Avant d'entrer dans le détail, je rappelle que les crédits de cette mission se sont élevés à 1,383 milliard d'euros en 2018, soit une augmentation de 26 % par rapport à 2017, augmentation qui s'est depuis confirmée dans la LFI pour 2019 : près de 25 %, ce qui représente 311 millions d'euros supplémentaires.
Je remercie les rapporteurs d'avoir été assez loin dans l'évaluation pour éclairer la réflexion d'une façon peut-être nouvelle. Il y a une logique de progression des dépenses qui doit nécessairement nous interpeller sur leur mise en oeuvre, à la fois d'un point de vue budgétaire mais aussi politique.
Les interventions que nous venons d'entendre, venant de groupes différents et sans esprit de polémique, montrent l'importance de ce sujet. Et derrière ce phénomène, il y a des femmes et des hommes : on doit également prendre en compte cette dimension majeure.
Il faut, par ailleurs, assumer les choix politiques qui ont été faits. Les évolutions que l'on a connues en sont aussi la conséquence. Il s'agissait tout d'abord de progresser en ce qui concerne la sincérité des crédits demandés chaque année au Parlement. Même si des sous-dimensionnements ont été évoqués, et j'y reviendrai, il y a une volonté d'éviter des ouvertures massives de crédits en cours d'année, même si c'est un sujet sur lequel nous aurons encore à progresser, y compris s'agissant de 2019.
J'ai souhaité rappeler l'évolution sur les deux dernières années car elle met en évidence l'engagement absolu du Gouvernement et du ministère de l'intérieur pour transformer notre politique migratoire, autour de l'équilibre politique que vous connaissez, entre fermeté et humanité : fermeté à l'égard de celles et ceux qui n'ont pas vocation à venir en France et à y rester, et humanité vis-à-vis de celles et ceux à qui nous devons assurer une protection au titre de l'asile, étant entendu que la fermeté ne peut être appliquée sans humanité. Il faut être réaliste et pragmatique sur ce sujet, et ne pas tomber dans l'angélisme. Je crois que nous devons vraiment accueillir dignement ceux qui ont vocation à séjourner dans notre pays et éloigner, conformément au droit, ceux qui se sont vus refuser l'accueil.
On voit bien, à travers vos questions, que l'on doit agir à différents niveaux, et d'abord dans les pays de départ. On n'a pas abordé la question de l'aide au développement, mais je sais que chacun l'a en tête. Il est également essentiel de pouvoir contrôler les zones de départ dans les aéroports. Des officiers de liaison sont sur place et je pourrai revenir tout à l'heure sur la fraude documentaire. Il est important de travailler sur ce sujet. La lutte contre les passeurs importe aussi. Il existe des filières de criminalité organisée contre lesquelles nous devons être mobilisés : 321 filières de passeurs ont ainsi été démantelées en 2018.
Il y a ensuite les conditions d'examen des dossiers d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement de ceux qui font une demande, notamment au titre de l'asile, et de ceux qui obtiennent ensuite un titre de séjour ou un titre lié à la protection et à l'asile, et que nous devons accompagner. Je voudrais souligner l'effort, issu d'une initiative parlementaire, à l'Assemblée nationale, réalisé sur le sujet de l'intégration : pendant trop longtemps, on s'est opposé les uns aux autres dans des débats de chiffres, sur le nombre de personnes accueillies ou non, sans jamais vraiment se poser la question de la qualité de l'intégration. Or on sait qu'elle est absolument déterminante. Tout cela a contribué à l'évolution budgétaire que vous avez soulignée.
Il est indispensable de travailler sur tous les fronts. Vous avez insisté à juste titre, monsieur Dumont, sur la dimension de coopération internationale : les accords que nous multiplions avec les pays d'origine incluent l'aide au développement et l'action de lutte contre l'immigration illégale. J'assume le fait de lier les deux : la coopération doit effectivement se faire dans ces deux sens.
