Je vous remercie de nous recevoir et de donner la parole aux associations représentant les familles qui s'efforcent de démontrer les placements abusifs de leurs enfants. Je tiens, à titre liminaire, à apporter quelques précisions. L'association Violette Justice ne remet pas en cause le principe du placement d'enfant lorsqu'il est légitime. Évidemment, nous ne représentons ni ne défendons en aucun cas les parents maltraitants. Les dirigeants de l'association ne sont pas eux-mêmes parents d'enfants placés. Les faits que nous rapportons sont strictement circonscrits au périmètre du placement abusif. Enfin, l'honnêteté intellectuelle commande de dire que nous recevons environ 20 % de sollicitations émanant de « fausses victimes » : parents réellement défaillants, plus rarement maltraitants ou cherchant à instrumentaliser l'association pour nuire à leurs ex-conjoints ; personnes présentant des troubles psychiatriques variés – mythomanie, tendances schizophrènes, propension à la mégalomanie – ou individus en quête de reconnaissance ; individus aux motivations plus obscures, tels qu'un prosélytisme sectaire, pour l'Église de scientologie par exemple, ou la récupération politique par les réseaux d'extrême-droite et le Rassemblement national.
Toutefois, dans 80 % des cas, ceux dont nous nous occupons, les parents ne présentent aucun profil maltraitant ni suffisamment défaillant pour que leurs enfants leur soient retirés. Tout au plus certains d'entre eux ont-ils besoin d'une assistance éducative qui, leur serait-elle apportée comme la loi l'impose, suffirait à améliorer la situation. Mais, dans la majorité des cas, les parents n'ont rien à se reprocher. Ayant, au fil des ans, établi une cartographie, nous sommes en mesure d'affirmer que les placements abusifs concernent environ un tiers des départements.
Trois critères caractérisent un placement abusif : la violation constante des lois et des procédures ; les faux en écriture, assez systématiques, notamment pour ce qui est des rapports émanant de l'ASE ; l'illégalité d'exercice d'un intervenant au moins, qui peut être le fait d'un membre du personnel d'une structure ou d'une structure en tant que telle. Dans les violations de la loi, il importe de souligner l'absence de réel critère de danger justifiant la décision de placement, ou une motivation incompréhensible ou diffuse : mère « trop fusionnelle », père « qui travaille trop » ou auquel on reproche de « vivre dans un luxe insolent », mère qui ne « sait pas reconnaître les sentiments d'autrui », conflit parental unilatéral, problèmes psychiatriques inexistants, accusations sans preuves…
En effet, un placement abusif ne peut avoir lieu que si l'on viole les textes législatifs et les codes de procédure. Si la loi est respectée, le placement abusif est impossible à organiser, puisqu'elle sécurise en théorie le parcours administratif et judiciaire des familles concernées et admet le placement des enfants comme ultime recours, lorsque toutes les tentatives contractuelles avec le département ont échoué. Par ailleurs, il convient de rappeler que la loi offre aussi aux parties de se défendre équitablement et d'apporter leurs propres éléments pour éclairer le juge dans sa décision. Mais, dans les faits, les dossiers de placements abusifs ont aussi pour caractéristique d'être constitués uniquement à charge contre les parents, passant sous silence ou faisant disparaître tous les éléments de preuves qu'ils tentent d'intégrer au dossier d'assistance éducative.
Dans la même logique, pour justifier l'injustifiable ou l'inexistant, l'ASE et les structures prétendument habilitées prenant en charge les mesures d'assistance éducative rédigent de faux rapports, uniquement à charge comme je l'ai déjà souligné, inventant des défaillances et des vies que les parents concernés n'ont pas – n'hésitant pas, par exemple, à transformer un trouble autistique, une déficience mentale ou une maladie congénitale en maltraitance par les parents. L'argument de la violence et de l'abus sexuel du père, celui du problème psychiatrique de la mère sont récurrents, mais ils sont toujours avancés sans preuve matérielle ni témoignage médical à l'appui. En revanche, il est fréquent de faire appel à certains professionnels de santé pour établir a posteriori des expertises de complaisance, à seule fin de confirmer les accusations fantaisistes des intervenants, quand bien même les parents disposent déjà d'attestations de spécialistes démontrant leur parfait état de santé mentale ou, pour d'autres, leur bientraitance évidente envers leurs enfants.
Pour ce qui est du dernier élément constitutif du placement abusif, l'exercice illégal d'un intervenant au moins, nous avons connaissance de faux experts, de faux médecins, de faux psychologues et même de faux assistants sociaux. J'ajoute incidemment qu'il est extrêmement difficile de vérifier les qualifications réelles des éducateurs, faute d'un fichier national les recensant. Mais l'on rencontre aussi, souvent, de vrais professionnels exerçant illégalement, soit parce qu'ils interviennent hors de leur périmètre ou qu'ils s'arrogent des compétences qu'ils n'ont pas soit parce qu'ils ne sont pas enregistrés au Conseil de l'Ordre ou à l'agence régionale de santé (ARS), sur le fichier Adeli par exemple.
