clé pour pouvoir progresser. Mon expérience, depuis deux ans, est celle d'un travail assez intensif : vous avez noté le nombre de directives négociées, dont les plus ambitieuses ont supposé des entretiens en tête-à-tête systématiques avec l'ensemble de mes collègues. J'ai constaté, au fil du temps, que les votes au Parlement européen ne se font pas bloc par bloc, de façon aussi rigide et prévisible que dans un Parlement national : on trouve des majorités par sujet, qui ne reflètent pas toujours les coalitions habituelles. Faire avancer des idées demande donc beaucoup de travail, des députés européens et un Gouvernement extrêmement engagés. C'est ainsi que l'on a réussi à faire adopter la directive relative aux travailleurs détachés.
L'expérience nous a aussi montré que lorsqu'on entretient un dialogue bilatéral réel et ouvert, on se rend compte qu'il peut y avoir des intérêts communs là où l'on pensait qu'il n'en existait pas. Ainsi, le détachement des travailleurs est une question essentielle pour l'économie de certains pays d'Europe centrale ou orientale, mais ils constatent maintenant que leur main-d'oeuvre qualifiée part dans les pays d'Europe occidentale, ce qui les oblige à faire appel à des Géorgiens, des Ukrainiens et des Philippins pour répondre à leurs besoins de main-d'oeuvre. Aussi, tout à coup, les discussions à ce sujet permettent de trouver des voies de passage, celles qui traduisent un intérêt commun : le travail détaché doit rester possible, certes, mais si certaines règles sont respectées pour empêcher le dumping social. Si l'Union européenne peut aider ces pays à rehausser leur niveau de performance et donc de salaire et de protection sociale, on peut trouver une meilleure régulation. C'est un travail de longue haleine mais il n'y a vraiment pas de fatalité et tout dépend de l'investissement auquel on s'oblige pour convaincre. Les positions prises ne sont pas simplement des positions de principe, elles dépendant aussi de ce travail quotidien. C'est pourquoi nous avons besoin des parlementaires, parlementaires nationaux compris, pour ce travail d'influence ; à chaque fois que vous faites un rapport, vous rencontrez les délégations des autres pays, et vous y contribuez.
Quelques tribunaux prud'homaux ont effectivement contesté la barémisation. Je rappelle que la disposition, inscrite dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a été validée par le Conseil d'État et par le Conseil constitutionnel puisqu'il y avait eu une question prioritaire de constitutionnalité. Les deux instances l'ont jugé compatible avec le règlement de l'Organisation internationale du travail (OIT), ce qui assoit la sécurité juridique du texte ; nous verrons quelle sera l'issue des procédures d'appel. Et pour finir de répondre à la question posée, la barémisation est très fréquente en Europe : un grand nombre d'autres pays européens appliquent un plancher et un plafond de même nature. On ne peut préjuger d'une décision de justice, mais l'exemple européen conforte notre position.
S'agissant de la portabilité des droits, nous avançons au niveau français avec le compte personnel de formation, inscrit dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a transformé des droits formels en droits réels. Je suis impatiente de savoir ce qui se passera en novembre, quand l'entrée en vigueur du compte personnel de formation permettra qu'en France 26 millions d'actifs puissent faire valoir leur droit à 500 euros par an et à 800 euros s'ils ne sont pas qualifiés à toute l'offre de formation référencée. Hier encore, je suis allée me rendre compte, avec le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, auprès des nombreuses équipes de la Caisse qui mettent en oeuvre ce dispositif, de l'état de préparation de ce qui sera une grande avancée. D'ailleurs, plusieurs pays européens du G7 attendent de connaître les résultats de notre expérimentation et m'ont dit que si les effets sont ceux que nous escomptons, ils devront suivre car c'est une révolution nécessaire dans le champ de la formation, en plus de ce que font les entreprises pour faire évoluer les compétences de leurs salariés, de permettre à chaque citoyen d'appréhender l'avenir avec plus de confiance, parce qu'il ou elle peut avoir un droit à une formation professionnelle.
La portabilité des droits est la doctrine qui sous-tend pour l'ensemble de nos réformes : elle vaut pour l'assurance chômage, pour les retraites – un système unique est préférable à quarante-deux systèmes – et pour la formation. Cette démarche générale me paraît moderne, compte tenu de la très forte évolution des métiers, des statuts et des situations au cours d'une vie professionnelle. Il n'existe pas encore de plan précis à ce sujet au plan européen, mais étant donné notre conviction absolue de la nécessité de cette évolution, nous pousserons ce sujet. Le calendrier européen n'est pas dissocié de notre calendrier national : il en est l'extension, le prolongement ou le point d'appui selon les cas et une même philosophie se déploie dans deux espaces différents, avec des règles un peu différentes et des partenaires différents.