Intervention de Chantal Rimbaud

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11h40
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Chantal Rimbaud, présidente de l'Association nationale des directeurs de l'enfance et de la famille :

Au-delà du propos de mon collègue sur la question de la personnalisation, qui pourrait être une piste d'amélioration du fonctionnement et d'une meilleure reconnaissance de ce service qui aujourd'hui n'existe pas, ce que l'on peut dire de notre place, c'est que l'on assiste parfois à une forme de dissolution de ce service qui alors disparaît, dont les responsabilités sont mal fondées et dont on ne perçoit plus très bien le sens ni le périmètre d'action. Des directions de l'aide sociale à l'enfance ont même été supprimées dans certaines collectivités.

Nous constatons par ailleurs une inadaptation de la formation des éducateurs spécialisés pour les préparer à ces métiers. À la suite de différentes enquêtes, je me suis récemment préoccupée de cette question. Les formations d'éducateurs spécialisés reposent sur des écoles. Comme toutes les formations de travailleur social, la formation n'est pas universitaire. Dans la plupart des écoles aujourd'hui, la protection de l'enfance fait l'objet de moins de huit jours de formation tout au long des trois années de cursus. Les départements et les associations, tous les employeurs potentiels d'éducateurs spécialisés, se retrouvent face à des professionnels qui méconnaissent totalement les problématiques familiales et les difficultés rencontrées par les familles. Ces professionnels sont totalement déstabilisés par une partie des jeunes qui aujourd'hui vont extrêmement mal lors de leur prise en charge. Tel est le constat que nous partageons : un certain nombre de jeunes ont vécu des traumatismes, parfois de manière durable, en raison du maintien dans la famille et du maintien du lien. Quand ils arrivent à l'aide sociale, leur développement a subi bien des dégâts, si je peux employer ce terme. Ils rencontrent de très nombreuses difficultés alors que les éducateurs ne sont pas formés à la compréhension de la clinique du traumatisme ni à celle des problèmes de ces jeunes et ne sont donc pas en mesure de les prendre en charge, ce qui provoque parfois des situations catastrophiques dans les établissements et dans les prises en charge institutionnelles.

La formation initiale des équipes éducatives est donc souvent défaillante. Les employeurs expriment la nécessité – en tout cas c'est l'axe sur lequel je travaille – de former les professionnels quand ils arrivent dans les départements. Non seulement nous sommes confrontés à des professionnels insuffisamment formés, mais la majorité des départements connaît de grandes difficultés en cas de vacances des postes ; ils n'arrivent plus à recruter d'éducateurs spécialisés.

Le second point sur lequel je voudrais appeler votre attention va de pair avec la question de la clinique de la protection de l'enfance, voire avec la définition de la protection de l'enfance : parler des besoins de l'enfant et de développement de l'enfant signifie que cette politique a des caractéristiques de santé publique.

Des études et des recherches ont été entreprises sur cette question, mais les médecins sont en nombre insuffisant au sein des directions pour conduire ces politiques et les travailler en lien avec les services de PMI, les centres hospitaliers et le secteur médical libéral. En outre, la question des bilans de santé et de l'accompagnement des enfants au sein des équipes est insuffisamment prise en compte.

Un programme de santé nous paraît s'imposer en lien avec ce qui se fait, par exemple, au sein de la protection maternelle infantile pour les plus jeunes enfants.

Le troisième point sur lequel, me semble-t-il, les lois de décentralisation ne sont peut-être pas allées assez loin réside dans le contrôle et la qualité de la prise en charge par le département. Le département doit travailler en lien avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse sur les questions d'habilitation et de tarification. Aujourd'hui, ces services ne disposent plus des professionnels et des personnels nécessaires pour mener ce travail de contrôle qualificatif et de tarification. Par ailleurs, les lois de décentralisation sont incomplètes sur les compétences dévolues au président du conseil départemental en ce domaine. En effet, lorsque nous prononçons des injonctions, par exemple, aux directeurs de structures parce que nous avons dressé un constat de difficultés rencontrées au sein de leur établissement, la fermeture, si elle s'avère nécessaire, doit être décidée par le préfet. Sans doute s'agit-il d'une décision particulièrement grave, mais on peut se retrouver dans des situations d'injonction extrêmement inconfortables qui nécessitent de faire appel à une autre autorité. Cette loi de décentralisation est restée au milieu du gué s'agissant des questions de contrôle et de tarification, alors que les services de l'État ne disposent plus des professionnels nécessaires. C'est ainsi que nous les sollicitons et qu'ils nous répondent que nous avons fait le travail et qu'ils n'iront pas au-delà. Nous sommes donc aujourd'hui dans une situation extrêmement inconfortable. Nos attentes vis-à-vis du conseil départemental sur le contrôle des établissements qui accueillent des enfants sont légitimes, mais toutes les compétences, en ce domaine, n'ont pas été dévolues au président du conseil départemental.

