S'agissant de l'amélioration du fonctionnement, il convient de parler des juges, qui jouent un rôle central dans les questions de protection de l'enfance.
La protection de l'enfance cumule pratiquement toutes les difficultés possibles et imaginables dans l'organisation institutionnelle française. Les compétences et les échelons sont multiples et variés. Autour de l'enfant, on trouve l'Éducation nationale, les professions de soins, les juges, les départements, les associations. Finalement, bien des acteurs gravitent autour de ces enfants, mais on constate une forte incapacité à assumer jusqu'au bout la responsabilité. Concrètement, quand on fait des synthèses sur la situation d'un enfant dans l'Essonne, vingt et une personnes sont autour de la table. Pour autant, au moment de prendre une décision, il n'y a plus personne. Les espaces où trois ou quatre des principaux acteurs de la protection de l'enfance se retrouveraient pour échanger – les juges, les départements, ceux qui s'occupent des enfants et leurs parents – font défaut. Pour notre part, nous avons institué des réunions de pilotage qui rassemblent tous ceux qui se trouvent isolés.
Dernièrement, le juge nous a expliqué qu'un enfant avait fait l'objet de quinze ans de placement et de dix-sept mesures successives d'un an ou de six mois, et que le père qui avait tué la mère devant les enfants allait purger une peine de vingt ans de prison. Les enfants sont âgés de trois et cinq ans. C'est l'histoire de deux enfants placés dans l'un de nos villages. Nous avions établi l'absence d'un tiers digne de confiance et savions que le placement allait durer le temps que le père purge sa peine de quinze ans de prison. La loi – alinéa 4 de l'article 375 – permet au juge de prononcer un placement de plus de deux ans. Dès lors, pourquoi le juge ne prononce-t-il pas une mesure de placement de trois ou quatre ans ? Parce que, explique le juge, il veut revoir les enfants et rester au fait de la situation, car il craint que l'ASE ne lui représente plus jamais les enfants. Dans le cas d'espèce, je lui ai répondu que sa décision produisait une incapacité projective dans la tête des éducateurs et des enfants placés. C'est ainsi que les 750 enfants que compte la fondation ne savent pas à ce jour où ils seront au mois de septembre, même si nous savons qu'ils resteront au village d'enfants. Nous sommes confrontés à la solitude du juge.
Le Danemark pratique d'une manière assez intéressante, un peu sur le modèle des conseils de famille sur l'adoption, qui répond, selon moi, à l'esprit de la loi de mars 2016. Pour un certain nombre de situations, il conviendrait de se mettre autour de la table : ASE, juge, opérateurs, associations, ceux qui s'occupent des enfants. Au quatrième renouvellement de l'ordonnance de placement, nous pourrions évoquer l'idée de délivrer une ordonnance de plus long terme qui permettrait à tous de se projeter.
Où sont les espaces collectifs ? Dans tous les groupes de travail, se pose une vraie question autour de la justice : comment associer les inaccessibles du système ? Si l'on peut réfléchir avec l'ASE au sein du département, discuter et réfléchir avec des juges est compliqué non parce que ce sont des méchants, mais parce qu'ils sont débordés. Le département d'Indre-et-Loire compte deux juges des enfants pour 1 100 enfants placés. Le troisième est un poste vacant. Dès lors, comment faire ?
S'agissant de la préservation des fratries, il faudrait des villages d'enfants, que ce soit SOS ou Action enfance, accessibles à tous les départements français. Or des départements n'ont pas la capacité financière nécessaire qui les autoriserait à augmenter le nombre de places. En revanche, deux ou trois départements, ensemble, le pourraient, sachant toutefois qu'il est difficile de faire travailler des départements limitrophes sur cette question. Les territoires sont animés d'un instinct qui peut se traduire par : « Ce sont mes places, c'est mon département. »
Rendre ces villages d'enfants accessibles aux fratries me semble intéressant, car c'est la seule structure qui couvre des autorisations pour des enfants de zéro à dix-huit ans et dont l'organisation ne fonctionne pas par tranches d'âge, garantissant ainsi que les fratries peuvent vivre et construire une histoire ensemble. On n'est pas frère et soeur parce que c'est écrit sur le livret de famille, on est frère et soeur parce qu'on a partagé des souvenirs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, au sein des villages d'enfants, on parlait à une époque de « fraternage » lorsque deux fratries sans lien de sang vivaient ensemble pendant cinq ou dix ans. Les anciens enfants placés nous disaient que les enfants qui avaient vécu avec eux étaient leurs frères ou leurs soeurs, non pas parce que c'était écrit sur le livret de famille, mais parce qu'ils avaient tant de souvenirs en commun !