Mais il arrive souvent que des pays soient en difficulté parce qu'ils n'ont pas d'état civil ; c'est le problème auquel nous nous heurtons pour la constitution des laissez-passer consulaires. Cette dimension internationale est toutefois indispensable, car avant de traiter ceux qui arrivent en France dans des conditions qui quelquefois confinent à l'inhumanité, il faut traiter le sujet du pays de départ au niveau de l'aide au développement, mais aussi au niveau des conditions de transport : on peut venir de Géorgie, par exemple, s'installer en France et demander l'asile pour 50 euros, ce qui correspond au prix minimum d'un vol low cost pour venir depuis la capitale géorgienne. Effectivement, cela doit nous interroger, y compris d'ailleurs sur l'aide financière au retour dans le pays – j'y reviendrai. Mais nous devons travailler – et je prends l'exemple de trois pays que j'ai visités récemment à ce sujet : la Géorgie, la Côte d'Ivoire et le Sénégal – pour faire en sorte d'être présent au moment des départs afin d'empêcher ceux n'ont pas vocation à aboutir à la protection, donc à l'asile.
Mais il faut aussi en même temps mener une politique d'éloignement résolue : les éloignements de départs volontaires ou de départs spontanés, mais aussi de plus de 30 000 étrangers en situation irrégulière ont augmenté de 22 % par rapport à l'année 2016. Est-ce suffisant ? Une chose est sûre, il faut aussi assumer de poser la question – qui ne trouve pas sa traduction dans l'évaluation des politiques publiques du ministère de l'intérieur – de l'attractivité de la France. Le nombre de demandeurs d'asile en Europe baisse très fortement alors qu'il continue d'augmenter en France ; cela doit absolument nous interroger. Vous évoquiez, monsieur Dumont, les « pays de rebond » ; nous étions en moyenne à 1,7 dépôt pour un Afghan avant qu'il arrive en France. C'est pourquoi nous devons déjà traiter les sujets internes à la dimension européenne, à l'espace européen, de cette question.
Pour ce qui est des CRA, 480 nouvelles places ont été construites entre 2018 et 2020, 2,6 millions d'euros seront consacrés en 2019-2020 à la réfection de CRA, et nous nous sommes fixés pour objectif l'ouverture de 500 places supplémentaires afin de répondre aux nécessités. Parallèlement, et le sujet n'a pas été abordé, je rappelle que depuis 2015 nous avons doublé le nombre de places d'hébergement, qui atteindra 100 000 à la fin de l'année, ce qui représente donc un engagement financier significatif. Je n'opposerai évidemment pas l'urgence de l'hébergement à la question financière mais, lorsque l'on est parlementaire et qu'on vote le budget ou lorsque l'on est ministre et qu'on l'exécute, il faut évidemment se poser cette question.
Pour balayer ensuite l'ensemble des sujets, très larges, que vous avez abordés, je voudrais d'abord revenir sur le rapport de MM. Barrot et Holroyd. Si nous pouvions débattre du mode de calcul, de l'imputation de telle ou telle dépense, y compris des dépenses judiciaires liées aux décisions, nous y passerions des heures. Je partage totalement la méthodologie, l'approche ainsi que la philosophie de vos conclusions que je trouve équilibrées : ce genre de rapport et surtout ce genre de sujet donnent toujours lieu à des emballements médiatiques et politiques et à des interprétations assez éloignées de ce que vous avez écrit. Il faut effectivement rappeler qu'éloignement forcé et éloignement volontaire ne doivent pas être opposés : ce sont des mesures complémentaires. Il n'y aurait aucun éloignement volontaire s'il n'y avait pas d'éloignements forcés : nous réaliserions de substantielles économies sur l'éloignement volontaire, car personne ne le pratiquerait...
Il faut en effet avoir en tête que le retour volontaire est systématiquement proposé aux différentes étapes de la procédure, ce qui est indispensable ; et il peut être amélioré. Nous l'utilisons à fond, il a d'ailleurs augmenté de 92 % – autrement dit, il a été pratiquement doublé – depuis 2017 pour les personnes faisant l'objet d'une OQTF. Ce dispositif peut réellement fonctionner, parce qu'il permet précisément un retour dans de bonnes conditions ainsi que d'ailleurs, une espérance pour la personne qui revient au pays.