Je souhaiterais également évoquer le statut particulier des directeurs des foyers de l'enfance. Dans la mesure où ils sont rattachés à la fonction publique hospitalière, les professionnels ne dépendent pas du conseil départemental alors même que les enfants lui sont confiés et alors que c'est bien nous qui assurons l'ensemble des besoins de ces équipements, qui les construisons, les rénovons, les finançons, qui assumons l'ensemble des charges de personnel et la rémunération de ces fonctionnaires qui, en raison de ce rattachement à la fonction publique hospitalière, sont notés par une autre administration qui ne travaille jamais avec eux. Il s'agit d'une incongruité dans le paysage. À cet égard, depuis plusieurs années, des parlementaires posent des questions écrites au Gouvernement. Or, nous ne constatons aucune évolution de statut.

Le dernier point sur lequel je voudrais appeler votre attention est celui du pilotage et de la gouvernance de cette politique publique. Là encore, c'est une question que nous soulevons depuis des années dans le cadre de l'association nationale des directeurs. Vous l'aurez compris, nous ne remettons pas en cause la décentralisation de cette politique publique mais nous nous interrogeons sur la place des services de l'État et sur la gouvernance nationale de cette politique.

La loi de 2016 a tenté de résoudre cette question en créant le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE). Ce conseil national, où siège M. Hiroux au titre de l'association, prend un certain nombre de recommandations qui sont transmises au Premier ministre. Personne ne sait ce qu'elles deviennent ensuite. Le Premier ministre reçoit un rapport annuel, dont nous ignorons la destinée. Les recommandations comme le rapport annuel sont des documents extrêmement mal diffusés.

À côté de cela, l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) remet un rapport annuel, de même que le défenseur des droits et un certain nombre d'autres institutions qui réfléchissent à la question. Des services de la direction générale de la cohésion sociale (DGPS) travaillent sur cette question, ainsi que la direction nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, auquel le ministère de la justice a confié cette mission. Je vous vois sourire : en effet, nous avons du mal nous-mêmes à nous y retrouver pour savoir qui gouverne cette politique au niveau national. Quand la France présente devant les instances internationales, ainsi qu'elle l'a fait encore récemment, les résultats de son engagement à la convention internationale des droits de l'enfant, il n'est pas étonnant qu'elle ne reçoive pas un large satisfecit. Dans la mesure où il s'agit d'une politique décentralisée, personne n'arrive à assurer un pilotage et une vision partagée.

Nous allons produire des recommandations dans un autre cadre. Ainsi que vous le savez, au-delà de votre mission, des groupes de travail sont organisés, une inspection générale s'intéresse aux questions de protection de l'enfance. Un organisme est reconnu par tout le monde : il s'agit de l'ONPE, organisme paritaire associant l'État et les départements et auquel les associations peuvent adhérer. Simplifier le système et regrouper au sein de cet organisme ces différentes instances offrirait une lisibilité du pilotage qui permettrait aux départements de s'en saisir car le flou actuel de la gouvernance nationale ne permet pas aux collectivités décentralisées d'avoir des repères suffisants sur ce qu'il y a lieu ou non de faire.

Lorsque l'on travaille, comme c'est mon cas, dans un département francilien qui dispose de ressources, on peut trouver des repères, faire de la recherche, y participer, et c'est d'ailleurs ce que nous avons fait dans le Val-de-Marne. Mais pour d'autres départements, il est difficile et compliqué de s'y retrouver. Le partage entre les départements est également nécessaire. Il ne s'agit pas pour certains de décréter les bonnes pratiques, il s'agit de partager. On a parfois l'impression qu'on réinvente l'eau chaude, si je puis me permette, tous les matins. Nos amis québécois parlent « d'inventer le bouton à quatre trous ». On réinvente donc le système tous les jours alors que des repères, des recommandations existent. Par exemple, l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), avant d'être intégrée au sein de la Haute Autorité de santé (HAS), faisait des recommandations, très méconnues, sur la bientraitance dans les établissements. Nous avons travaillé avec des départements sur un référentiel portant sur l'évaluation. Pour des raisons qui me paraissent incompréhensibles, ce référentiel n'arrive pas à devenir le référentiel national alors que plus de vingt départements l'ont déjà adopté et ont formé des professionnels.

En conclusion de mon propos, je dirai que les difficultés qui sont constatées par la protection de l'enfance, les maltraitances et les violences subies par les enfants au cours de la petite enfance sont souvent à l'origine des difficultés qu'ils rencontrent, y compris à l'âge adulte. Je rappelle cette statistique, souvent extrêmement mal comprise, selon laquelle un quart des sans-domicile fixe (SDF) seraient d'anciens enfants de la protection de l'enfance. Il y a de multiples raisons à cela et il ne faut pas y voir uniquement un lien de cause à effet.

En cas de prise en charge physique, la protection de l'enfance distend les liens familiaux qui sont des repères auxquels nous nous rattachons tous lorsque nous sommes en difficulté dans la vie. L'aide sociale à l'enfance n'est pas seule responsable d'un certain nombre de difficultés de jeunes devenus adultes. Leur développement a été perturbé, mais on peut sans doute largement améliorer le système si on partage davantage la connaissance de ces publics particuliers, très différents des autres publics qui s'adressent à l'action sociale. Il faut cesser de confondre cette politique avec une politique d'action sociale, car si elle en revêt certaines des caractéristiques, pour d'autres, elle ne peut pas être amalgamée à une politique d'action sociale et être gérée de la même manière.

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