Mme Kuster a dressé un panorama très juste des mutations à l'oeuvre dans notre paysage et souligné combien ces changements venaient percuter les médias traditionnels. Cela dit, le CSA, tout en se projetant dans le numérique, continuera durablement à réguler les médias traditionnels, qui n'ont pas dit leur dernier mot ; ils prennent tous des initiatives pour s'adapter à leur nouvel environnement et ils ont encore toute leur place, à la télévision comme à la radio. Mais ils font face, c'est vrai, à une mutation profonde et votre commission a souligné à la fin de l'année dernière, comme l'a fait l'Autorité de la concurrence, qu'ils affrontent une concurrence totalement déséquilibrée avec des acteurs majeurs étrangers, très puissants technologiquement et financièrement, agissant sur le marché domestique français sans être soumis aux mêmes règles que les acteurs traditionnels ni sur le plan fiscal, ni sur le plan social, ni, surtout, au regard des obligations de financement de la création. Nous devons évidemment tenter de rééquilibrer cette situation.
C'est tout l'enjeu de la directive SMA, qui doit être transposée au plus vite. Dans la foulée de la transposition, nous devons pouvoir attraire ces plateformes dans le champ de la régulation. Tous les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) étrangers sont voués à conclure des conventions avec le CSA et, comme le permet la directive SMA, des obligations de financement et des obligations d'exposition d'oeuvres d'origine européenne devront leur être imposées pour rétablir l'équilibre avec les acteurs traditionnels. La taxe dite « YouTube », instaurée il y a quelques années, est fixée à un taux très sensiblement inférieur à celui qui est appliqué aux médias traditionnels. La simple équité fiscale – que le ministre de la Culture a évoquée en indiquant que des propositions à ce sujet figureraient dans le projet de loi de finances pour 2020 – justifie que l'on rééquilibre les plateaux de la balance pour que chacun supporte un fardeau équivalent.
Je ne pense pas que la France soit isolée. Nous avons été à la pointe du combat sur la directive SMA, nous avons réussi à convaincre et l'Union européenne a très nettement marqué sa volonté de défendre son exception culturelle. Elle l'a fait une deuxième fois, dans la foulée de l'adoption de la directive SMA, en adoptant la directive sur le droit d'auteur. Ces signaux très importants me font considérer qu'au contraire les positions que la France a défendues commencent à être partagées. De même, notre position sur la taxation de Google, Apple, Facebook et Amazon – les GAFA – a fait bouger les lignes : de nombreux pays européens étaient alignés sur la position française et même si, en l'espèce, nous n'avons pas réussi à convaincre, vous avez constaté que le débat progresse dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et que l'on s'achemine vers une taxation. Nous défendons traditionnellement les thèmes qui se rapportent à l'exception culturelle qui nous est très chère et pour la préservation de laquelle nous avons toujours mené le combat ; beaucoup de nos grands voisins partagent ces préoccupations.
L'équilibre de l'audiovisuel public est effectivement fragile et je souligne le courage des équipes de ces très belles entreprises au très fort potentiel, qui contribuent de façon majeure à la vie culturelle de notre pays en matière de force de production. Elles sont actuellement dirigées par des femmes qui ont la bravoure d'engager la réforme que l'on avait longtemps hésité à entreprendre ; elles sont à pied d'oeuvre, avec des stratégies visionnaires qui prennent en compte un paysage en mutation. Toutes les entreprises audiovisuelles doivent s'adapter à leur environnement, parce que toutes font face à un marché publicitaire très contraint en raison de la concurrence d'internet ; cela vaut aussi pour les entreprises privées, qui cherchent à maîtriser leurs coûts, et il est normal que le service public de l'audiovisuel se projette dans l'avenir. Je salue les efforts menés en ce sens ; ils sont nécessaires pour les finances publiques, mais pas seulement : ces entreprises doivent s'adapter à la mutation des usages qui s'impose à elles.
Pour la lutte contre la diffusion de contenus haineux sur internet, j'attends de savoir ce que le législateur décidera. Le texte, qui sera présenté très prochainement à l'examen de la commission des Lois, a fait l'objet de nombreux amendements. Il y a un souci juridique d'équilibre entre ce qui relève de la compétence du juge judiciaire – le prononcé de l'interdiction – et ce qui peut relever du CSA, autorité administrative indépendante. Ce projet a été élaboré dans le même esprit que la loi relative à la manipulation de l'information, qui impose aux plateformes de déployer des dispositifs et qui confie au Conseil la tâche de vérifier qu'elles les mettent effectivement en oeuvre. De la même manière, une fois connues les procédures souhaitées par le législateur, nous nous assurerons que les plateformes les déploient pour éliminer les contenus haineux, soit par l'intervention humaine de modérateurs, soit par des dispositifs d'intelligence artificielle, et nous vérifierons que ces dispositifs fonctionnent effectivement. Et si nous constatons une mauvaise volonté, nous pourrons utiliser le pouvoir de sanction que le législateur voudra bien nous confier.
