Les juges des enfants sont trop seuls. La juridiction est très puissante, il y a beaucoup d'affects, beaucoup de prononcés de mesures de placement, de cinq ans, par exemple, et en face des parents. C'est humainement compliqué.
Mme Teyssandier, alors premier juge pour enfants à Bobigny, parlait de la grande difficulté liée au placement. Prononcer une mesure de placement revient à une peine de prison. Premier écueil : la solitude des juges des enfants.
Deuxième écueil : excepté les très grands passionnés, le travail de juge des enfants n'est pas la voie royale. Dans le parcours et la carrière des juges, être juge des enfants n'est pas la panacée. Comment revaloriser cette fonction ? Il serait intéressant que les juges des enfants aient autorité pour prononcer des délégations d'autorité parentale, sans passer par le juge aux affaires familiales (JAF). Sans nul doute, des situations sont à rééquilibrer entre le juge des enfants et le JAF pour rendre toute sa splendeur au métier de juge des enfants. Il s'agit, selon moi, d'un des métiers les plus intéressants.
Troisièmement, il conviendrait de ne plus penser la protection de l'enfance, le placement et les mesures éducatives comme provisoires. En supprimant cette dimension provisoire des mesures éducatives et de l'esprit de la législation, on redonnerait du sens à la protection de l'enfance. Je pense que tout le monde est fait pour avoir des enfants, tout le monde les aime, mais tous ne sont pas faits pour s'en occuper et les aider à grandir. En substance, c'est une fiction que de croire que le père et la mère éduquent les enfants, c'est une fiction qui a été construite il y a un peu moins de cent ans par la psychologie – je suis de formation psychologique et psychanalytique – et par le marketing. Une famille tient dans une Scenic cinq places : papa, maman et trois enfants… C'est une fiction. Dans notre histoire, on n'a jamais élevé les enfants dans un tel système. La cellule familiale était plus collective et intergénérationnelle.
Le nombre de placements en France ne baisse pas, non parce que les gens seraient plus méchants ou moins capables, mais parce qu'ils sont de plus en plus seuls et que les solidarités de voisinage et intergénérationnelles disparaissent de nos sociétés. Il faut tout un village pour élever un enfant, un père et une mère ne suffisent pas.