Commençons donc sans attendre par le sujet principal : le SCAF, l'ensemble du système de combat aérien du futur, que nous avons lancé sous l'impulsion du président de la République et de la chancelière Angela Merkel dans le cadre d'un accord franco-allemand. Il s'agit d'un ensemble de dispositifs de préparation du futur : en premier lieu, l'avion de combat dit next generation fighter (NGF), mais aussi le système de systèmes lié au fait que l'avion de combat, loin d'agir seul, travaille dans un réseau infocentré s'appuyant sur un centre de traitement des informations au sol, des moyens de communications entre avions de combat, existants ou du futur, étant entendu qu'il faut assurer l'interopérabilité des systèmes développés en France, en Europe et chez nos autres alliés et partenaires dans le cadre de l'OTAN, en particulier. D'autre part, pour voler, un avion a besoin d'un moteur : il nous faut donc aussi développer un moteur de nouvelle génération, ce qui constitue un chantier en soi, conduit de part et d'autre du Rhin. Enfin, nous développons également des remote carriers, des drones de petite taille qui pourraient à l'avenir accompagner l'avion de combat. Tels sont les quatre piliers sur lesquels s'appuie aujourd'hui le projet de SCAF.
Il y a un an, Dassault et Airbus ont signé à Berlin un accord de partenariat de principe visant à ouvrir des discussions pour répondre de manière coordonnée à la demande des deux États – ce qui, bien entendu, n'exclut pas les autres industriels. Le projet de moteur, en particulier, implique Safran et, en Allemagne, MTU Aero Engines. Dans le domaine des liaisons de données et des systèmes interconnectés, Thales sera naturellement impliqué. Derrière les grands maîtres d'oeuvre, enfin, la discussion s'ouvrira à toute la chaîne d'approvisionnement française et allemande.
Depuis un an, à l'issue d'un travail important, des études ont été notifiées à Dassault et à Airbus. Je rappelle qu'en parallèle de leur accord, Dassault et Airbus – et les deux États – se sont entendus sur une feuille de route et les deux états-majors se sont mis d'accord sur une fiche-programme globale. C'est sur cette base que nous avons entrepris la réalisation d'études avec Airbus.
Pour alimenter un projet aussi ambitieux, il faut des démonstrateurs. Sans démonstrateurs, nous exposerions le programme à des risques importants. Il faut être en mesure de démontrer la faisabilité de notre projet d'avion de combat, du moteur ou encore du système de systèmes. Nous avons donc rapidement demandé que soient lancées des études particulières pour permettre des démonstrations à l'horizon 2025-2026. Rappelons que l'ambition de ce grand programme franco-allemand consiste à livrer les premiers avions opérationnels équipés de leurs systèmes vers 2040, dans une vingtaine d'années. Cela peut sembler long mais, en réalité, ce ne l'est pas compte tenu de la maturation des technologies, du temps que prend le développement et des capacités budgétaires nécessaires pour mettre au point ces grands systèmes.
Nous avons donc entamé cette étude avec Airbus et élaborons des propositions sur les démonstrateurs que nous adresserons à la direction générale de l'armement (DGA), puisque la France a été désignée leader sur le programme SCAF, main dans la main avec les autorités allemandes. Les propositions en question devraient rapidement déboucher sur une première phase de démonstration aux alentours de la tenue du Salon du Bourget. Je précise néanmoins que si la France s'est dotée d'une loi de programmation militaire qui donne une certaine marge de manoeuvre à l'exécutif et qui permet à la DGA d'engager des dépenses budgétaires dont le montant n'est pas forcément énorme, en Allemagne, en revanche, toute dépense dépassant un certain montant – de 25 millions d'euros, de mémoire – nécessite l'accord formel du Parlement. Nos propositions sont donc en cours d'élaboration, mais il faudra ensuite enclencher le processus parlementaire allemand dont la durée ne permettra peut-être pas la signature d'un document au Bourget.
Le programme se déroule-t-il bien ? La réponse est oui, étant donné la volonté commune d'avancer de part et d'autre du Rhin. Je ne prétends pas que la vie soit un long fleuve tranquille : nous devons apprendre à nous connaître, à travailler ensemble. Les procédures et les états d'esprit sont différents, de même que les enjeux. La France a une bonne compréhension de ce qu'est l'autonomie stratégique, ce qui n'est pas toujours le cas du côté allemand où, ne le nions pas, les États-Unis exercent une pression très forte. Notre ambition consiste aussi à barrer la route à cette forte pression de nos alliés américains. Le budget allemand de la défense doit augmenter mais, contrairement à ce que souhaitent les Américains, les budgets de la défense en Europe ne doivent pas être augmentés pour se contenter d'acheter des matériels américains. Il serait préférable de développer et acheter des matériels européens. C'est dans cette ambition que s'inscrit le SCAF, et les Allemands accompagnent fortement le mouvement. En outre, l'exportation des matériels militaires y pose des questions plus générales. Nous pensons quant à nous que les règles du jeu concernant l'exportation doivent être fixées dès le lancement d'un programme, faute de quoi nous serons confrontés à des difficultés dans quelques années. Elles doivent faire l'objet d'échanges franco-allemands : la France, contrairement à ce que pensent certains Allemands, observe des règles très strictes et n'exporte pas vers n'importe quel pays – et, quoi qu'il en soit, ce ne sont pas les industriels qui décident mais l'État, dont la commission interministérielle pour l'exportation des matériels de guerre est un garant exigeant et sérieux. Il faut qu'un accord soit conclu sur le modèle des accords Debré-Schmidt car, comme vous le savez, le blocage de certaines exportations vers des pays du Moyen-Orient a suscité une polémique dans la presse. C'est un problème à part entière qui, d'une certaine manière, n'aide pas à bâtir la coopération, mais je suis convaincu que la volonté de coopérer est plus solide que ces quelques incidents de parcours que nous pourrons surmonter.