Mais si j'ai beaucoup fait pour que le retour volontaire soit systématiquement proposé par l'OFII à ceux qui n'ont pas vocation à rester en France, et parfois même assorti d'un accompagnement individuel pour aider à la construction d'un projet, il n'en faut pas moins – vous l'avez rappelé dans votre rapport – prendre garde aux effets d'aubaine et d'opportunité. Si j'ai voulu fortement développer les retours volontaires, je me suis limité aux pays qui se prêtent peu à des allers-retours : dans le cas de l'Afghanistan, par exemple, le retour volontaire est un bon dispositif lorsqu'il est accepté, parce qu'on sait la difficulté qu'aurait le bénéficiaire à revenir en France quelques semaines après le départ d'Afghanistan. À l'inverse, nous utilisons assez peu ce dispositif pour la Géorgie : le prix du retour est largement supérieur au prix du billet et le dispositif deviendrait trop coûteux. Rappelons que l'aide au retour consiste en une aide financière pouvant aller jusqu'à 600 euros pour les pays tiers soumis à visa et à 300 euros pour les autres.
Nous devons donc évidemment nous livrer à cette analyse en termes d'opportunité pour lutter contre les effets d'aubaine, mais je partage totalement la philosophie de cet équilibre que nous devons construire et développer. Au total, plus de 30 000 étrangers en situation irrégulière auront quitté le territoire national en 2018 – éloignement, départs volontaires ou spontanés –, soit un niveau supérieur de 22 % à 2016.
Pour conduire cette politique, il nous faut utiliser les moyens dont vous avez doté le Gouvernement ; en particulier, l'extension de la durée de rétention jusqu'à 90 jours notamment a montré son utilité. C'est lorsque les intéressés sont placés en rétention que le meilleur taux d'efficacité d'application des OQTF est atteint ; il est rare que l'on parvienne à les faire appliquer lorsque les gens sont sortis de rétention et sont partis dans la nature. Au point qu'il peut arriver que des avions, qui entrent pour une bonne part dans le coût du retour, soient seulement à moitié pleins ; c'est pour nous une vraie difficulté.
Je souhaite par ailleurs insister, comme vous le faites aussi dans votre rapport, sur la nécessité de conserver un dispositif de retour forcé. Je prendrai un exemple simple : treize personnes originaires du Sri Lanka sont arrivées il y a deux semaines à Mayotte – j'ai d'ailleurs eu l'occasion de répondre sur ce sujet à une question d'actualité posée à l'Assemblée nationale ou au Sénat. J'ai veillé à ce que nous mettions en oeuvre le plus rapidement possible un dispositif d'évaluation de la demande d'asile, que tous les intéressés avaient demandée. Un seul dossier sur douze a été retenu ; les douze autres arrivants seront reconduits au Sri Lanka. Et comme il n'existe pas de ligne Mayotte-Sri Lanka, je dois à la vérité de dire qu'ils repartiront par avion spécial, pris en charge par le contribuable français ; mais c'est le prix du message politique que nous devons faire passer, pour bien faire comprendre qu'il n'y a pas de destination à Mayotte pour une immigration irrégulière organisée par des filières de passeurs. La gestion de la discussion sur les retours volontaires dépend aussi de la force de ce message, de notre capacité à procéder en toutes circonstances à des reconduites et des retours forcés. C'est un équilibre à mes yeux essentiel.
Au-delà de cette dimension politique, mais je pense que cet échange est utile, vous m'avez interrogé sur la sincérité – même si le rapporteur général n'a pas utilisé ce mot – de la loi de finances pour 2018, en émettant quelques doutes pour 2019. Comment la loi de finances pour 2018 a-t-elle été construite ? Sur une hypothèse qui s'appuyait sur les données disponibles au premier semestre 2017, qui faisaient notamment état d'une hausse de la demande d'asile de 6 % en 2016. Partant de ces éléments, le budget 2018 avait tablé, de mémoire, sur une croissance de 10 %. Malheureusement, il en est allé tout autrement : nous nous sommes retrouvés avec 126 000 demandeurs d'asile, bien plus que le chiffre de référence retenu, ce qui a effectivement posé un problème budgétaire. Cela représente 22 % d'enregistrements supplémentaires à l'OFPRA, en grande partie liés, M. Dumont l'a relevé, à des mouvements secondaires infraeuropéens de demandeurs d'asile. Le même phénomène se reproduit actuellement, auquel vient s'ajouter depuis le début de l'année un afflux en provenance de Géorgie : à peu près 1 000 personnes par mois, qui utilisent des vols directs pour venir en France. Mais dans bon nombre de cas, il s'agit de gens qui se trouvaient déjà en Europe. Cela pour une raison simple, qui tient à l'attractivité de la France : la demande d'asile en Europe a baissé très fortement par rapport à 2015, alors qu'elle continue à augmenter en France. Cela doit nous amener à nous interroger sur ces questions et sur les raisons de ces rebonds infraeuropéens : ou bien il s'agit de gens qui viennent d'un pays dans lequel ils vivaient en situation irrégulière depuis quelque temps, ou bien ils sont passés par des pays « transparents », compte tenu des nouvelles portes d'accès ou des évolutions constatées dans les entrées en Europe : l'Espagne en particulier est devenue la principale porte d'entrée en Europe, alors la Méditerranée centrale, dont on a beaucoup parlé, ne l'est quasiment plus. Dans les deux cas, ce sont les pays de rebond comme la France qui sont directement concernés par ce phénomène.
