Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mercredi 26 juin 2019 à 15h00
Énergie et climat — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Je suis en train de parler, monsieur le ministre, merci. Où est votre écologie d'action pour empêcher l'artificialisation des terres, qui est un facteur aggravant du réchauffement climatique ? Aujourd'hui des travaux ont commencé sur le site du triangle de Gonesse en vue du projet inutile d'Europa City. Un comble en ce jour de canicule ! Le Haut Conseil pour le climat, créé par Emmanuel Macron lui-même, tire la sonnette d'alarme sur les insuffisances abyssales de votre politique.

Fermez réellement les centrales à charbon, plutôt que de contourner vos propres objectifs en laissant ouverte la possibilité que ces centrales continuent à tourner après 2022. Ce serait plus efficace qu'un changement de tenue. Respectez les engagements présidentiels en interdisant à la location les passoires énergétiques, alors que 3,5 millions de familles ont froid dans leur logement.

L'inaction verbeuse, cela résume le présent projet de loi. Votre foi aveugle dans l'énergie nucléaire est réaffirmée, avec le refus de tenir les engagements de la loi de 2015, et le report de la réduction à 50 % de production électrique d'origine nucléaire de 2025 à 2035. Vous ne faites d'ailleurs rien – et cela fait longtemps que nous vous interpellons sur la question – pour les sous-traitants, qui s'occupent pourtant de 80 % du secteur nucléaire. La semaine dernière, une pierre s'ajoutait encore à l'édifice de la folie nucléariste : le désastre de l'EPR se poursuit avec les soudures défectueuses. Le mythe du nucléaire pas cher et efficace s'effondre : dix ans de retard et plus de 7 milliards de surcoût !

L'énergie nucléaire est une énergie du passé. Vous en étiez d'ailleurs convaincu vous-même, monsieur le ministre d'État, qui souhaitiez, il y a à peine trois ans, sortir de cette énergie à l'horizon 2050.

Je vous ai remis, il y a quelques mois, notre proposition de loi pour la sortie des énergies nucléaires et carbonées, et le passage à 100 % d'énergies renouvelables d'ici à 2050. À étudier votre projet de loi, je crains que vous n'en ayez fait une lecture inattentive !

Écologiquement, dans votre loi, le compte n'y est assurément pas. Votre politique énergétique se place sous le signe d'une continuité absurde, à l'heure où l'ensemble de notre matrice productive et des consommations énergétiques devraient être modifiées. Le compte n'y est pas. Vous avez salué, monsieur le ministre d'État, un amendement adoptant l'état d'urgence écologique et climatique. Nous sommes heureux que vous vous réjouissiez de l'inscription dans la loi d'une proposition que nous avions faite il y a plus d'un mois, relayant ainsi une demande du mouvement des jeunes pour le climat.

Vous nous avez donc rejoints sur les mots, mais aucune trace d'une politique ambitieuse de planification écologique. Sans mesures supplémentaires, la France sera onze points en-deçà de son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Des objectifs, des mots, des postures : voilà à quoi se résume votre politique climatique. Les associations engagées dans la bataille écologique vous appellent à l'action et à la réalisation des ambitions que vous prétendez avoir ; les fonctionnaires de votre ministère également. Mais vous n'entendez rien ni personne.

Cette loi dit au moins autant par ce qu'elle met en oeuvre que par les sujets cruciaux qu'elle évite soigneusement de traiter. Rien sur la structure d'EDF, rien sur la mise en concession des barrages, rien enfin sur les subventions aux énergies fossiles. Rien sur les modes concrets de déploiement d'une transition énergétique réellement articulée à l'impérieuse nécessité de réduire notre consommation, d'améliorer l'efficacité énergétique et de passer à 100 % de renouvelable. Si, pour ces trois objectifs, vous continuez à faire une confiance aveugle au marché, ne vous attendez pas à ce que vos politiques produisent les résultats escomptés.

Le marché capitaliste est incapable de faire face au défi écologique parce qu'il ne cesse, justement, de produire les conditions de l'aggravation du changement climatique et de l'accélération de l'extinction des espèces. L'écologie de marché est, selon les niveaux de conscience de ceux qui la défendent, un mensonge ou une illusion. Comment penser, en effet, que Total ou General Electric puisse être guidé par autre chose que le profit ?

Total semble d'ailleurs plutôt intéressé par la grande réceptivité de certains députés à ses amendements déposés clefs en main. Je voudrais insister sur l'un d'entre eux, défendu par des députés de la majorité et repris, sur un mode atténué, par le Gouvernement.

Pour l'heure, EDF est dans l'obligation de mettre à la disposition du secteur privé, à prix coûtant, une part de sa production pouvant aller jusqu'à un quart. Cette obligation est fixée par des dispositions européennes. Avouez que c'est tout de même un comble, pour les partisans de la libéralisation du marché, d'obliger l'un des producteurs à revendre à ses concurrents au coût de production. Cette situation n'a aucun sens, sinon celui de détruire avec méthode les restes du service public de l'énergie.