Je suis obligé d'évoquer, sans entrer dans les détails, un deuxième sujet : une autre coopération a été engagée dans le domaine des chars d'assaut, l'Allemagne ayant cette fois-ci été désignée leader. Les progrès sont difficiles. Autant il va de soi que Dassault et Airbus mettent en place le programme d'avions, autant le programme de chars implique des acteurs plutôt nouveaux comme Rheinmetall, par rapport à Krauss-Maffei-Wegmann par exemple et à son partenaire Nexter. Je ne ferai pas davantage de commentaires mais nous ne pouvons pas complètement sous-estimer le caractère symétrique, en quelque sorte, du projet de SCAF et de celui de Main Ground combat système (MGCS), en termes d'organisation. Les difficultés de l'un peuvent influer sur l'autre puisque les deux mêmes directions de l'armement en sont chargées. S'y ajoute le projet de drone d'observation MALE, qui associe non seulement la France et l'Allemagne mais aussi l'Italie et qui est géré par l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAr). Nous sommes actuellement dans la phase décisive de proposition et de négociation avec l'OCCAr sur le lancement, sachant qu'Airbus et l'Allemagne sont leaders. Là encore, il existe une quasi-symétrie entre les responsabilités des uns et des autres afin que tout cela se fasse de manière harmonieuse.
Ce sont de grands enjeux, en particulier dans le domaine aéronautique. J'ajoute que l'Espagne souhaite entrer dans le programme et qu'un accord politique a été conclu à cette fin. Je crois préférable de conserver un petit noyau pendant cette phase de démarrage ; nous verrons dans un second temps s'il est opportun d'élargir la participation.
J'anticipe la question qui risque de m'être posée sur les Britanniques. En réaction à l'annonce franco-allemande d'il y a un an et demi, ils ont annoncé l'an passé le lancement du projet Tempest, un futur avion de combat qui serait développé au Royaume-Uni avec la participation – encore non définie – de l'Italie, car dans le secteur électronique, la société Selex est à la fois britannique et italienne. C'est Leonardo, pour Selex, qui s'associe à BAe Systems, le moteur étant confié à Rolls-Royce.
Il s'agit donc d'un projet « concurrent ». Est-il crédible ? Je me garderai de faire des déclarations sur ce point. Pour nous, le plus crédible, c'est d'avancer dans le cadre franco-allemand avant tout – et tant mieux si les Espagnols se joignent à nous. Gardons néanmoins à l'esprit qu'en France, les objectifs de l'avion de combat sont non seulement tactiques mais aussi stratégiques, puisque cet avion porte l'arme nucléaire et, de ce fait, constitue une des composantes de la dissuasion nucléaire, à côté de la composante sous-marine. C'est une spécificité française dans la construction de l'Europe et du couple franco-allemand.
Dernier point : pour ce qui concerne le drone MALE, nous ferons appel au Fonds européen de défense (FEDef) récemment institué par le Parlement européen au terme de longues discussions avec la Commission européenne, auxquelles l'industrie européenne a été associée, les États ayant apporté leurs modifications dans le cadre du trilogue. Reste à caler le budget de ce Fonds dans la prochaine programmation budgétaire – cette négociation démarrera dès la semaine prochaine. J'ajoute, comme vous l'avez sans doute lu dans la presse, que les Américains ont fortement attaqué les critères d'éligibilité au Fonds en arguant du fait que les sociétés américaines doivent pouvoir bénéficier de ces crédits, ce qui est tout de même un peu gros… Les États et les industriels européens devraient soutenir le fonds européens de défense qui vise à renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe. La France a l'habitude, même si les États-Unis sont un allié, de faire valoir son opposition dans certaines circonstances ; à Bruxelles, les institutions européennes progressent. En revanche, il est plus difficile de le faire pour les pays à titre individuel. Je rappelle ce point parce que nous ferons certainement appel au Fonds européen de défense pour le MALE et, également, pour l'avion de combat, afin d'abonder les budgets qui seront alloués de part et d'autre du Rhin – et des Pyrénées. Les industriels se sont mis d'accord sur ce sujet. Il reste cependant de fortes oppositions de la part de nos amis américains qui, compte tenu des budgets dont ils disposent au titre du département de la défense ou de l'agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA), n'ont pas besoin du Fonds européen de défense pour développer leurs matériels. Leur but consiste davantage à préempter les faibles budgets existants en Europe pour freiner le développement d'une industrie européenne forte et compétitive.