Dans le cadre du Printemps de l'évaluation, j'ai choisi d'axer ma réflexion sur le crédit d'impôt pour le spectacle vivant (CISV), qui fait l'objet de nombreuses critiques, y compris au sein de cette commission des finances. À chaque projet de loi de finances, les professionnels s'inquiètent et se demandent si le dispositif sera reconduit, et sous quelles conditions.
Cette inquiétude est décuplée depuis que le Gouvernement s'est mis en tête de faire le ménage dans les niches fiscales. Certains dispositifs sont assimilés à des privilèges indus alors que, pour l'essentiel, ils soutiennent l'économie et l'emploi au sein de filières souvent fragiles. C'est le cas du CISV, qui bénéficie quasi exclusivement à des petites et moyennes entreprises et qui soutient des productions artistiques émergentes. Rappelons que le CISV s'adresse aux producteurs qui engagent les frais de création d'un spectacle et qui financent, en tant qu'employeurs, le plateau artistique. Il est donc au coeur du soutien à la création.
Que reproche-t-on à ce dispositif ? Son coût, d'abord, que l'on dit exponentiel, au motif qu'il attire chaque année plus d'entreprises – 210 en 2018. Quoi de plus normal, s'agissant d'un dispositif si jeune, qui n'a que deux ans et demi ? Il faut du temps avant que les entreprises se saisissent de dispositifs nouveaux, surtout lorsque ces derniers ne se signalent pas par leur simplicité, comme c'est le cas, en l'espèce. Du reste, la dépense fiscale au titre du CISV, qui s'est élevée à 15 millions d'euros en 2018 – un chiffre à mettre en perspective avec les 328 millions d'euros de l'ensemble des crédits d'impôt dans le domaine de la culture – correspond en tout point aux prévisions. Il n'y a donc pas eu de mauvaise surprise, pas plus qu'il n'y en aura à l'avenir. D'après la direction générale de la création artistique, le dispositif a probablement déjà atteint son rythme de croisière.
On lui reproche, ensuite, d'être mal calibré. Pourtant, le projet de loi de finances pour 2019 l'a sérieusement resserré, au point que les spectacles d'humour et les comédies musicales en sont désormais exclus. Cette exclusion est difficilement justifiable, y compris du seul point de vue budgétaire. Cela étant, il est sans doute nécessaire d'affiner encore les critères d'attribution pour mieux cibler l'émergence des effets d'aubaine et les corriger. Les professionnels sont ouverts à la discussion, à condition d'y être étroitement associés, ce qui n'a pas été le cas pour les types de spectacles que je viens d'évoquer.
On reproche encore au CISV d'être mal évalué, ce qui est surprenant, dans la mesure où le ministère de la culture a diligenté des travaux sur celui-ci à l'été 2018, dont les conclusions fourniraient d'ailleurs une base de travail intéressante en vue de son adaptation. Mais, à ce jour, c'est une étude plus récente de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires culturelles qui semble faire référence. Ce rapport à charge – c'est le moins que l'on puisse dire – n'envisage le CISV que sous l'angle de la dépense fiscale et des critères d'éligibilité jugés trop souples. Ses auteurs ne sont pas loin d'affirmer que le CISV s'apparente à une subvention déguisée en crédit d'impôt. Cette analyse fait fi de l'extrême fragilité économique du secteur et du soutien décisif qu'apporte le crédit d'impôt à la filière.
Les chiffres, qu'ils proviennent de la direction générale de la création artistique ou des professionnels eux-mêmes, confirment tous l'impact positif du CISV. En termes d'emploi, d'abord, il s'est traduit par une hausse de 10 % entre 2016 et 2017 dans les structures bénéficiaires. Il a également eu des effets sur la création, puisque 153 nouveaux spectacles ont vu le jour en 2017 grâce à lui. Enfin, il ne faut pas négliger les retombées pour l'État, puisque 1 euro investi rapporte 2,40 euros sous forme d'impôt ou de cotisations sociales. C'est un dispositif gagnant-gagnant. Les professionnels y sont attachés et se disent prêts à le faire évoluer si nécessaire, pourvu qu'on le pérennise, et surtout qu'on lui donne, à l'avenir, une meilleure visibilité.
Pour conclure, je dirai qu'à l'heure où l'État accorde un soutien appuyé au cinéma, et à juste raison, et où il mène une réflexion approfondie sur l'audiovisuel, il ne faudrait pas que le spectacle vivant – tout le spectacle vivant – se sente laissé pour compte. Ce serait non seulement injuste, mais également dangereux pour la qualité de la création. Sachons au contraire saisir l'occasion que nous offre la création du Centre national de la musique pour consolider le dispositif et mieux cibler les créations émergentes. C'est en tout cas le sens du message que je souhaite délivrer aujourd'hui et j'espère, monsieur le ministre, pouvoir compter sur votre soutien. Il conviendrait de rassurer les professionnels, alors que le crédit d'impôt a déjà été supprimé pour certains d'entre eux par la dernière loi de finances.