Total et sa filiale Direct Energie ne veulent pas s'arrêter là. Elles demandent, par la voix de certains députés, le doublement de cette part attribuée à ses concurrents par EDF elle-même.

Mais pourquoi êtes-vous donc obligés de distordre ainsi le marché que vous prétendez libre ? Pourquoi ? Tout simplement parce que vos magnifiques raisonnements ne marchent pas, et que le marché de l'énergie n'est pas fait pour être dérégulé. Avant les entreprises publiques de l'énergie, les entreprises privées ne fournissaient pas certaines zones du territoire, faute de rentabilité suffisante. J'aimerais bien que vous avertissiez sans détour les gilets jaunes des zones rurales de notre pays que vos manoeuvres vont finir par mener aux mêmes résultats.

À moyen terme, si vous supprimez le tarif régulé de l'énergie pour le gaz et l'électricité, c'est la porte ouverte à des prix différenciés sur tout le territoire. À ce moment-là, vous irez expliquer les miracles de la privatisation à ceux qui, dans les zones rurales, n'arrivent déjà pas à vivre de leur travail. Vous verrez si les gilets jaunes ne peuvent être de sortie qu'à l'automne, lorsque cet été vous augmenterez encore les tarifs de l'électricité ! Ces tarifs doivent augmenter pour que le tarif réglementé ne soit pas moins cher que celui du marché. Quelle idée géniale ! Il serait tellement dommage, en effet, que les plus précaires de nos concitoyens puissent payer leurs factures d'électricité et de gaz, s'éclairer et se chauffer convenablement.

La privatisation, c'est la mort de toute politique écologiste. Comment coordonner une politique de l'énergie si elle est laissée au privé ? La libéralisation du marché de l'énergie est là pour bénéficier aux gros producteurs privés, rien de plus, rien de moins. Votre politique revient à confier la transition énergétique à Total et Suez. Inaction verbeuse, inaction dangereuse.

Il en va de même pour la restructuration actuelle d'EDF. Le principe politique constant de ces dernières années tient en une formule : socialisation des pertes, privatisation des profits.

Pour satisfaire aux exigences de la Commission, vous allez donc céder les filières rentables d'EDF au privé, et laisser aux concitoyens le soin de combler chaque année le gouffre financier sans fond du nucléaire.

Regardez aussi le scandale de l'usine de La Mède, qui va tourner grâce à la déforestation en Indonésie : où sont les objectifs climatiques, à l'aune très concrète de ce libre marché que vous adorez ? Cette liberté, c'est la mort. Le marché laissé à lui-même, c'est la destruction assurée.

Votre passion pour les marchés se retrouve dans ce texte de loi : dans la mesure où aucun d'entre eux n'est efficace, vous ne cessez d'en créer de nouveaux. Le marché de l'énergie n'est pas écologique ? Créons un marché carbone ! Le marché carbone est un échec total ? Qu'importe, créons un marché tout aussi inefficace de certificats d'économie d'énergie ! Il ne suffit pas, ses effets sont ridicules ? Aucune importance, développons le marché des certificats de garantie d'origine énergie renouvelable ! Cette course en avant est au moins aussi ridicule que pathétique.

Ce libre-échange de l'électricité est absolument contraire au principe écologiste fondamental, celui du rapprochement entre les lieux de production et les lieux de consommation de l'énergie. Avec le mécanisme ouvert par ce dernier marché, vous pouvez acheter un certificat d'origine énergie renouvelable, mais qui viendrait d'une entreprise espagnole ou polonaise. Voilà les merveilles de l'abstraction capitaliste qui, toujours, dans l'agriculture comme dans la gestion de la biodiversité, dans la protection des mers comme dans les politiques énergétiques, nie avec la même obstination la réalité concrète des espaces où nous vivons. Rapprocher les sources de production énergétique des lieux de consommation, c'est pourtant permettre à notre système entier de devenir plus résilient vis-à-vis du changement climatique.

Personne ne s'occupera du volet énergétique du problème écologique sans s'appuyer solidement sur la puissance publique. Nous avons besoin d'un service public de l'énergie unifié, capable de coordonner les grands moyens de production énergétique, tout en laissant libres les petites entreprises ou les coopératives de production. Nous devons construire le service public de l'énergie qui, placé sous la tutelle du Haut-Commissariat à la planification écologique, sera en mesure d'affronter réellement les défis qui sont devant nous. C'est là une perspective raisonnable.

Vous êtes du côté de ceux qui nous dépouillent de la puissance publique, comme le montre votre attitude irresponsable sur la privatisation d'Aéroports de Paris et des barrages hydroélectriques. Nous sommes du côté de la sûreté commune et de la préservation de notre force collective face aux temps agités qui viennent. Inlassablement, contre les puissances de l'argent qui font le pari cynique de la fin de l'humanité, nous défendrons un futur plus heureux et de meilleures conditions de vie.

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