Le code de l'énergie prévoit déjà de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050. Vous proposez désormais de viser la neutralité carbone. Les modalités de calcul de cette dernière font débat. Cependant, il faut tenir compte de notre capacité d'absorption du CO2 dans des « puits de carbone », qui avoisine aujourd'hui les 40 millions de tonnes par an, à comparer aux 450 millions de tonnes de CO2 émises. Une chose est sûre : la neutralité carbone n'est pas un objectif facile à atteindre.
Vous parlez d'un facteur 6 ou d'un facteur 8, mais quel en serait l'impact environnemental ? Compte tenu du poids de la France dans la hausse des températures – notre pays ne représente que 0,5 % à 0,8 % des émissions de gaz à effet de serre – , l'impact de vos mesures s'exprime en dix-millièmes de degrés. Si la France réduisait à zéro ses rejets, progressivement, d'ici à 2050, la température du globe serait diminuée de 13 dix-millièmes de degré. Une division par quatre de nos rejets entraînerait une moindre augmentation de température de 10 dix-millièmes de degré ; une division par six de 11 dix-millièmes ; une division par huit de 12 dix-millièmes. Quel prix allons-nous payer pour obtenir ces dix-millièmes de degré ? La question est d'autant plus importante que le coût marginal de la tonne de CO2 croît : en d'autres termes, plus vous faites des économies, plus la dernière tonne économisée coûte cher. Peut-on, sans se faire insulter, suggérer que l'impact n'est pas considérable ?
Nous devons regarder d'où nous partons. La France émet 4,38 tonnes de CO2 par habitant quand le Canada et les États-Unis en émettent 15 ou l'Australie 16. La Chine s'en sort à 6,57 tonnes de CO2 par habitant, mais elle est responsable de 28 % des émissions mondiales. Il faut regarder les effets de masse. La France peut être comparée à un individu qui pèse 60 kilos, auquel le médecin conseille de faire un régime, alors qu'elle se trouve à côté de trois géants – la Chine, les États-Unis et l'Inde – qui pèsent 3 tonnes à eux trois. On ne maigrit pas de la même manière selon le poids d'origine. Dans notre pays, l'électricité est déjà largement décarbonée. La transition énergétique, oui ; la trahison énergétique, non !
Tout cela a un prix. Le coût marginal de la tonne de CO2 évitée va devenir exponentiel. Rendez-vous compte que le facteur 5 implique une économie de 1,7 tonne de CO2 par an, soit dix fois moins que ce qu'un ménage émet actuellement. Cela représente, au choix, un an de chauffage au gaz pour un appartement de 85 mètres carrés, 10 000 kilomètres parcourus en voiture avec une consommation de six litres aux cent ou la fabrication d'un gros ordinateur. Un seul aller-retour entre New York et Paris en avion suffira à consommer plus de deux fois votre quota annuel. En réalité, lorsqu'on parle de facteur 5, de facteur 6 ou de facteur 7, il faut remettre en cause l'hyperconsommation, l'étalement urbain, l'agriculture intensive… Bref, il faut comprimer le PIB. Là, vous jouez sur les mots. Votre définition de la neutralité carbone implique d'introduire la technologie pour soustraire du CO2 de l'atmosphère ; or cette philosophie du progrès technique agace les apôtres de la décroissance, vos alliés présents dans cet hémicycle, qui utilisent le facteur 5, le facteur 6 ou le facteur 7 pour parler de la fin du capitalisme.