Quatre sujets nous paraissent aujourd'hui structurants dans les réflexions qui sont menées, que ce soit au sein de cette commission, de la commission sur l'adoption ou au Sénat – et nous sommes contents que la représentation nationale se penche sur ces questions de protection de l'enfance.
Il semble utile, dans le climat médiatique actuel, de réaffirmer que si le dispositif de placement en France doit être amélioré, il fonctionne. On oublie trop souvent que le principe même du dispositif de protection de l'enfance nous est envié par bien des pays. La Fondation travaille sur des expérimentations, en particulier au Liban. Nous suivons cela de près. Je puis vous assurer que nous ne jouons pas tout à fait dans la même cour. Notre enjeu vise donc l'amélioration. Il importe de ne pas renvoyer systématiquement aux enfants placés actuellement le message que, de toute façon, ils finiront finir à la rue puisque 24 % des sans-domicile-fixe (SDF) sont d'anciens enfants de l'ASE. Pour la Fondation, le placement est une chance tant pour les enfants que pour les familles, et nous sommes dans la logique d'aider des enfants à grandir.
À cet égard, je citerai donc quatre points.
Le premier tourne autour du diagnostic, que ce soit le diagnostic de la situation des enfants comme celui de la situation des départements : sommes-nous capables de produire des outils pour comprendre plus finement la situation des enfants, mais aussi pour gérer la question du flux au niveau des départements ?
J'illustrerai mon propos de deux chiffres. Nous disposons de très peu d'éléments nationaux qui permettent de fonder une réflexion stratégique. C'est encore moins le cas au niveau des départements. Selon une étude des Hauts-de-Seine, portant sur 14 000 placements sur vingt ans, 30 % des enfants sont placés pour une durée de moins d'un an, 25 % pour une durée de plus de cinq ans. Nous identifions donc deux populations placées : la première dont la destinée est le retour en famille, la seconde dont ce n'est pas la destinée, ce qui n'exclut pas le lien mais pose de multiples autres questions. Les départements sont embolisés par plusieurs questions : ressources humaines, turnover, absentéisme. Comment l'État français aide-t-il les départements à penser et à réfléchir les dispositifs de protection de l'enfance ? Nous répondons à de nombreux appels à projets lancés par les départements. Pour le dire gentiment, cela mériterait un peu plus de travail sur les données avant de s'engager pour des années sans avoir réellement analysé les besoins.
Le deuxième sujet porte sur le besoin des enfants. Il est temps d'avoir des grilles d'évaluation partagées au niveau national sur la situation des familles et les besoins des enfants, qui forment deux dimensions distinctes. Il est nécessaire qu'une politique soit mise en place à l'échelle nationale.
S'agissant du diagnostic, qu'il soit individuel ou d'un niveau supérieur, c'est-à-dire résultant d'un travail sur des données, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) sont compétentes. Nous travaillons avec eux et nous savons qu'ils butent en raison de logiciels qui varient selon les départements, sur le dispositif Olympe, car le décret de structuration des données n'a pas pu entrer en application dans les départements. Il est vraiment nécessaire de les aider.
Autre sujet : qui fait quoi ? Entre l'aide sociale à l'enfance, les juges, les associations, qui est responsable de quoi en protection de l'enfance ? J'illustrerai mon propos d'un exemple très concret que me racontait hier la directrice. Notre établissement avait une astreinte de week-end, qui a fait l'objet d'une visite médiatisée. L'éducateur a emmené l'enfant chez ses parents. Tout le monde attendait l'arrivée de la technicienne de l'intervention sociale et familiale (TISF) envoyée par le département pour accompagner la visite de l'enfant chez son père ouet sa mère. La TISF n'arrivait pas. Il a donc fallu appeler la personne d'astreinte du département. Ce monsieur – une seule personne pour tout le département –, qui ne connaît en rien la situation, doit prendre la décision. Il a donc demandé à notre directrice si elle connaissait la situation. Celle-ci en étant informée, il lui a demandé son avis sur la suite à donner. Valeur ajoutée du coup de téléphone ? Zéro, puisque dans les faits, il suit la recommandation de la directrice.