Je confirme par ailleurs que les premiers mois de 2019 laissent entrevoir une poursuite de la tendance haussière de la demande d'asile ; je ne peux pas vous donner de chiffres précis parce que l'évolution entre mars et avril est déjà forte, ce qui nous empêche de disposer d'une base statistique suffisante, mais c'est la réalité.
En revanche, le problème du transfert des « dublinés », sur lequel vous m'avez interrogé, s'est sensiblement amélioré au cours des derniers mois, notamment dans le cadre du protocole que nous avons conclu avec l'Allemagne : le nombre de retours a bien progressé. Globalement, entre 2015 et 2018, il a été multiplié par six, et la tendance sur les douze derniers mois fait apparaître une augmentation de 50 %, ce qui est significatif. Je pourrais me contenter de ces résultats, mais je considère malgré tout que notre taux de transfert total, quand bien même il est en constante augmentation, reste trop modeste. Nous devons donc travailler à cette question.
Pour ce qui est des laissez-passer consulaires, tout dépend des pays. Avec certains, les choses se passent très bien : je me garderai de critiquer la Géorgie sur ce point, puisqu'elle répond à 99 % de nos demandes de laissez-passer consulaires. Avec d'autres pays, cela fonctionne moins bien. Vous avez cité les trois pays du Maghreb : avec le Maroc, ça marche, avec l'Algérie, ça ne marche pas et avec la Tunisie, ça ne marche pas bien – et c'est un euphémisme...
À l'occasion de mon déplacement au Sénégal, il y a une dizaine de jours, nous avons conclu un accord qui devrait être efficace : c'est un accord global, qui porte à la fois sur des présences et des contrôles sur la fraude documentaire dans les aéroports de départ, mais aussi sur des contrôles et la présence d'officiers de liaison des pays d'origine dans les aéroports français. D'autres pays comme la Côte d'Ivoire sont aux prises avec d'énormes difficultés liées à la fraude documentaire ; là aussi, des contrôles, in situ, dans l'aéroport du pays d'origine, nous permettent d'améliorer le nombre des non-départs, ce qui est toujours la meilleure façon de gérer la situation.
Le nombre de laissez-passer consulaires délivrés en temps utile a augmenté de 36 % en 2018 ; je pense que nous sommes dans les mêmes eaux pour 2019, avec peut-être une amélioration. Mais je dois à l'honnêteté de vous dire que, face à des procédures longues, lourdes et qui parfois n'aboutissent pas, certains préfets ont pris l'habitude avec certains pays de ne pas demander systématiquement le laissez-passer consulaire. C'est pourquoi je me rends dans les pays les plus difficiles afin de pouvoir en rentrant dire au préfet : « J'ai rencontré le chef de l'État, il s'est engagé et a donné des consignes claires. » Nous devrons évaluer si cette démarche porte ses fruits ; je propose que nous le fassions ensemble. Un déplacement et une convention signée entre deux pays, c'est formidable, mais s'assurer de son efficacité, c'est toujours mieux...
S'agissant des CRA, 327 places ont été créées en 2018. Je souhaite que l'effort soit poursuivi : l'objectif est fixé à 500 pour 2019 avec des travaux réalisés à Nîmes, Lyon, Coquelles et Lille, qui doivent nous permettent de renforcer le dispositif.
La PAF, enfin, objet d'une question du rapporteur général, souffre en effet d'un déficit au regard des effectifs théoriques ; mais elleest un des bénéficiaires du plan de 10 000 recrutements mis en oeuvre sur la durée du quinquennat, qui prévoit que 800 emplois lui seront alloués à ce titre. Au cours de l'année 2018, 147 renforts ont été obtenus ; ils seront 184 de plus à la fin de cette année, soit 331 au total en deux ans.