Je vous remercie de nous entendre et je précise que l'Association contre l'aliénation parentale pour le maintien du lien familial (ACALPA) ne conteste pas les placements en tant que tels, mais exprime des critiques et des suggestions sur les modalités de placement. Je dirai quelques mots de notre association avant de traiter de l'aliénation parentale puis d'exposer, en prenant pour exemple un cas réel, comment ces ruptures spécifiques de liens familiaux peuvent concerner l'ASE. Enfin, je pourrai donner au cours du débat quelques exemples de modèles de prévention, détection et interventions pratiquées dans d'autres pays que la France dans des situations similaires à celles que j'évoquerai.
L'ACALPA a été fondée en 2005 par des mères, des pères et des grands-parents soucieux de promouvoir le droit fondamental des enfants de garder le lien avec leurs deux parents quand ceux-ci se sont séparés. Notre démarche s'est appuyée sur les textes en vigueur. À l'époque, c'était la loi sur l'autorité parentale de 2002, qui dispose que le divorce n'introduit par lui-même aucun effet sur les droits et les devoirs des parents à l'égard de leurs enfants et que la séparation est sans incidence sur les règles de l'attribution de l'autorité parentale ; c'était aussi le code pénal pour ce qui concerne les non-représentations d'enfants. En 2007, nous avons organisé, avec la Fondation pour l'enfance, un colloque relatif à « La protection des enfants au cours des séparations parentales conflictuelles », en complément de la mission d'information parlementaire « Famille et droit des enfants » de 2006. Pour la première fois, les risques de perte de lien et les phénomènes d'aliénation parentale étaient débattus devant un large public de professionnels. Ce thème a été repris l'année suivante par la Défenseure des enfants de l'époque, Dominique Versini, dans son rapport annuel qu'elle a consacré aux « Enfants au coeur des séparations parentales conflictuelles ». Nous avons également participé aux ateliers installés lors du débat sur la loi du 5 mars 2007 de réforme de la protection de l'enfance.
Nous agissons par l'écoute et le soutien des parents, la formation de professionnels, à leur demande, et la participation au débat public. Nos bénévoles sont formés à l'Institut national d'aide aux victimes, devenu France Victimes ; nous sommes membre du groupe international de recherche sur l'aliénation parentale, ce qui nous permet d'agir comme une plateforme d'information et de mise en relation pour les professionnels du champ du divorce et des séparations, en France et en Europe. Nous avons eu l'honneur d'avoir été parrainés par Simone Veil depuis notre colloque de 2007.
Avec l'augmentation du nombre des séparations, de plus en plus d'enfants perdent le contact avec l'un de leurs parents très peu de temps après que ceux-ci se sont séparés et, en dépit de la politique d'apaisement en justice familiale, les procédures conflictuelles encombrent toujours davantage les tribunaux. L'enfant est devenu le principal enjeu de la séparation de ses parents. Quand celle-ci devient « une guerre atomique », pour reprendre l'expression de la juge Danièle Ganancia, l'enfant va vivre un cauchemar. C'est à ces moments de crise et de rupture que peuvent se révéler des difficultés psychiques, aussi bien chez les enfants que chez les parents. Derrière la terrible phrase : « Si tu me quittes, tu ne verras plus jamais les enfants », peuvent transparaître, pour qui sait les décrypter, des troubles de la personnalité et même des maladies mentales.
Par haine, vengeance ou dégoût, un parent peut détruire le lien de l'enfant avec son autre parent. Cette destruction est parfois définitive, avec le meurtre de son propre enfant pour « punir » son ex-conjoint ; le procès d'un père qui a tué sa fille de trois ans pour des raisons de cet ordre est en cours devant la cour d'assises d'Annecy. De façon plus générale, l'aliénation parentale, c'est le meurtre de la parentalité par la destruction du lien parent-enfant. Dans la guerre du divorce, instrumentalisé malgré lui, exposé à un chantage psychologique plus ou moins subtil de la part d'un parent qui s'opposera systématiquement aux décisions judiciaires – droits de visite et d'hébergement, résidence…– et qui abusera, consciemment ou inconsciemment, de son autorité parentale pour lui demander de choisir avec qui il veut aller vivre, l'enfant n'a parfois d'autre solution que de se rallier corps et âme au parent qu'il a « choisi », dit le parent « préféré », jusqu'à devenir captif de son mode de pensée.
Un colloque a eu lieu il y a quelques jours à Montpellier, qui réunissait des experts psychologues et psychiatres ; on y traitait pour la première fois des « nouveaux aliénés » : les enfants partis au djihad, les enfants embrigadés dans des sectes, mais aussi les enfants sous l'emprise de l'un de leurs parents – la secte, dans ce cas, c'est la famille. Piégé dans une relation d'emprise très bien décrite par la psychiatre Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage Abus de faiblesse et autres manipulations, l'enfant victime de ce phénomène peut tenir des propos d'une extrême dureté, voire porter des accusations très graves ou insensées – d'abus psychologiques ou sexuels, de séquestration, de privation de nourriture – à l'encontre du parent qu'il rejette. Mon propos est fondé sur des témoignages que nous avons recueillis depuis quinze ans : certains enfants, même très jeunes, se comportent avec une violence et une cruauté extrêmes, allant jusqu'à proférer des menaces de mort à l'encontre d'un parent jadis aimé. Ils peuvent aussi se mettre en danger eux-mêmes dans un chantage au suicide – « si on m'oblige à aller chez mon père, ou chez ma mère, je me tue ».
Cette situation, incompréhensible pour le parent rejeté qui se demande ce qu'il a bien pu faire pour devenir brusquement détesté à ce point, c'est l'aliénation parentale, définie par le psychiatre américain William Bernet comme « toute situation dans laquelle un enfant rejette un parent de façon injustifiée ou du moins non explicable par la qualité́ de la relation antérieure ». Rares sont les magistrats, experts et thérapeutes familiaux qui n'ont jamais eu à connaître de ce phénomène, même s'ils ne le qualifient pas ainsi. Il a pour caractéristique que l'attitude de l'enfant est en complète rupture avec la qualité de la relation parentale d'avant le conflit entre les parents : jadis aimé, le parent rejeté devient un étranger à qui l'on ne dit plus « papa » ou « maman », mais « Monsieur » ou « Madame », sinon des noms d'oiseau. Ces situations pathogènes pour l'enfant traduisent un dysfonctionnement grave des liens familiaux, ce qui peut amener le juge à signer une ordonnance de placement.
Le temps me manquant pour poursuivre, je répondrai à vos questions.