Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Internet est un espace d'expression publique extrêmement important en raison du nombre absolument incroyable de personnes qui s'y expriment et par son caractère, parfois, d'outil d'émancipation et de mobilisation. Nous l'avons vu au cours des dernières années, notamment en Égypte, où il a permis aux citoyennes et aux citoyens de s'organiser. Dernièrement, les mouvements comme #Balancetonporc ou #MeToo ont permis de dénoncer la violence systémique dont les femmes sont victimes.

C'est aussi un lieu d'expression où des personnes, notamment les plus vulnérables, les femmes, les personnes LGBT et les personnes racisées, tout en trouvant parfois, en dehors des canaux habituels, des espaces de discussion et d'émancipation, sont confrontées aux mêmes violences et aux mêmes rapports de force sans les cadres de la loi ou sans que chacun y ait conscience de ses droits et de ses devoirs. Il est donc important d'en débattre.

Malheureusement, le texte proposé, tel qu'il est conçu, expose nos libertés fondamentales à des risques mal mesurés, mal maîtrisés. Il témoigne en outre d'une analyse qui nous semble incomplète, partielle et biaisée des problématiques de discrimination sur internet.

En matière de garanties démocratiques, rappelons que la Convention européenne des droits humains en son article 10 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en son article 11 protègent la liberté d'opinion et la liberté d'expression qui en découle. La Cour européenne des droits humains exige une prévisibilité et une proportionnalité des blocages, et une protection renforcée de la parole à visée politique et militante. Or le texte actuel ne prévoit pas les garanties nécessaires. Le champ des plateformes visées est bien trop large. Ainsi, La Quadrature du Net souligne que l'exigence de retrait de contenus en moins de vingt-quatre heures fait peser une obligation disproportionnée sur les plateformes non commerciales que beaucoup de personnes consultent, comme Wikipedia, qui n'a pas les moyens de Facebook.

Ce défaut du texte initial est aggravé par l'amendement CL90 de la rapporteure, qui élargit encore le champ des sites concernés aux sites de référencement de contenus proposés ou mis en ligne par des tiers, tandis que l'amendement CL91 substitue à un seuil de nombre de connexions un simple seuil d'activité. Par un autre amendement, elle étend le champ des motifs de blocage possible, sans que des garanties substantielles soient données quant à la possibilité, pour les personnes concernées, de contester un sur-blocage. Ce sont donc maintenant des opérateurs privés qui vont déterminer, sous peine de sanctions pécuniaires, quels contenus relèvent de l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d'exploitation d'une personne réduite en esclavage, des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi, des crimes d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique, d'agressions sexuelles, de vol aggravé, d'extorsion, de destruction, dégradation ou détérioration volontaire dangereuse pour les personnes. Cela me semble tout de même assez discutable. De notre point de vue, cette multiplication des motifs de blocage est une incitation au sur-blocage et une multiplication des possibilités de censure par une plateforme privée à qui des prérogatives sont ainsi déléguées. Rappelons que le pouvoir économique de ces plateformes privées à qui l'on confie un rôle de contrôle de la parole publique est parfois comparable au produit intérieur brut de certains États !

Du point de vue du groupe La France insoumise, il est possible de protéger les victimes tout en garantissant la liberté d'expression, par exemple en limitant le pouvoir des GAFA tout en développant plus d'outils. Nous avions ainsi déposé un amendement sur la question de l'interopérabilité. Il a été jugé irrecevable, mais je crois que ce débat sera rouvert – il est nécessaire.

Par ailleurs, la problématique de la lutte contre les discriminations sur internet n'est pas abordée. Nous considérons que les agressions verbales discriminantes méritent des réponses judiciaires. Il y a un problème en termes de prise en charge et de formation des agents de la justice mais aussi de la police. Ces moyens n'étant pas donnés aux services publics dont la responsabilité est de traiter ce type de situations, cette proposition de loi n'est malheureusement, de notre point de vue, qu'un texte cosmétique, en même temps que dangereux pour la liberté d'expression.

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