Le souci de préserver la liberté d'expression, à laquelle personne ne souhaite porter atteinte ; la capacité du juge judiciaire de se prononcer sur des contenus et d'ordonner leur retrait dans des délais très brefs ; la faculté qui serait conférée à une autorité administrative de superviser les procédures instituées par les plateformes pour éliminer ces contenus : voilà qui doit définir le juste équilibre répondant à l'attente de l'opinion publique. La consultation des réseaux sociaux laisse effaré tant sidère la violence des propos – haineux, racistes, antisémites, homophobes… – qui s'y déversent. L'opinion publique souhaite légitimement qu'ils soient retirés rapidement sans que cela remette en cause une liberté fondamentale. Mme Laetitia Avia cherche à trouver le point d'équilibre.
La régulation doit en effet évoluer et son périmètre s'élargir, pour les raisons dites. Nous continuerons de réguler durablement les médias traditionnels selon les modalités en vigueur mais l'approche à l'égard des réseaux sociaux sera sensiblement différente, je l'ai indiqué. Sont donc à venir l'extension du champ de la régulation, l'évolution de ses modalités et probablement aussi l'évolution de l'organisation de la régulation : les autorités régulatrices traitant de nombreux sujets qui ont un caractère transverse, leurs relations devront se renforcer. Cela peut se faire de diverses manières.
La plus simple est une collaboration volontaire, ce que nous faisons très bien dans la conduite des études – ainsi, l'étude sur les enceintes connectées a été menée par le CSA et la HADOPI avec le concours de l'ARCEP et de l'Autorité de la concurrence, et nous l'avons présentée ensemble. Il faut aller plus loin, et l'on peut passer à une collaboration renforcée à un degré supérieur sur le plan institutionnel. Comme je vous l'ai dit en janvier – mais la décision appartiendra au Gouvernement et au Parlement –, je pense que l'ARCEP et le CSA ont des champs de régulation différents : la régulation par l'ARCEP, liée au départ à l'ouverture du marché des télécommunications et qui a évolué ensuite, est d'ordre plutôt économique, celle qui incombe au CSA porte sur les contenus. Cependant, leur forte spécificité n'interdit pas d'organiser une collaboration. Des propositions séduisantes ont été avancées, par exemple qu'un membre du collège du CSA siège au collège de l'ARCEP et vice-versa. C'est une idée intéressante pour acculturer les deux entités en donnant à chacun des collèges des réflexes qu'il n'a peut-être pas spontanément. Outre les études conjointes, on peut envisager des collaborations dans le contrôle que nous serons amenés à opérer sur les plateformes numériques.
D'autre part, notre relation avec la CNIL devra s'intensifier. Toutes les plateformes numériques et tous les fournisseurs d'accès à internet gèrent un nombre d'abonnés très élevé ; or, le droit à la protection des données personnelles et les attentes de ces opérateurs de l'audiovisuel sont en opposition ou du moins en tension. Les acteurs du numérique vivant essentiellement de l'utilisation des données qu'ils collectent, des problèmes de droits se poseront certainement de façon croissante dans les années qui viennent. Pour cette raison, le renforcement de la collaboration entre le CSA et la CNIL me semble importante. Il en va de même pour l'Autorité de la concurrence, avec laquelle nous entretenons un dialogue étroit, riche et efficace sur les questions de concentration.
Vous avez évoqué le millefeuille à la française, l'accumulation de strates de normes dont nous nous sommes fait une spécialité puisqu'en France, un « choc de simplification » se traduit généralement par une norme supplémentaire. Oui, nous devons simplifier notre dispositif trop raffiné et trop lourd parce qu'il est le fruit d'une histoire et tendre vers une approche telle que la loi fixe les principes et les orientations, les décrets précisent les normes minimales utiles pour atteindre ces objectifs, une souplesse accrue permettant ensuite au régulateur d'exercer une fonction élargie en le dotant d'une capacité de négociation, de régulation au sens propre du terme, qui se déclinera dans des conventions. Celles-ci peuvent certainement être allégées : même si un effort de simplification a été fait, elles demeurent très denses parce qu'y sont repris le texte des obligations légales et règlementaires.
Le CSA est tout à fait disposé à participer à la rencontre évoquée par M. Minot. Pour les films, de nombreux sujets sont sur la table, à commencer par la réglementation des jours interdits, à mes yeux obsolète à l'heure des plateformes. Il y a aussi celle de la publicité ; les choses doivent probablement évoluer pour redonner quelques ressources aux acteurs du secteur. Mais, dans un marché publicitaire contraint, cela doit être fait de manière pondérée et prudente, avec des études d'impact sérieuses et des expérimentations, pour être sûr de ne pas déséquilibrer les radios et la presse écrite, pour lesquelles la ressource publicitaire est importante. Le CSA est tout disposé à participer à ces dispositifs, qu'il s'agisse des relations entre producteurs et diffuseurs ou de la chronologie des médias. Parce que nous contrôlons le respect des obligations de financement qui pèsent sur les acteurs traditionnels, il est important que nous soyons présents dans les négociations entre les acteurs dans le rôle de tiers de confiance. C'est utile à tous.
