Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17h20
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

C'est une joie pour moi de vous retrouver, cinq mois après que vous m'avez reçu pour émettre votre avis sur ma nomination à la présidence du CSA. Nous avons été très occupés depuis ma prise de fonctions. Je suis accompagné de Guillaume Blanchot, directeur général du Conseil supérieur, et de Yannick Faure, qui dirige mon cabinet. Cette audition me donne l'occasion de vous présenter le rapport annuel, adopté par le collège le 22 mai dernier. Ce rapport, qui rend compte de l'exercice par le CSA de ses missions de régulation, donne aussi de très nombreuses informations sur les moyens mis à sa disposition, afin d'assurer la parfaite information du Parlement et lui permettre d'exercer sa mission de contrôle de cette autorité administrative indépendante.

Le rapport complète l'ensemble des études économiques, des bilans et des avis que le CSA rend chaque année. Il est une dimension de la régulation à laquelle on ne pense pas suffisamment : la production d'analyses objectives sur les évolutions de fond touchant le secteur de l'audiovisuel. Toutes les parties prenantes, dont les pouvoirs publics et ainsi le Parlement, disposent de la sorte des éléments permettant d'objectiver les débats – je pense à la récente publication d'une étude sur les enceintes connectées, une première.

Vous trouverez donc dans ce rapport les faits marquants de l'année 2018 concernant l'activité du CSA, alors présidé par Olivier Schrameck. Sans dresser une liste exhaustive, j'évoquerai en premier lieu l'avancement de certains chantiers de longue haleine. Il y a d'abord le déploiement de la radio numérique terrestre, dite « DAB+ ». Ce mode de diffusion couvre désormais plus de 20 % de la population ; cela enclenche l'obligation prévue par la loi d'inclure la puce qui permet de capter la radio numérique terrestre dans tous les récepteurs, autoradios compris. Le CSA a aussi renouvelé plusieurs conventions de chaînes de la TNT ; ce mouvement s'est poursuivi au cours de cinq derniers mois.

D'autre part, le Conseil supérieur a exercé sa mission de garantie du pluralisme par le suivi de la consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie et par l'élaboration du bilan des derniers scrutins, présidentiel et législatif. Enfin, l'engagement sociétal du régulateur s'est concrétisé par la signature de la charte d'engagement volontaire pour la lutte contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité, dans le prolongement de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, et par la nouvelle campagne de sensibilisation à la protection du jeune public intitulée Ça nous regarde tous.

Voilà pour l'année écoulée. Cette audition me donne aussi l'occasion de vous faire part, sous forme d'un rapport d'étonnement, si je puis dire, de ce qui m'a frappé dans cette institution qui, vous le savez, fête ses trente ans. L'événement sera marqué par un colloque, demain, à la Maison de la Radio ; il sera ouvert par le ministre de la Culture et clos par le Premier ministre. Vous y êtes bien sûr tous invités. Il est organisé en quatre tables rondes auxquelles de nombreux acteurs importants du secteur prêteront leur concours pour traiter des thématiques auxquelles la régulation sera confrontée dans les années à venir ; je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté de participer à l'une d'elles.

J'ai été frappé, en premier lieu, de constater combien l'institution est solidement ancrée dans le paysage. Le CSA, très sollicité et très observé, est en quelque sorte un tiers de confiance vers lequel tous les acteurs du monde de l'audiovisuel se tournent spontanément. Cela vaut aussi pour des procédures de règlement de différends comme celle dont nous sommes actuellement saisis dans le cadre du conflit opposant le groupe Altice et le groupe Free pour la distribution des chaînes du groupe Altice. Le Conseil supérieur est une autorité respectée, garante des équilibres d'un secteur en mutation rapide.

Mon deuxième constat est que, même si l'on ne s'en rend pas toujours compte, l'institution s'est beaucoup transformée depuis sa création ; c'est ce qui fait sa force. Le Conseil supérieur a su, de façon pragmatique, s'adapter aux évolutions successives du paysage audiovisuel avec l'intégration à la régulation de nouveaux services, des services non-hertziens aux services de médias à la demande, pour tenir compte de l'évolution des formats et des usages. Outre que le champ de la régulation s'est étendu, de nouvelles méthodes de régulation ont été déployées au fil du temps par la conclusion de plus d'une douzaine de chartes avec les parties prenantes, autant d'engagements volontaires qui les responsabilisent.