Pire encore : certaines structures de services sociaux exercent sans avoir les habilitations préfectorales requises et s'investissent dans la prise en charge de mesures qu'elles ne sont pas autorisées à exercer si l'on se rapporte au fichier national des établissements sanitaires et sociaux. Ce sujet précis est le point d'orgue du problème du placement abusif : la nébuleuse des associations de droit privé gérant les mesures d'assistance éducative, qui désinforment les personnels administratifs et politiques sur la réalité de leurs pratiques, est absolument hors de contrôle et hors du champ des évaluations des politiques publiques, les usagers n'étant jamais sollicités. Or le constat est sans appel : ce sont justement ces associations – dont 46 % exercent illégalement, comme l'a établi la Cour des comptes en 2014 déjà – qui orchestrent les placements abusifs dans les départements concernés. Le secteur de la protection de l'enfance est ainsi devenu le périmètre d'un conflit d'intérêts majeur sur lequel les pouvoirs publics doivent s'interroger d'urgence, notamment dans le cadre de cette mission d'information. Les associations mandatées par les tribunaux pour enfants sont généralement à la fois juges et parties puisque, d'une part, elles réalisent les mesures d'investigation judiciaires, et que, d'autre part, elles vivent du placement d'enfants. Elles orientent donc systématiquement le juge vers la décision de placement, et sont prêtes à mettre en oeuvre tous les moyens imaginables pour la justifier. Cette situation ne peut évidemment durer plus longtemps.
L'Observatoire national de l'action sociale a établi que seuls 20 % des placements ordonnés avaient pour cause des maltraitances avérées. Dans 80 % des cas, les critères de danger avancés concernent le climat familial, le contexte social, ou encore de prétendues difficultés psychologiques ou éducatives qui, jusqu'à l'intervention des services sociaux, n'inquiétaient ni les professionnels de santé, ni l'école, ni le voisinage, ni les proches. Contrairement aux idées reçues, outre les cibles déjà identifiées – familles monoparentales, mères ayant été placées lorsqu'elles étaient mineures, personnes socialement isolées –, toutes les catégories socioprofessionnelles sont aujourd'hui concernées : cadres, ingénieurs, agents de l'État, militaires, artistes, policiers…
Outre que l'on peut s'interroger sur l'éventuel détournement d'argent public par des placements abusifs, les pratiques des services sociaux à l'égard des parents posent aussi des questions. Derrière la façade générique de « protection de l'enfance » permettant de s'attirer les subventions, les financements et la sympathie des pouvoirs publics se cachent bien souvent des méthodes répréhensibles moralement et pénalement : le harcèlement en réseau, pratique bien connue, travaille à la déstructuration sociale des parents, et entre 60 % et 70 % d'entre eux sont victimes de poursuites pénales abusives, dans des procès truqués. C'est l'une des méthodes employées pour justifier le renouvellement systématique du placement : 80 % des enfants placés le restent en effet jusqu'à leur majorité.
L'esprit de la loi est entièrement perverti : au lieu d'aider et d'accompagner les parents qui auraient besoin d'une aide éducative, tout est fait pour provoquer des difficultés toujours plus grandes, qui peuvent aller jusqu'à l'expulsion forcée de leur domicile ou des condamnations pénales aberrantes.
Je terminerai par quelques informations supplémentaires sur les pratiques institutionnelles dans le périmètre du placement abusif : 100 % des cours d'appel confirment les décisions de premier ressort ; 100 % des pourvois en cassation sont rejetés ; les plaintes sont systématiquement classées, et souvent elles ne sont jamais enregistrées ; l'accès au Défenseur des droits est pratiquement impossible et, quand il a lieu, il est presque toujours stérile ; les parents ont rarement accès au dossier d'assistance éducative et jamais au dossier médical de leurs enfants ; aucun projet pour l'enfant n'est jamais rédigé sinon exceptionnellement ; aucune aide éducative n'est apportée à la famille ; la rupture du lien, systématique, s'exerce par la raréfaction des droits de visite et d'hébergement qui vont jusqu'à disparaître complètement sans aucune justification.
Nous vous avons adressé notre cahier de propositions, fruit de longues années d'expertise. Nous espérons qu'il vous permettra d'avancer dans votre réflexion sur les moyens de mieux piloter les dispositifs à l'échelon national, en veillant à ce que le droit soit enfin respecté et à ce que les abus cessent aussi rapidement que possible, étant donné l'urgence.
En conclusion, nous pensons qu'il est impératif de mettre fin au conflit d'intérêts des structures chargées des mesures d'assistance éducative et de placement ; de contrôler les dépenses et les flux financiers dans le secteur de la protection de l'enfance, après un audit objectif et sans concession ; de sanctionner les personnels, y compris judiciaires, et les structures ayant manqué à leur mission de service public et dévoyé l'exercice de leur fonction.
Enfin, nous appelons l'attention sur l'échec prévisible de toute nouvelle réforme qui tendrait à maintenir le système actuel sans réformer la justice des mineurs et sans mieux encadrer les procédures et les pratiques des tribunaux pour enfants.
Nous réitérons notre demande de création d'une commission d'enquête parlementaire sur les structures exerçant illégalement dans le champ de la protection de l'enfance, et l'audition par cette commission des parents concernés, pour faire la lumière sur des comportements et des pratiques bien éloignés des discours officiels. Nous demandons enfin que, comme dans n'importe quel procès, accès soit donné aux dossiers d'assistance éducative, et surtout que l'on en finisse avec le huis clos des audiences.