L'extension du champ de compétence du CSA nous conduira à adapter notre organisation. Le directeur général et ses équipes commencent à y travailler, à apprécier s'il convient d'ajuster notre organigramme et par exemple l'intitulé de nos directions. La question des ressources pourra se poser. L'application de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information ne nous a pas, à ce stade, fait exprimer la demande de besoins supplémentaires. Le collège a procédé à d'assez nombreuses auditions, puis les services ont préparé un projet de recommandation qui a été soumis aux différents acteurs et nous rédigerons un rapport annuel. La surcharge de travail n'est pas massive.
Il n'en sera probablement pas de même pour la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet et il n'est donc pas exclu, monsieur le président, qu'en fonction du texte qui sera adopté, le CSA demande au Parlement de l'aider à exercer les missions supplémentaires qu'il lui confie.
Je pense avoir répondu dans mon propos liminaire au sujet du caractère coopératif des plateformes.
Nous tenons une place centrale parmi les régulateurs européens. Nous allons défendre activement des positions conformes à la tradition française de l'exception culturelle et je pense que nous avons une écoute solide. Comme au sein de l'Union européenne, on trouve au sein de l'ERGA un groupe central actif – le régulateur français, le régulateur allemand et le régulateur belge notamment – dont les membres ont des approches assez homogènes. Il nous revient de faire preuve de pédagogie pour convaincre les autres et singulièrement le régulateur irlandais qui va jouer un rôle important, puisque l'Irlande héberge des acteurs très puissants.
J'attache une très grande importance à la juste représentation des femmes dans le paysage audiovisuel français, dont un baromètre nous permet de suivre l'évolution annuelle. Même si les choses ont heureusement progressé, il montre que les femmes restent sous-représentées. Le baromètre nous permet d'établir des constats objectifs opposables aux responsables des entreprises considérées pour les mettre devant leurs responsabilités – entreprises qui, comme toutes les entreprises de France, sont aussi soumises à cette demande légitime en interne. Nous avons la chance que l'audiovisuel public soit présidé par quatre femmes, Mmes Ernotte, Cayla, Saragosse et Veil, qui ont donc une sensibilité particulière en la matière. Cependant, nous avons encore du chemin à parcourir, et nous nous y attacherons. Ce chantier est suivi au sein du notre collège par une de nos collègues dont la détermination est entière.
Nous sommes très vigilants au sujet de la violence sur les écrans. Nous instruisons les demandes à chaque fois que nous sommes saisis et adressons aux responsables des mises en garde et parfois des mises en demeure quand l'un des principes posés par la loi est violé.
Nous finalisons une nouvelle charte relative aux personnes en situation de handicap ; elle sera probablement signée à l'automne lors d'une réunion que présidera le Président de la République. Il est vrai que pour les personnes sourdes et malentendantes, des progrès sont nécessaires, notamment pour les émissions d'information ; à cette fin, nous avons engagé un dialogue ces dernières semaines avec les chaînes.
Le rapport que nous établirons en fin d'année dressera le bilan de l'application de la loi relative à la lutte contre la manipulation de la formation. Nous demanderons des comptes aux plateformes, sur la base de la recommandation que nous avons publiée avant les élections européennes, et nous irons contrôler autant que possible sur pièces et sur place, comme on dit à la Cour des comptes, pour nous assurer que ce que l'on nous dit vaut argent sonnant et trébuchant. Ce rapport, qui sera évidemment communiqué au Parlement, nous permettra, à vous comme à nous, de déterminer les améliorations possibles.
Il faut, en effet, défendre la TNT, qui est pour beaucoup de nos concitoyens le seul vecteur d'accès gratuit à une offre d'images élargie. Étant donné les inégalités territoriales persistantes en matière de haut débit, le taux d'écoute par le canal de la TNT est encore très significatif. Le transfert de cette bande de fréquences au secteur des télécommunications est prévu, en principe, en 2030, mais un rendez-vous intermédiaire doit avoir lieu en 2025 pour analyser la situation. La décision n'est pas technique mais politique : aussi longtemps que les Français ont accès à ces chaînes de télévision par le biais de la TNT dans une proportion importante, on ne peut évidemment les pénaliser en y mettant un terme. L'échéance de 2025 permettra de dresser l'état des lieux. Il est vrai que l'utilisation de la TNT décline, mais ce déclin n'a rien d'une chute verticale ; il faudra donc observer l'évolution de cet usage. Dans l'intervalle, le CSA défend la modernisation de la plateforme TNT avec le passage à l'ultra haute définition qui offre une qualité d'image spectaculaire, notamment pour les événements sportifs. Nous souhaitons lancer une expérimentation en grandeur réelle dans la perspective des Jeux olympiques de 2024.