Je vous remercie pour votre invitation. Vous le savez, la protection de l'enfance est une compétence du département depuis plus de trente ans, au coeur des solidarités. Nous avons tous été marqués par les reportages diffusés ces derniers mois, ce chiffre désormais répété en boucle – un quart des SDF entre 18 et 25 ans seraient d'anciens enfants de l'ASE –, le rapport du Conseil économique, social et environnemental évoquant un énorme gâchis pour la République.
La protection de l'enfance, dans de nombreux départements, est pourtant loin d'être un angle mort des politiques publiques ; au contraire, beaucoup de moyens humains et financiers, de la volonté et de la détermination y sont consacrés.
Avant d'aborder la question des MNA, autorisez-moi quelques mots sur la Seine-Saint-Denis. Il s'agit d'un département très jeune et très populaire, qui subit de plein fouet le transfert, fort mal compensé, des trois grandes allocations individuelles de solidarité – l'APA, la PCH et le RSA –, en raison, notamment, du grand nombre d'allocataires du RSA résidant dans le département. En dépit de nos difficultés budgétaires, la protection de l'enfance fait partie de nos priorités et demeure très largement soutenue.
Nous accompagnons près de 8 700 jeunes, et le budget consacré est en constante augmentation – 20 millions d'euros supplémentaires cette année à l'issue de notre décision budgétaire modificative. En tout, 293 millions d'euros vont à l'aide sociale à l'enfance : il s'agit, dans ce domaine, de la dépense par habitant la plus importante en France.
Au-delà de ces considérations financières, la politique que nous menons repose sur la recherche d'un accueil particulièrement digne, la volonté de faire réussir ces jeunes, la quête permanente de l'innovation.
L'ensemble des compétences qui nous ont été transférées sont pleinement mobilisées. Je pense notamment aux contrats jeune majeur, qui ont occupé les débats de l'Assemblée nationale ces derniers jours. En Seine-Saint-Denis, deux tiers des jeunes qui ont eu 18 ans dans l'année se voient proposer un contrat jeune majeur, soit 1 000 jeunes. Nous y consacrons chaque année 20 millions d'euros.
Cette politique ne s'arrête pas là : pour éviter les placements, nous menons des interventions intempestives auprès des familles ainsi que des actions de prévention, via des services d'accueil de jour, des relais parentaux ou adolescents, des centres mère-enfant. Nous comptons aussi sur un réseau de 117 centres de protection maternelle et infantile (PMI) – les dépenses pour la PMI en Seine-Saint-Denis représentant 20 % de la totalité des dépenses pour la PMI en France.
C'est dire l'ampleur de cette politique, mais aussi les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
Ces dernières années, l'ensemble du dispositif de la protection de l'enfance a été bouleversé par l'augmentation très importante du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) accueillis dans notre département. Aujourd'hui, nous accompagnons 1 612 MNA. Leur nombre a triplé depuis 2015 et les MNA représentent plus de 26 % du public de l'aide sociale à l'enfance.
Les départements, et singulièrement le nôtre, sont en première ligne, à la fois pour évaluer la minorité des MNA et pour les accueillir. La majorité des évaluations qui sont faites en Île-de-France sont assurées par deux départements : Paris et la Seine-Saint-Denis.
Personne ne pouvait anticiper que ce public triplerait en quelques années, ce qui a de fortes conséquences sur le fonctionnement de l'aide sociale à l'enfance. Nous avons créé une cellule spécifique d'accompagnement, la CAMNA, afin de sortir l'accompagnement au long cours de ces mineurs de nos circonscriptions territorialisées, qui ont dû elles aussi monter en puissance ces derniers mois pour accompagner l'ensemble de ces jeunes. Nous avons lancé un appel à projets pour créer 800 places d'hébergement supplémentaires, consacrées à l'accueil des MNA. La dépense en faveur des MNA est passée de 36 millions en 2017 à un peu plus 41 millions aujourd'hui.
J'ai tendance à penser que la question migratoire n'est pas derrière, mais devant nous, compte tenu des perspectives, notamment en Afrique subsaharienne. Il n'est pas soutenable pour les départements de continuer à accompagner les MNA sur le plan budgétaire et organisationnel si des évolutions ne se produisent pas dans les mois qui viennent.
