En ce qui concerne le MCO aéronautique, nous sommes très fiers d'avoir reçu la notification que vous évoquez, Madame Mauborgne, car elle est fondée sur la volonté des armées et de la ministre, via la DMAé, de verticaliser davantage les contrats, c'est-à-dire demander à un leader – en l'occurrence Dassault, ou d'autres pour des plateformes de type différent, Airbus pour les hélicoptères par exemple – de s'engager contractuellement sur des disponibilités d'avions. Des objectifs de performance ont été fixés afin d'élever le taux de disponibilité de tel niveau à tel autre après la réalisation d'un certain nombre de prestations. C'est donc un engagement réel et nouveau. Du fait de cette verticalisation, nous avons demandé aux acteurs de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, y compris nos partenaires habituels comme Thales, de s'engager eux-mêmes sur cette performance afin que nous puissions le faire à notre tour vis-à-vis de l'État.
Cette verticalisation s'accompagne également de plusieurs prestations nouvelles en matière d'échange d'informations avec les armées, de continuité numérique, de mégadonnées – les big data – afin de mieux appréhender la problématique globale de la maintenance. Ce système sera beaucoup lisible pour les armées, l'engagement sera plus ferme ; les arrangements logistiques ont été négociés de sorte que les armées puissent assurer leur rôle opérationnel en cas de déploiement à l'autre bout du monde, sachant que la logistique industrielle s'appuie largement sur ce qui a déjà été bâti dans le domaine civil pour, indépendamment des opérations, assurer une efficacité maximale et exploiter les capacités dans le domaine militaire comme civil. La plus-value pour les armées est réelle et, encore une fois, l'organisation industrielle sera beaucoup plus lisible.
Vous avez évoqué Aérocampus : je rappelle que la coopération dans les régions pour former les personnels nécessaires, qu'il s'agisse des personnels de l'industrie ou des sous-traitants – mais pas encore ceux des armées – s'appuie sur des centres de formation d'excellence. En l'occurrence, Aérocampus est une initiative de la région Nouvelle-Aquitaine. C'est un exemple emblématique de mobilisation d'une région en faveur de la formation, laquelle permet l'emploi qui, à son tour, permet d'éviter des taux de chômage élevés. Même chez Dassault, où l'avion suscite une forte motivation, nous connaissons toujours des difficultés de recrutement en raison des lacunes de la formation, en particulier dans les centres d'apprentissage. Je me réjouis donc du projet Aérocampus que nous essayons de renouveler partout en France en encourageant une bonne compréhension de l'apprentissage, entre les lois récemment adoptées, la volonté des régions de rester impliquées et le rôle des filières industrielles. Tout cela se met en place et je suis assez optimiste.
Reste une difficulté sociétale : il faut convaincre les familles – nous le ferons lors du salon du Bourget – que l'apprentissage après un baccalauréat professionnel ou un brevet de technicien supérieur (BTS) est loin d'être la mine du XIXe siècle ! Les compagnons manipulent des tablettes, pilotent des robots et font partie intégrante des boucles de décision qui remontent jusqu'aux encadrants. En clair, ce sont des métiers valorisants dont nous avons besoin à long terme. C'est grâce à la qualité de cette formation que nous pourrons d'ailleurs continuer à utiliser de la main-d'oeuvre française alors qu'elle est plus chère que dans d'autres pays, y compris aux États-Unis, pour garder l'emploi en France, faute de quoi nous serions confrontés à bien des difficultés.
J'en viens au Canada. Soyons clairs : il est impossible de vendre le Rafale aux pays membres du réseau Five Eyes, non pas parce qu'il n'est pas interopérable – il l'est tout autant que d'autres et en a fait la preuve – mais parce que ce réseau s'est fixé des règles qu'ils refusent de nous communiquer et qui visent à ce que ses membres travaillent ensemble. S'ajoute au Canada la question du commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, le NORAD. Nous avons donc posé des questions avant de prendre position. In fine, la position de Dassault a été prise par la France qui, en consultation avec l'entreprise, a estimé que compte tenu de cette contrainte, nous ne pourrions pas nous engager.
J'avais ajouté un élément supplémentaire : si les Canadiens tiennent vraiment à acheter un avion de combat autre que le F-35 ou tout autre avion américain, abandonneront-ils le programme F-35 ? Or il a été confirmé à plusieurs reprises qu'ils restaient impliqués dans ce programme. En d'autres termes, ils ont payé une partie de ce que leur demandaient les Américains, en contrepartie de quoi ils bénéficient de quelques emplois et de contrats passés entre Lockheed et des sociétés canadiennes. En somme, je pense que le Canada achètera un avion américain – au pire le F-35, au mieux le F-18, ou inversement. Pourquoi dès lors perdre du temps, de l'argent et de l'énergie, l'État devant lui aussi être largement mobilisé, si les règles du jeu sont pipées ? Vous connaissez mon principe, qui vaut pour la Belgique comme pour le Canada : lorsqu'un appel d'offres est publié, le pays concerné sait déjà ce qu'il veut et la rédaction de l'appel d'offres fait immédiatement apparaître le candidat avantagé.
