Intervention de Isabelle Rauch

Réunion du mardi 11 juin 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Rauch, rapporteure :

Depuis plusieurs décennies, la prospérité de l'économie luxembourgeoise repose sur le recours croissant à l'emploi de travailleurs frontaliers qui résident dans les pays voisins, Belgique, Allemagne et plus encore France. 46 % de tous les salariés employés sur le sol luxembourgeois sont des frontaliers ; 24 % viennent de la seule France, faisant la navette tous les jours. Ces frontaliers français au Luxembourg étaient 30 000 il y a vingt-cinq ans. Ils sont maintenant plus de 100 000 et leur nombre augmente de plus de 3 000 par an. Ils contribuent massivement, non seulement à la prospérité économique du Grand-Duché, mais aussi à son aisance fiscale, puisque ce dernier prélève à la source l'impôt sur leurs salaires : les frontaliers français contribuent sans doute pour environ 500 millions d'euros par an à l'impôt luxembourgeois sur le revenu.

Nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord sur la mise en place d'un mécanisme récurrent de compensation fiscale, qui peut parfois exister dans les situations transfrontalières de ce type. Il fallait pourtant agir, puisque les collectivités de la zone frontalière française sont également confrontées à des difficultés et à des coûts importants. Elles doivent notamment investir pour répondre aux besoins croissants de mobilité qui accompagnent mécaniquement l'augmentation du nombre de frontaliers. L'axe autoroutier Metz-Luxembourg, formé par l'autoroute A31 en France et l'autoroute A3 au Luxembourg, est extrêmement chargé, avec un trafic journalier moyen dépassant 100 000 véhicules sur certains segments.

Conscientes de la nécessité d'agir pour améliorer le quotidien des travailleurs transfrontaliers, les autorités luxembourgeoises se sont déclarées ouvertes au cofinancement de projets concrets qui répondraient aux difficultés rencontrées dans les zones frontalières. Signé en mars 2018, à l'occasion de la visite d'État du Grand-Duc de Luxembourg à Paris, le protocole d'accord qui nous est soumis au vote est innovant. Pour la première fois, les autorités luxembourgeoises acceptent de cofinancer à parité, 5050, et à hauteur de 120 millions d'euros les travaux d'un programme de mobilité transfrontalière de proximité. Je souligne que ces 120 millions d'euros seront intégralement consacrés à des opérations sur le sol français, le Luxembourg conduisant par ailleurs des travaux très importants sur son propre sol. Il y a quinze ans, le Luxembourg avait déjà contribué à hauteur de 117 millions d'euros à la construction de la ligne grande vitesse Est, mais il s'agissait d'un projet ponctuel. Dans le cas présent, c'est un ensemble cohérent d'études et de travaux qui est l'objet de l'accord. Ces travaux sont principalement ferroviaires, mais il y a aussi une dimension multimodale, avec une volonté de développer les transports en commun routiers et le covoiturage.

Ce caractère multimodal implique un degré élevé de partenariat, de coordination entre les autorités des deux pays, mais aussi de chaque côté entre les différentes administrations, collectivités et entreprises de transports publics. Le programme de travaux a été travaillé entre de nombreux partenaires. Du côté français, il implique notamment les administrations d'État, la SNCF, la région, en tant qu'autorité organisatrice des transports ferroviaires, et les intercommunalités qui seront en particulier les maîtres d'ouvrage des parkings qu'il est prévu de construire. Au-delà des enjeux de financement, amener tous ces acteurs à s'asseoir autour de la même table constitue un autre apport très important de cet accord. C'est ce que m'ont confirmé les différentes personnalités que j'ai auditionnées, qui représentaient tous ces acteurs et que je remercie : la région Grand Est, avec son président Jean Rottner, le Pôle métropolitain frontalier Nord lorrain, avec son président Christian Aries et ses vice-présidents André Parthenay et Michel Liebgott, le ministère de la transition écologique et solidaire, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Grand Est, SNCF Réseau, enfin les autorités luxembourgeoises.

Le programme d'investissements prévu par l'accord aura un impact significatif sur l'offre de transports transfrontaliers. Le Luxembourg va donc verser une contribution de 120 millions d'euros, dont 110 millions pour des travaux ferroviaires et le reste pour des études et des opérations en faveur du développement des mobilités routières vertueuses, comme le covoiturage. Comme il y aura une contribution française à parité, c'est donc une enveloppe globale de 240 millions d'euros, dont 220 millions pour le domaine ferroviaire, qui est actée.

Le programme de travaux ferroviaires comprend dans un premier temps, à l'horizon 2022-2024, l'allongement des quais des gares de la ligne Metz-Luxembourg, le renforcement de l'alimentation électrique de la ligne et la réalisation de nouveaux parkings à Thionville et Longwy. Cela permettra la circulation de rames de TER plus longues, des UM3, qui offriront près de 1 000 places assises contre 660 dans les rames actuelles. La capacité de la ligne sera donc augmentée de 50 %.

À l'horizon 2028-2030, une seconde phase de travaux visera à moderniser la ligne pour permettre d'accroître le nombre de trains qui y circuleront : optimisation du cantonnement, création de nouveaux points de changement de voie, signalisation, suppression de passages à niveaux, aménagements de gares, création d'un segment de troisième voie sur quelques kilomètres de part et d'autre de la frontière, ce « sas fret » devant permettre aux trains de voyageurs, plus rapides, de dépasser ceux de fret, etc. Ces travaux devraient permettre de passer d'un maximum de six à huit TER à l'heure. L'objectif est de faire rouler jusqu'à dix trains par heure, huit TER, un TGV et un train de fret.

