Intervention de Adrien Taquet

Réunion du jeudi 27 juin 2019 à 11h00
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé :

Vous avez parlé d'un manque d'État. L'État est présent de jure puisque la justice a un rôle important, ce qui ne veut pas dire que la question de l'articulation entre l'État et le département ne se pose pas. Il conviendrait de se doter d'une instance de pilotage au niveau national pour mener cette politique publique. Quand une politique est décentralisée, elle est imbriquée entre des compétences de l'État et des départements, l'État étant le garant d'un certain nombre de principes, dont les droits de l'enfant. Mais je suis convaincu que les départements ont aussi ce principe en tête. De la même façon, assurer une certaine équité territoriale est, me semble-t-il, une prérogative de l'État.

Dans le cadre d'une politique décentralisée, le rôle de l'État est forcément différent : l'État sera davantage stratège, davantage garant, c'est-à-dire qu'il définit les grandes orientations et s'assure que les droits sont respectés.

La question du handicap est également une politique partagée. Il existe un outil de pilotage, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui met autour de la table l'État, les départements et les associations. Elle produit des référentiels, fait converger les pratiques. Ce système n'existe pas en matière de protection de l'enfance, mais je ne sais pas si c'est ce modèle qu'il faut élaborer.

Le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) a été institué en 2016, mais on ne lui a pas donné les moyens d'assurer cette mission. Il convient donc de renforcer le copilotage entre l'État, les départements, les associations et les jeunes et de produire, sur un certain nombre d'aspects, des référentiels nationaux, car il est difficile d'admettre qu'un enfant n'est pas en danger de la même façon s'il vit à Lille ou à Marseille. Il serait peut-être pertinent de faire converger les référentiels des informations préoccupantes. En réalité, une cinquantaine de départements utilisent déjà la même grille d'évaluation qui avait été développée en Rhône-Alpes. Mais on pourrait peut-être aller plus loin. Sachez que la Haute autorité de santé (HAS), qui a fusionné avec l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), travaille à l'élaboration de référentiels sur l'évaluation des informations préoccupantes. C'est la HAS qui fait office d'autorité aux plans sanitaire, social et médico-social, et c'est très bien qu'on s'inspire du niveau sanitaire à cet égard.

Il convient aussi d'accroître le nombre de points de contact dans les territoires. Vous avez parlé de pratiques communes. Or il n'y a pas de culture commune entre les différents professionnels, c'est-à-dire entre les travailleurs sociaux, les juges, les personnels de l'éducation nationale, ni entre les départements. En réalité, lorsqu'il y a des instances de coordination, qu'on se met autour de la table, qu'on échange les informations, qu'on croise les regards, qu'on développe des pratiques, des formations communes, les choses vont souvent beaucoup mieux. Il existe un outil intéressant, les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) – je vois que cela fait réagir certains d'entre vous – qui ne sont pas mis en place partout alors qu'ils devraient l'être. On peut même réfléchir à la manière de renforcer leur rôle et peut-être aussi de mieux les articuler entre eux et avec l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Au niveau local, ce sont des lieux où tout le monde est autour de la table, et où l'on peut réfléchir à la politique de la protection de l'enfance menée sur le territoire. On peut peut-être également imaginer d'autres points de contact entre le préfet ou le recteur.

En réalité, on se heurte à un problème de connaissance puisque les données ne remontent pas alors que cela devrait être le cas. C'est la même chose pour le handicap où les systèmes informatiques sont différents, ou encore au niveau de la justice.

En résumé, il convient d'avoir une approche un peu nationale sur un certain nombre de sujets. Par ailleurs, la qualification des personnels d'encadrement doit être la même dans une maison d'enfants à caractère social (MECS). En effet, les enfants ne peuvent pas souffrir de notre organisation administrative. Bien entendu, cela doit se faire sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales ni revenir sur la décentralisation. Hier, la plupart des acteurs ont dit qu'il ne fallait pas de big bang, et j'en ai pris bonne note. Toutefois, il convient d'améliorer un certain nombre de choses.

J'en viens à la question de la justice. Dans la Drôme, des associations se sont mises en grève parce qu'elles n'étaient plus payées. En fait, les décisions de justice ne sont pas transmises, faute de greffiers en nombre suffisant. Comme l'a indiqué Mme la ministre de la justice, la nomination d'un nouveau juge pour enfants a permis de traiter davantage d'affaires plus rapidement. Mais le bout de la chaîne, c'est-à-dire les greffiers, n'a pas suivi. Dès le moins de janvier, Mme la ministre a pris des dispositions permettant de recourir à des vacataires pour absorber rapidement les dossiers en souffrance, et un greffier supplémentaire avait été embauché dès le mois de juin. Bref, des moyens humains ont été affectés pour résoudre les problèmes le plus rapidement possible.

Avant cette affaire, les juges du tribunal de Bobigny, relayés par la plupart des juges pour enfants dans le pays, avaient lancé il y a un an et demi un appel au secours parce qu'un certain nombre de décisions de justice, essentiellement des mesures en milieu ouvert, n'étaient pas suivies d'effet, ou en tout cas dans un délai bien trop long, ce qui n'est évidemment pas acceptable.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, l'une des premières mesures que j'ai prise – en réalité, elle avait déjà été décidée par Mme la garde des sceaux – a été de demander à l'Inspection générale de la justice de lancer une mission sur le sujet pour évaluer la situation sur l'ensemble du territoire et apporter des réponses structurelles globales. Cette mission rendra ses premières conclusions très prochainement. On s'est aperçu qu'on disposait de très peu d'informations objectives et qu'il y avait une absence d'articulation entre le département et la justice. Il y a probablement matière à ce que les tribunaux s'organisent sensiblement différemment, en tout cas que le poste de coordinateur des juges pour enfants ait un rôle véritable – il est différent d'un territoire à l'autre. Peut-être aussi faut-il mettre en place, mais je n'ai pas encore eu ce rapport…

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