J'en viens à la question de la déconstruction. Dans le domaine civil, elle n'a pour Falcon qu'une faible importance, puisque, depuis soixante ans que nous produisons ces appareils, il n'y a eu que peu de retraits de service. Les Falcon sont des avions assez résistants qui continuent à voler, qu'il s'agisse des Falcon 10 ou des Falcon 20.
Dans le domaine militaire, la déconstruction est l'affaire des États. Une fois que les armées se débarrassent des avions, c'est à eux d'être capables de s'adresser à des filières de déconstruction, qu'il faut le cas échéant développer. La question va très certainement se poser à Airbus, car beaucoup d'anciens avions vont être remplacés par de nouveaux avions.
Il faut donc créer des filières. Peut-être faut-il d'ailleurs aider à les créer. Nous y contribuerons par notre collaboration avec des gens qui veulent en faire leur métier. Nous pourrons ainsi mettre en place des filières de retraitement des anciens produits, pour que ce qui peut être retraité le soit. S'il y a, dans les régions, des idées qui se développent en ce domaine, tant mieux ! Car il faut rapidement mettre en place ces filières. Ce retraitement en fin de vie a un coût. Soit il est intégré dans le prix des avions civils, soit les États qui utilisent des avions de combat doivent traiter directement le sujet.
Dans le domaine naval, le sujet des bateaux a par exemple été largement médiatisé. Pour éviter cette mauvaise médiatisation relative aux bateaux qui partent en Inde, il faut développer la filière.
S'agissant du combat collaboratif et de la lutte contre la cybercriminalité, je ne m'exprimerai pas trop, compte tenu du caractère confidentiel des informations en cause. Mais je puis vous dire que nous mettons en place, pour le standard F4 du Rafale, une architecture conçue pour être à la fois résistante à la cybercriminalité et capable d'être collaborative, c'est-à-dire capable de travailler avec les autres armées et susceptible de s'ouvrir même sur un monde un peu large.
Sous le premier aspect, le standard de base sur le Rafale est un standard collaboratif en ce qu'il permet d'utiliser aujourd'hui la « liaison 16 » avec les autres armées, ce standard OTAN sera remplacé par la « liaison 22 », en train d'être développée. Sous le second aspect, il convient aussi de pouvoir partager un certain nombre de fonctionnalités et certains calculateurs avec un monde un petit peu plus ouvert. Cela fait naître un risque de cyber attaques. Nous bâtissons donc des architectures résistantes à ces cyberattaques, par leur définition, mais aussi en pratique. Cela étant dit, le risque nul n'existe jamais. C'est une préoccupation majeure s'agissant du F4.
En ce qui concerne la coopération franco-suisse et la question de l'export, je conviens bien volontiers de ce qu'il est plus facile aujourd'hui d'exporter un Rafale qu'un Typhoon. Certains États participant à une coopération industrielle dans le domaine militaire peuvent s'inquiéter d'y trouver l'Allemagne, sa présence nourrissant une peur que le matériel militaire produit ne puisse être exporté. C'est pourquoi il faut absolument obtenir de nos amis allemands des garanties s'agissant des possibilités d'export, si nous nous lançons ensemble dans un avion de combat. Renoncer à l'export n'est pas sans impact économique pour la France, mais les États importateurs se trouvent aussi en difficulté, eux qui n'ont pas forcément envie d'acheter du matériel aux Russes ou aux Américains, lesquels ne se priveront pas de prendre notre place.
En Inde, nous investissons dans un modèle « gagnant-gagnant ». Si nous ne coopérions pas dans le domaine du Rafale, nous n'y investirions pas autant, et peut-être même pas du tout. Mais le contrat d'acquisition de matériel Rafale prévoit une coopération. Si on travaille ainsi davantage en France, grâce au contrat obtenu, nous devons cependant développer aussi des filières là-bas.
Quant à la collaboration entre le Rafale et les F-35, il faut souligner que les Américains ont conçu avec le F-35 un matériel qui n'est pas interopérable dans le cadre de l'OTAN… C'est tout de même en contradiction avec les principes qui ont présidé à la création de l'Alliance, comme avec les droits et devoirs qui incombent à ses membres. Si les Américains pressent les Européens d'augmenter leur budget de la défense, ceux-ci seraient en droit qu'ils respectent eux aussi les règles de l'Alliance. Mais les Américains, qui appellent à une augmentation des budgets pour financer des achats de matériel américain, reprennent le même argument lorsqu'ils font miroiter une coopération avec eux…
C'est pourquoi nous devons nous défendre comme Européens. Les Français en sont déjà convaincus, les Allemands aussi. La coopération franco-allemande est donc importante, mais il faut avoir l'assurance qu'elle se poursuivra dans les années à venir. Quant aux Britanniques, ils ont acheté des F-35. La situation est donc claire de ce côté-là.
Si les Américains l'autorisent, nous pourrons tout de même trouver des moyens de travailler avec le F-35. Mais il faudra passer par le sol. Ce sera moins fluide que travailler comme aujourd'hui en recourant à la « liaison 16 », définie par les Américains mais implémentée, au sein de l'OTAN, par tous les pays qui contribuent à l'alliance. La France elle-même s'en servait avant même d'avoir de nouveau rejoint le commandement intégré.