L'évolution de l'institution est aussi illustrée par l'inscription croissante de son action dans le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, l'ERGA. Ce réseau désormais reconnu dans la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), joue un rôle d'expert auprès de la Commission européenne. Je représenterai le CSA lors de l'assemblée plénière de l'ERGA, jeudi et vendredi prochains, à Bratislava.

Le Conseil supérieur est donc une institution fortement ancrée dans le paysage et qui a su évoluer au fil du temps, mais la perception que l'on en a n'est pas toujours celle-là. On nous renvoie souvent aux incidents qui surviennent lors de certaines émissions de télévision, à notre fonction de gardien de la déontologie des programmes et aux saisines qui font l'actualité, en particulier sur les réseaux sociaux, au sujet de propos contestables tenus sur les antennes. Mais la lecture du rapport montre que ces saisines, pour spectaculaires qu'elles soient parfois, ne représentent qu'une part minoritaire de l'activité de l'institution. On aurait tort de réduire la régulation, très large et très lourde – le collège se réunit chaque mercredi, et je suis frappé par le nombre de décisions administratives que nous sommes amenés à prendre, semaine après semaine – à la seule fonction de gardien de la déontologie des programmes et de gestion des incidents défrayant l'actualité. Ce volet de notre activité n'est pas pleinement représentatif de ce que nous sommes : le régulateur. Le CSA met en oeuvre tous les instruments de la régulation du secteur : régime d'autorisation et d'utilisation des fréquences, négociation des conventions fixant les obligations qui s'imposent aux opérateurs, contrôle de leur exécution, études et analyses, avec une compétence en matière économique qui s'est fortement renforcée dans le prolongement de la loi de 2013.

Dans ce contexte, l'enjeu, au cours des prochains mois, sera pour le CSA de poursuivre sa mue pour tenir compte des mutations du secteur qui s'amplifient sous l'effet de la transformation numérique caractérisée par l'apparition de nouveaux services de contenu et l'évolution des modèles économiques et des chaînes de valeur. J'ai eu l'occasion d'exprimer mon sentiment sur cette transformation lorsque vous m'avez auditionné en janvier, et je continue de penser que les objectifs de la régulation fixés par le législateur en 1986 sont toujours pertinents.

Au-delà des objectifs économiques, la régulation répond à trois enjeux. L'enjeu démocratique suppose de veiller au respect du pluralisme, à l'expression équitable de tous les courants de pensée et d'opinion. Cette responsabilité permanente ne s'exerce pas seulement en période électorale – sachant que, lors de la période électorale qui s'achève, avec trente-quatre listes en présence, il nous a fallu répartir le temps de parole des candidats presqu'au centième de seconde, comme dans les compétitions d'athlétisme… À l'heure numérique, l'ambition culturelle, présente depuis l'origine, demeure elle aussi : la France veut toujours préserver un modèle singulier de financement d'une création riche et diversifiée. Le troisième enjeu est celui de la responsabilité sociétale des médias audiovisuels, qui doit se traduire par le respect de la dignité de la personne, la protection de l'enfance et de la jeunesse, l'égalité entre les femmes et les hommes, l'accessibilité aux personnes en situation de handicap, la juste représentation de la diversité de la société française et des territoires métropolitains et d'outre-mer. Ces ambitions demeurent entières.

En revanche, la régulation elle-même est appelée à se transformer, et pour commencer, son champ. Pour être opérante, la régulation doit désormais s'intéresser aux nouveaux acteurs internationaux que sont les plateformes de contenus et les réseaux sociaux. Ce que l'on n'accepte pas depuis longtemps sur les médias audiovisuels traditionnels, qui sont régulés, les opinions publiques l'acceptent de moins en moins sur internet. Les pouvoirs publics en ont pris conscience dans tous les pays, on l'a vu avec l'Appel de Christchurch. Les plateformes elles-mêmes ont, je crois, pris la mesure de l'évolution des opinions publiques à ce sujet. Dans la campagne électorale qui s'amorce aux États-Unis, de nombreux candidats, notamment démocrates, évoquent le démantèlement de ces plateformes, et les entreprises de la presse écrite américaine ont tout récemment appelé le Congrès à une forme de régulation. Elles ont ainsi souligné qu'en distribuant le contenu de l'information tout en monopolisant la publicité, ces opérateurs les étranglent. Le gouvernement britannique a publié un livre blanc sur les contenus haineux, la Commission européenne est en action, le gouvernement australien travaille à une législation en la matière, l'Allemagne a pris des dispositions législatives… Les opinions publiques ont donc pris conscience que la régulation devait aussi s'imposer à internet, même si c'est en prenant des formes différentes de la régulation classique.