Il ne faut pas se raconter d'histoires. Il existe trente villages d'enfants sur 2 000 structures d'accueil de protection de l'enfance. Sur les 150 000 enfants placés, moins de 2 000 le sont dans un village d'enfants. Or notre expertise porte sur l'accueil de fratries. Nous nous dirigeons vers la disparition des familles d'accueil, en raison du vieillissement et des difficultés de recrutement, sans compter que les familles d'accueil ne sont pas extrêmement adaptées à l'accueil des fratries. Il faudrait d'ailleurs s'entendre sur ce que l'on entend par fratries. Nous accueillons des fratries composées de demi-frères, de demi-soeurs, de quasi-frères, de quasi-soeurs. Nous n'accueillons pas toute la fratrie, mais des frères et soeurs ensemble.
La pauvreté, facteur aggravant ? Pourquoi constate-t-on une sur-représentation des catégories socioprofessionnelles « moins » dans les mesures de placement ? Tout simplement parce que les travailleurs sociaux se rendent dans ces familles, pas seulement pour des questions de placement ou des carences éducatives.
Rappelons que, dans la manière de penser le dispositif, il existe une très grande différence puisque, réintroduite dans la loi de 2016, à la question de la maltraitance physique, psychique, sexuelle vient s'ajouter la question de la négligence et de la carence éducatives. Les mots ont un sens. On tombe rapidement dans des représentations éducatives. Nous nous accordons avec ATD Quart Monde pour demander ce que signifie « bien élever un enfant ». Si on peut avoir des représentations sociales différentes sur le sujet, un élément est incontournable : il faut nommer les choses.
Dans le cadre de réunions éducatives, je rencontre à peu près 50 équipes d'éducateurs. Les réunions durent deux heures, au cours desquelles la situation d'enfants est évoquée ainsi que le motif du placement : négligence, carences éducatives. Personnellement, je ne sais pas ce que cela signifie. Je suis un père très négligent sur nombre de sujets. C'est ma femme qui s'occupe des enfants. Pour autant m'a-t-on enlevé mes enfants ? Que signifie dès lors « négligence éducative » ?
Au terme d'une demi-heure de réunion, on entend presque toujours : « Oui, et puis il y a l'oncle qui faisait ceci, le père qui faisait cela ». Une très belle étude de Nadège Séverac est parue en 2013 sur la situation de la maltraitance en France. Elle parle d'euphémisation des situations. Elle a étudié à la loupe cent informations préoccupantes. Euphémisation signifie que l'on ne pose pas les mots. La question, ce ne sont pas les parents, c'est l'enfant. Nous sommes dans une obsession française de stigmatisation des parents, mais la question est celle des enfants maltraités, des enfants mal traités. Ce sont eux notre sujet, il ne s'agit pas de savoir qui est responsable de quoi.
Objectivement, lorsque l'on étudie la catégorie socioprofessionnelle des parents, on constate des problèmes financiers. Le placement d'un enfant à Action Enfance représente 5 000 euros par mois. Si le placement est le fait d'un logement trop petit, on peut penser que quelque chose dysfonctionne, car 5 000 euros par mois permettent de faire beaucoup en termes de logement. Placer un enfant parce que cinq enfants sont logés dans 18 mètres carrés démontre un dysfonctionnement. Dans les villages, nous sommes très rarement confrontés à cette question.