Ces petits éléments de clarification sont essentiels. Je ne reviens pas sur les invitations aux anniversaires et aux soirées pyjama, sur le décideur ou sur la façon dont cela se décide. Quand on entend les anciens de l'ASE, ils vous disent : « Quand j'étais invité à un anniversaire, je préférais dire tout de suite à mon copain que je ne pouvais pas venir, car entre les demandes de cartes identité, d'extraits de casier judiciaire, cela n'en finissait pas. »
« Qui fait quoi, qui est responsable de quoi » est un élément très important qui doit être défini à l'échelon national, parce que cela débouche sur une réflexion globale sur le dispositif de protection de l'enfance. Si le département est chef de file, on doit toutefois garantir un socle de protection de l'enfance pour l'ensemble des enfants et des jeunes de France, quel que soit le département dans lequel ils habitent et quelles que soient les intentions de stratégie ou de politique de protection de l'enfance du département.
La définition de ce socle suppose une réflexion sur l'organisation des départements, les maisons départementales des solidarités (MDS) et les unités territoriales d'action sociale (UTAS). La logique matricielle repose sur un service départemental d'aide sociale à l'enfance, fondée sur une répartition territoriale MDS-UTAS. Qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui pilote ? À l'heure actuelle, sur huit départements, le fonctionnement diffère totalement d'un département à l'autre et tous sont en réorganisation permanente. Ne pourrions-nous pas réfléchir à des modélisations d'organisation de la protection de l'enfance au niveau national, avec des modèles dont pourraient s'inspirer les départements pour leur éviter d'avoir à réinventer la roue chacun de leur côté ? Pareillement pour les groupes transversaux de réflexion des directeurs enfance-famille afin qu'ils puissent échanger, partager, et pas seulement de manière informelle parce que l'un a l'intention d'organiser un appel à projets pour restructurer la protection de l'enfance ou parce que tel autre en a organisé un il y a deux ans et qu'il veut en connaître les écueils. Il faut des espaces formels, institutionnels, nationaux, qui permettent d'échanger au fond et non attendre de créer des opportunités d'échanges parce que le président de tel département est de la même majorité que tel autre.
Aujourd'hui, lors d'appels à projets, il arrive que se produisent des accidents industriels. Or ceux-ci sont évitables si l'on travaille sur des données plus globales, si l'on est accompagné dans sa réflexion par des intervenants extérieurs, et pas seulement parce qu'il faut faire des économies et qu'il faut réorganiser.
Le quatrième point a trait au partenariat que nous devons établir. Nous ne sommes pas des prestataires de services ou des opérateurs. On ne nous choisit pas comme on choisit l'entreprise de nettoyage. Nous sommes des partenaires. Nous avons une pratique et une expertise. Nous nous occupons des enfants au quotidien. Il est intéressant que nous puissions avoir des espaces de coproduction des schémas départementaux et de réflexion sur une politique départementale.
Mais il convient d'élargir cette notion de partenariat. Tel était, lundi dernier, le propos au Sénat. La question de la protection de l'enfance et des enfants placés, en particulier de ceux qui n'ont pas ou peu de perspectives de retour en famille, est une question de société. Nous sommes tous responsables de ces enfants. Ce sont nos enfants, à tous, entreprises, associations...
La professionnalisation de la protection de l'enfance, qui a des avantages, présente également des limites. La Fondation a lancé une recherche-action sur le capital social. L'une des causes d'accès au statut de sans domicile fixe tient essentiellement au fait que le capital social est à zéro : pas de relations, pas de contacts, personne sur qui compter et personne pour qui compter. Et cela commence dès trois ou cinq ans.
Les dispositifs d'accueil des enfants, je pense aux villages d'enfants, sont performants, si ce n'est qu'ils produisent de l'institutionnalisation. J'illustrerai mon propos d'un exemple très concret : Yassine, vingt-cinq ans, ingénieure chez Thales, a passé quinze ans dans un village d'enfants. À l'âge de quinze ans, elle a été placée en famille d'accueil. Elle nous a confié : « La première fois que j'ai vu deux adultes s'embrasser, c'est dans ma famille d'accueil. Cela m'a vachement choquée. »
Parce que nous sommes des lieux de travail, des lieux professionnels, nous produisons naturellement des modèles d'après lesquels les enfants construisent du capital social avec les copains, les copines, l'intergénérationnel. Des écarts se créent. Nous détenons certaines solutions. Pour autant, le champ de la protection de l'enfance et les opérateurs doivent s'ouvrir à la question du bénévolat.