Les plateformes ont, me semble-t-il, pris conscience que si elles ne faisaient rien, si elles ne se mettaient pas en phase avec les attentes des opinions publiques, leur modèle d'affaires serait remis en cause, leurs abonnés désertant ; on a vu combien la communication de Facebook s'est modifiée ces derniers mois sur ce plan. Nous nous sommes rendu compte de ces évolutions lors de l'élaboration de la recommandation tendant à la mise en oeuvre de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information.

Les modalités de la régulation doivent aussi évoluer. Pour être réaliste, la régulation d'acteurs tels que les plateformes ne peut pas utiliser les mêmes outils que la régulation classique. Il faut élaborer de nouveaux outils, comme l'a montré le rapport de la mission « Régulation des réseaux sociaux - expérimentation Facebook » confiée à M. Benoît Loutrel et à laquelle participait une experte du CSA. Ce rapport, récemment remis au Gouvernement, dessine le schéma d'une régulation plus collaborative, plaçant le régulateur en position de superviseur des dispositifs créés par les acteurs eux-mêmes, comme cela existe de longue date dans le secteur bancaire – ce qui n'exclut évidemment pas une approche plus coercitive quand il le faut.

Ces évolutions ont commencé à devenir opérationnelles avec la nouvelle directive SMA, adoptée fin 2018 et qui devra être transposée dans le projet de loi audiovisuelle. La transposition marquera une étape décisive en intégrant les plateformes de partage de vidéos à la régulation ; surtout, la directive permettra, par dérogation aux règles de l'Union européenne, d'imposer aux plateformes les règles du pays de destination. En l'espèce, les obligations de financement de la création qui s'appliquent dans notre pays aux médias traditionnels s'imposeront demain aux sites de vidéo à la demande comme Netflix, dont le nombre d'abonnés en France est estimé à cinq millions.

Une autre illustration de l'application de la directive SMA réside dans la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, que nous avons mise en oeuvre dès ce printemps. Le texte impose aux plateformes de coopérer avec le Conseil supérieur et prévoit qu'il peut leur adresser des recommandations. Le CSA donc sera appelé à élaborer un rapport périodique sur l'exécution, par les plateformes, de leurs obligations. Dans ce cadre, le collège a adopté le 15 mai dernier une série de recommandations qui portent notamment sur les dispositifs de signalement, afin que ceux-ci soient plus accessibles aux utilisateurs de ces plateformes, et donc plus efficaces.

Ces évolutions se poursuivront au cours des prochains mois, d'abord avec la proposition de loi sur la lutte contre les contenus haineux sur internet que votre commission a examinée pour avis sur rapport de Mme Fabienne Colboc. Le texte prévoit de renforcer les obligations de retrait de ces contenus en confiant au CSA la supervision des dispositifs installés par les plateformes et en l'assortissant d'un pouvoir de sanction.

Une autre étape de l'évolution à venir sera le projet de loi audiovisuelle, confirmée la semaine dernière par le Premier ministre dans son discours de politique générale ; ce sera le véhicule de la transposition de la nouvelle directive. Le CSA est très impliqué, au sein de l'ERGA, dans la mise en oeuvre de ce texte. Le projet de loi permettra aussi, nous l'espérons, de corriger les imperfections de notre régime de régulation ; de nombreuses réflexions ont été engagées à ce sujet ces derniers mois, notamment au sein de votre commission, et le Conseil supérieur a proposé, l'automne dernier, une série de propositions. Le projet de loi pourrait aussi comporter un volet relatif à un nouveau schéma d'organisation de la régulation. Il faut en effet tendre à une collaboration plus marquée entre les régulateurs : nos interlocuteurs étant souvent les mêmes, nous ne pouvons les approcher en ordre dispersé.