Les MNA, parce qu'ils sont des enfants et des jeunes, doivent être accompagnés au titre de la protection de l'enfance : ils doivent être protégés, comme n'importe quel enfant. Je préfère le dire, car cela fait débat : ils n'ont pas vocation à être fichés pour être potentiellement expulsés par les services de police, ainsi que l'organise le décret 2019-57 du 30 janvier 2019. Je considère que les services du département ne doivent pas se faire, passez-moi le mot, les supplétifs du ministère de l'intérieur. S'il s'agit d'une question migratoire, alors elle doit relever du ministère de l'intérieur. Nous continuerons, avec d'autres départements, à défendre les droits de l'enfant en n'appliquant pas ce décret.
Les MNA rencontrent d'importantes difficultés pour construire leur avenir en France, qu'il s'agisse de l'accès au droit, de l'accès à la santé, de l'accès à la formation, de l'accès à un hébergement ou à un logement. Ces questions ne relèvent pas de la compétence du département, mais bien de l'État. Elles nécessitent un renforcement de l'articulation entre l'État et les services du département. Ce serait d'ailleurs un gâchis particulièrement absurde si ces jeunes, arrivés à l'âge de 18 ans, se voyaient refuser un titre de séjour après que les départements, via l'ASE, ont investi des sommes considérables !
À cet égard, notons que la proposition de loi de la présidente Brigitte Bourguignon, qui ouvre le contrat d'accès à l'autonomie aux seuls jeunes ayant été pris en charge pendant au moins dix-huit mois cumulés entre 16 et 18 ans, exclut de fait les 44 % d'enfants placés tardivement, dont la grande majorité – 70 % – sont des MNA.
Depuis plusieurs années, la question des MNA fait l'objet de discussions sur les relations financières entre l'État et les départements. La loi de finances pour 2019 consacre 175 millions d'euros à l'accompagnement financier des départements pour les MNA, ce qui représente en moyenne 17,5 % de la dépense assumée par les départements – 1 milliard d'euros environ. Cette part tombe à 10 % pour la Seine-Saint-Denis – département plus jeune, plus populaire, aux finances contraintes – car un certain nombre de mécanismes font que nous n'arrivons pas à obtenir une compensation plus élevée. Nous avons perçu en 2018 3,8 millions d'euros, un engagement financier très faible au regard de la charge que représente l'accompagnement des MNA dans le budget du département.
Pour accomplir correctement cette mission d'intérêt général, nous avons besoin d'un cadre renouvelé avec l'État. Je formulerai plusieurs propositions. Le triplement du nombre des MNA en trois ans en Seine-Saint-Denis impacte très directement l'ensemble du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, son organisation et son financement. En dépit de notre volontarisme, nous ne pourrons faire face seuls à l'augmentation continue du nombre de MNA. Nos ressources financières, en tension, ne sont pas extensibles. Il est temps que l'État prenne la mesure de cette situation et assure une juste compensation des dépenses que nous engageons.
De ce point de vue, deux dispositifs doivent être retravaillés. Le système de répartition des MNA entre les départements est organisé par un décret de 2016 et basé sur des critères très complexes, notamment la proportion de jeunes de moins de 19 ans dans le département. Avec quelques-uns de mes collègues à la tête de départements jeunes, nous pensions que ce critère nous conduirait à accompagner moins de MNA ; or c'est tout l'inverse qui s'est produit, puisque l'on a considéré que nous avions l'habitude de ces publics et que nous disposions d'un dispositif particulièrement développé et adapté ! Il est essentiel de revoir cette clé de répartition, d'autant que certains territoires sont dépeuplés, et que la démographie y a des conséquences sur le fonctionnement des services publics et l'économie de certains secteurs d'activité.
L'évaluation de la minorité doit relever d'une compétence nationale. J'ai proposé à maintes reprises que la phase d'évaluation et de mise à l'abri relève de l'État et que la phase d'accompagnement des mineurs avérés relève de la protection de l'enfance, donc des départements. Je constate que cette proposition n'est pas mise en oeuvre. Il faut, en attendant, qu'à l'échelle de l'Île-de-France, une plateforme régionale d'évaluation soit mise en place, financée par l'État. Ainsi, la solidarité nationale fonctionnerait et le rôle de chacun serait clarifié : à l'État, l'évaluation ; aux départements, la protection de l'enfance et l'accompagnement des MNA. Sans cela, nous ne pourrons pas faire face aux évolutions actuelles.