Après une première lecture sous le signe des questions, après une vive réaction du monde du patrimoine, les doutes des experts en construction et des historiens, et après une commission mixte paritaire non conclusive, ce texte revient dans l'hémicycle ; il exige de notre assemblée qu'elle fasse preuve d'une grande mesure.
Un mot persiste aujourd'hui : incertitude. Comme nous l'avions souligné en première lecture, de nombreux points de votre projet de loi soulèvent toujours notre interrogation. Dois-je vous rappeler le dernier épisode en date, la semaine dernière, en commission des finances, avec la suppression de l'article 5 ? Il ne semble y avoir sur ce sujet précis aucune ligne directrice, à tel point que la suppression de cet article clé du texte a été confirmée en commission des affaires culturelles, avec le concours d'une partie de la majorité. Cela ne peut qu'appeler notre attention sur la problématique de cette souscription nationale.
Si la rapporteure a parlé d'une erreur de vote, j'observe à tout le moins que les votes ont bien été exprimés dans le respect de la procédure. Où est donc l'erreur ? Nous imaginons que vous tenterez de rétablir cet article en séance publique. En tout cas, cet épisode démontre l'improvisation qui a présidé à l'élaboration de ce texte.
Toujours à l'article 5, nous regrettons que vous ayez choisi une réduction d'impôt. Pour permettre la participation de donateurs parfois modestes, qui ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, vous auriez pu mettre en place un crédit d'impôt. Vous auriez ainsi évité toute inégalité entre nos concitoyens devant les soutiens accordés par l'État.
Par ailleurs, 80 millions d'euros ont été recueillis depuis le lancement de la souscription nationale. Cette somme élevée ne représente toutefois que 9 % ou 10 % des dons promis, ce qui contraste avec l'élan de générosité spontané, après l'incendie. Rien ne garantit pour l'instant que l'ensemble des dons sera récolté ; c'est une autre incertitude.
Nous demandons de nouveau la suppression de l'article 9, malgré les amendements déposés par la majorité, hier, au dernier moment. Si ce timing savamment choisi a le mérite de surprendre, il va à l'encontre du débat parlementaire.
Je tiens également à rappeler les doutes du groupe Libertés et territoires sur le recours aux dérogations. La suppression des dérogations dans les domaines de la commande publique et de la construction est insuffisante. Il reste en effet dans le texte des dérogations qui concernent notamment l'urbanisme et l'environnement. Nous y sommes opposés, même si vous précisez leurs contours dans votre amendement déposé hier. La nécessité de restaurer et l'impératif d'efficacité ne doivent pas nous conduire à la précipitation.
Nous avons besoin de clarté. Tous ces éléments doivent nous alerter. Ne faisons pas de ce texte une loi d'exception. Prenons le temps de réfléchir, d'imaginer et de construire ensemble un avenir pour ce monument presque millénaire. Après tout, cet incendie, dont les images ont marqué nombre de Français et ont eu un écho par-delà les frontières, fait désormais partie de l'histoire de cette cathédrale au rayonnement mondial. Que ce soit par le biais de l'architecture, de la littérature, de la religion, du spectacle, de l'urbanisme ou encore du cinéma, Notre-Dame fait partie de notre histoire commune. Elle fait appel à l'imaginaire collectif. Il convient de nous montrer humbles face à ce monument emblématique de notre patrimoine.
Parce qu'elle appartient au patrimoine mondial et qu'elle est un élément de notre culture commune, parce qu'elle attire 14 millions de visiteurs par an, parce que sa dimension s'étend bien plus loin que le seul rayonnement de Paris ou de la France, nous devons oeuvrer à sa restauration en prenant le temps nécessaire, ce qui est sans doute incompatible avec le respect du délai de cinq ans souhaité par le Président de la République. Comme en première lecture, nous maintenons la réserve que suscite cet agenda. Est-il seulement tenable ? Nous partageons les doutes émis par de nombreux spécialistes quant à cette échéance. En toute hypothèse, je le répète, il convient de prendre du recul.
Nous devons tirer les leçons de cet incendie. Après tout, il doit être l'occasion de faire appel à notre créativité. Notre pays regorge de créateurs, d'artisans, d'architectes ou d'ingénieurs prêts à mettre leur expertise et leur ingéniosité au service de la reconstruction de Notre-Dame. Les images du 15 avril ont frappé tant de gens et l'émotion s'est répandue immédiatement depuis Paris vers la France et le monde. Car ce monument fait partie de notre quotidien : il s'est inscrit dans le décor urbain, au point de devenir presque banal, alors qu'il offre une architecture remarquable. Au moment où la flèche s'est effondrée, la tristesse s'est emparée de la foule, comme si elle découvrait la vulnérabilité de cet édifice et, au-delà, celle des choses de ce monde.
À ce moment-là peut-être, les passants qui assistaient à cet effondrement ont pris conscience de la finesse, de l'esprit de détail et de l'équilibre architectural de ce monument. Il faut être à la hauteur de cet héritage. C'est pourquoi, nous y insistons, il ne faut pas se précipiter. Il faut plutôt faire appel à l'ensemble des bonnes volontés prêtes à construire le nouveau visage de la cathédrale.
Au-delà même de Notre-Dame, notre réflexion doit s'étendre à l'ensemble de notre patrimoine. Cet incendie n'est pas le premier ; il ne sera pas, hélas, le dernier, et il faut prévenir d'éventuels accidents similaires. Nous nous interrogeons sur l'éventuel surplus de dons. Nous l'avons dit tout à l'heure, ils arrivent progressivement et nous ne pouvons pour l'instant pas prévoir la somme qui sera effectivement réunie.
Que faire si l'on reçoit dans le cadre de la souscription – c'est une hypothèse – plus de dons que prévu pour la restauration de Notre-Dame ? Ne pourrions-nous pas en profiter pour intégrer à la démarche l'ensemble de nos territoires, afin que cet incendie soit l'occasion de participer à la conservation du patrimoine partout dans le pays ? De nombreux spécialistes nous ont d'ailleurs alertés en ce sens. Une prise de conscience générale est aujourd'hui plus que nécessaire. Notre groupe vous avait d'ailleurs appelés à dresser un état des lieux précis des difficultés de conservation de l'ensemble du patrimoine et un diagnostic incendie des principaux monuments. Nous renouvelons évidemment cette demande.
Nos régions et nos territoires sont tous concernés par ce sujet. Dans chaque région, dans chaque département, dans chaque commune, notre patrimoine doit être préservé. Actuellement, 65 % des crédits du patrimoine sont destinés à l'Île-de-France ; les territoires situés en dehors de cette région doivent se partager le tiers restant. Ce débat doit être l'occasion de souligner cet aspect indiscutable de la fracture territoriale.
En définitive, de nombreuses incertitudes demeurent sur ce texte, sur sa rédaction, sur sa chronologie, sur le cadre fiscal de la souscription, sur la création d'un établissement public ou sur les dérogations prévues. Nous souhaitons bien sûr la restauration de Notre-Dame, et nous contribuerons au débat en ce sens, mais nous appelons de nouveau à ne pas céder à la précipitation. Notre groupe est réservé sur ce projet de loi et entend profiter de cette discussion en nouvelle lecture pour qu'il soit répondu à de nombreux doutes. Nous discuterons dans un esprit constructif, afin de travailler ensemble à la sauvegarde et à la reconstruction de cette oeuvre, et de nous interroger sur la préservation de tout le patrimoine français.