Telles sont les évolutions, passionnantes, dont je souhaitais vous faire part. J'ai grand plaisir à présider cette institution, avec un collège solide et des services particulièrement compétents. L'institution va bien sûr se transformer, mais elle a fait la preuve de sa plasticité, elle a les atouts que lui donnent trente ans de savoir-faire et d'expérience et pourra affronter ces nouveaux défis, comme elle le fait depuis que j'en assume la présidence, avec confiance.

J'en viens, monsieur le président, à la question que vous m'avez posée. La loi relative à la manipulation de l'information nous donne deux attributions particulières. L'une s'exerce en période électorale et nous donne la possibilité d'interrompre le signal détenu par une puissance étrangère qui diffuserait des informations manifestement inexactes de nature à altérer le résultat du scrutin. Nous nous sommes acquittés de cette mission en exerçant une surveillance particulière sur les chaînes qui sont dans cette situation et, comme vous l'avez constaté, nous n'avons pas eu à user de cette faculté.

D'autre part, je l'ai dit, la loi fait obligation aux plateformes de réseaux sociaux de créer des mécanismes de signalement des fausses informations aisément accessibles aux utilisateurs. Le texte dote le CSA d'une double compétence à ce sujet : élaborer des recommandations destinées aux plateformes pour la mise en oeuvre de ce texte ; rassembler chaque année les éléments que les plateformes sont tenues de lui communiquer pour expliciter les conditions dans lesquelles elles ont mis en oeuvre les dispositions de la loi. Nous nous sommes acquittés de la première partie de cette tâche en élaborant une recommandation qui a été publiée au Journal officiel avant le démarrage de la campagne officielle, ce qui était une gageure étant donné le calendrier de ma prise de fonctions.

Pour ce faire, nous avons organisé un cycle intense d'auditions des plateformes ; ce fut très intéressant et très utile. J'ai été frappé par l'ouverture d'esprit de nos interlocuteurs. Ils n'avaient pas l'habitude d'entrer dans la tour Mirabeau et l'on pouvait penser que pour cette étape nouvelle, beaucoup d'entre eux, qui venaient des États-Unis, appréhenderaient l'approche normative française ; il n'en a rien été. Il faudra, bien sûr, apprécier lors de l'établissement du rapport annuel quel aura été le résultat concret de ces échanges, pour vérifier que l'on ne nous racontait pas seulement une belle histoire. En tout cas, il y a eu une phase de coopération réelle, et au terme de ces auditions nous avons bâti un projet que nous avons soumis au débat public. Nous avons eu des retours mais assez peu de contestations de la part de nos interlocuteurs qui, je crois, ont compris l'intérêt qu'il y a pour eux d'avoir un interlocuteur tel que le CSA, qui gère déjà une liberté publique.

N'oublions pas que le Conseil supérieur a pour première mission d'être le garant de la liberté de communication : c'est l'article premier de la loi de 1986. On parle souvent de la fonction de gendarme du Conseil supérieur, mais la première mission que lui fixe la loi est celle-là. Des interlocuteurs venus des États-Unis imprégnés de la culture du Premier amendement de la Constitution constatent qu'ils s'adressent à un régulateur habitué depuis trente ans à concilier la liberté de communication dont il est le garant et le respect de principes posés par le législateur et qui sont au coeur du pacte républicain français. Je les ai donc trouvés allants et positifs mais, je le redis, nous devrons vérifier que cette affabilité se traduit par des initiatives concrètes de la part des plateformes. Facebook, qui a beaucoup communiqué sur des adaptations de sa plateforme au cours des derniers mois, a largement collaboré à la mission de M. Loutrel, et un responsable important de cette plateforme m'a dit, il y a peu, considérer que le modèle français de régulation peut être l'antichambre d'un modèle de régulation européen. C'est notre ambition et, lors de la prochaine réunion de l'ERGA, je ferai une communication sur les textes que je viens d'évoquer et sur les évolutions qui se dessinent. Je plaiderai en faveur d'un modèle de régulation nouveau et équilibré, qui ne soit ni le modèle chinois étatiste et antidémocratique que l'on connaît, ni le modèle libéral, pour ne pas dire ultra-libéral, des États-Unis, mais une voie équilibrée et modérée, en espérant que la nouvelle Commission européenne oeuvrera en ce sens pour dessiner une régulation européenne, puisque beaucoup des questions que nous nous posons ne trouveront de réponses qu'à cet échelon.

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