Je vous remercie, madame la présidente, pour les deux minutes que vous m'accordez. Du coup, je vais aller très vite et passer sur les précautions d'usage : personne ne peut évidemment s'opposer à la lutte contre la haine sur internet ; on ne peut évidemment pas fermer les yeux sur la propagation – et même la généralisation – des propos haineux sur la toile. Votre texte est le bienvenu pour agir en ce sens, même si je ne suis pas absolument convaincue de la nécessité de passer par le vecteur législatif pour ce faire.
Ce qui est problématique, en revanche, c'est l'article 1er de votre proposition de loi. Vous demandez aux opérateurs de plateforme en ligne d'être davantage responsables en les obligeant à retirer les contenus haineux sous vingt-quatre heures maximum. Très bien. Mais dans l'absolu, cela pose une question difficile à trancher : ces opérateurs sont-ils les mieux placés pour exercer cette mission a priori quand il est déjà parfois si difficile pour les juges de le faire a posteriori ? Quelle légitimité auront ces opérateurs à le faire ? Avec cet article 1er, vous prenez le risque d'autoriser ces plateformes à exercer une certaine forme de censure. Vous le savez, les zones de gris sont toujours très difficiles à appréhender. Les plateformes ne sont probablement pas les mieux placées pour le faire. C'est un véritable risque que vous faites peser sur nos libertés fondamentales et en premier lieu la liberté d'expression.
Quant à l'alinéa 2 de votre article 1er, il pose deux problèmes. Tout d'abord, en prononçant une sanction pécuniaire basée sur le chiffre d'affaires de la plateforme fautive, que faites-vous du respect du principe de proportionnalité entre la sanction et l'infraction ? Ensuite, l'indexation de l'amende sur le chiffre d'affaires pose problème puisqu'elle ne peut être justifiée que par un lien entre l'infraction et le chiffre d'affaires qui en est retiré, ce qui n'est manifestement pas le cas ici.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de censurer de nombreux dispositifs de sanctions financières dont le plafond était calculé en pourcentage du chiffre d'affaires, dès lors qu'il n'y avait pas de lien rationnel entre le comportement prohibé et les modalités de calcul du plafond de l'amende envisagée. Je fais notamment référence à une décision du 4 décembre 2013. Le Conseil constitutionnel a jugé que lorsque le maximum de la peine est établi en proportion du chiffre d'affaires de la personne morale prévenue et que le législateur a retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépende pas du lien entre l'infraction et le chiffre d'affaires, cela est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction constatée.
Certains juristes considèrent en outre qu'une telle disposition serait contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il me semble donc qu'en l'état, ce texte ne permettra pas d'atteindre l'objectif qu'il se donne, et qu'il mérite d'être retravaillé en séance.