Globalement, l'ensemble des travaux permettrait, selon la SNCF, de passer de 12 000 voyageursjour sur la ligne aujourd'hui à 34 000 en 2030. Le nombre de places assises disponibles pendant la période de pointe passerait de 9 000 aujourd'hui à 13 000 en 2022-2024, puis 20 000 à 22 000 en 2028-2030.

Le protocole d'accord que je vous présente aujourd'hui est une sorte d'accord-cadre. Il fixe des grandes lignes, mais devra être décliné par une série d'accords particuliers plus techniques, puis mis en oeuvre sur le terrain. Il laisse donc ouvertes plusieurs questions importantes. Sa réussite reposera sur la qualité de la gouvernance partenariale qui sera mise en place pour le mettre en oeuvre.

Parmi les questions laissées ouvertes, il y a celle de l'éligibilité au cofinancement des dépenses, notamment d'études, engagées avant la ratification définitive de l'accord et la passation des accords techniques d'application. Vous savez que, classiquement, dans la gestion des deniers publics, les dépenses antérieures à l'acte permettant leur prise en charge ne peuvent pas être couvertes. Des dérogations sont possibles. Ce point devrait être précisé au plus vite, si possible par des annonces des deux gouvernements, avant d'être acté dans les accords d'application, afin de ne pas retarder le lancement des divers projets.

Autre question, celle des subventions européennes. L'axe Metz-Luxembourg est situé sur l'un des « corridors » européens du « réseau transeuropéen de transport » et des subventions européennes significatives peuvent donc être espérées. Peut-être de l'ordre de 150 millions d'euros si nous obtenons un taux de subvention proche du plafond, ce qui est envisageable pour un projet transfrontalier et à dominante ferroviaire. Le texte mentionne ces subventions, mais ne dit pas très clairement comment les articuler avec l'enveloppe de 240 millions d'euros de dépenses sur laquelle les deux gouvernements se sont entendus. Doivent-elles être comptées dans celle-ci, soulageant les engagements luxembourgeois et français, ou s'y ajouter ? Au regard du coût prévisible des travaux, je considère que la seconde option doit s'imposer. Les subventions européennes doivent venir en plus de l'enveloppe de 240 millions d'euros.

Autre point incertain, que se passerait-il si l'on consommait intégralement cette enveloppe avant l'achèvement du programme d'investissements de l'accord ? Celui-ci a prévu ce cas de figure : la partie française ne serait pas contrainte de poursuivre les aménagements prévus une fois le plafond de la contribution luxembourgeoise atteint. Dans la déclaration conjointe concluant leur séminaire commun tenu à Paris le 20 mars 2018, les deux gouvernements ont mis en place une sorte de clause de revoyure en indiquant qu'ils négocieraient un avenant si l'on se trouvait dans cette situation.

Dernier point d'incertitude, le partage de la prise en charge de la part française des engagements, qui doit être égale aux 120 millions d'euros financés par le Luxembourg. Le texte est muet sur ce point. En application de la « règle d'or » applicable à SNCF-Réseau, cet opérateur ne pourra pas être mis à contribution. Cela se discutera donc entre l'État, la région Grand Est et les intercommunalités.

Comme je l'ai dit, la réalisation du programme de travaux ferroviaires figurant dans l'accord doit conduire à une forte augmentation de la capacité de la ligne Metz-Luxembourg. Le trafic journalier devrait augmenter de plus de 20 000 voyageurs, dont plus de 10 000 en période de pointe. Pourtant, cela pourrait ne pas être suffisant pour absorber l'augmentation du nombre de travailleurs frontaliers, puisque ceux-ci pourraient être 30 000 de plus d'ici dix ans, si l'on continue sur la tendance actuelle. Il faut donc en outre développer les mobilités routières vertueuses, ce qui est aussi l'un des objectifs de l'accord. Par ailleurs, en dehors de l'accord, le doublement de l'autoroute A31 par l'autoroute A31 bis devrait être réalisé au cours de la prochaine décennie.

Au regard de l'importance des besoins, je souhaite que nous puissions co-construire avec nos voisins luxembourgeois d'autres projets communs. C'est également nécessaire pour des raisons d'équité. La mobilité transfrontalière me paraît constituer un beau champ pour cette coopération. Mais il faut aussi réfléchir aux alternatives, comme le télétravail. Enfin, d'autres domaines pourraient aussi être concernés, comme celui de la formation. Je tiens brièvement à insister sur ce sujet puisque certains peuvent avoir l'impression justifiée que les professionnels formés en France, avec l'argent des contribuables, alimentent ensuite le marché du travail luxembourgeois, ce qui finit, à terme, par menacer la présence de nombreux emplois stratégiques sur nos territoires. Le projet de loi que je vous invite à adopter pourrait ainsi montrer la voie à suivre pour les prochains dossiers – dont celui de la formation.

Les institutions luxembourgeoises ont procédé à la ratification de l'accord en un temps record : dès le 26 juillet 2018, soit quatre mois après la signature entre les deux gouvernements, la chambre des députés luxembourgeoise a adopté, à l'unanimité, la loi de ratification, qui a été promulguée le 7 septembre 2018. Même s'ils sont conscients que l'examen d'un accord, par le parlement français, un peu plus d'un an seulement après sa signature est une belle performance par rapport aux délais habituels, je crois qu'il est important d'envoyer un signal positif dans le cadre de ce partenariat en ratifiant ce texte sans retard. Nous pourrons alors mettre en oeuvre ce programme d'investissements qui est très attendu dans le Nord lorrain.

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