C'est là ma deuxième inquiétude : en plus d'édicter des mesures d'urgence, ce projet de loi contrevient à bien des traités internationaux protecteurs de notre patrimoine. Ces textes portent en eux le poids des années, celui de cette expérience nécessaire pour ne pas répéter les erreurs du passé en matière de patrimoine. Il faut s'y référer, en particulier lorsqu'il s'agit de reconstruire Notre-Dame.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué au Sénat ne pas vouloir fermer le débat sur les modalités de la restauration. Mais pour les monuments historiques classés, il n'y a pas de débat à avoir ! Ainsi que l'a relevé très justement M. Pierre Ouzoulias, notre collègue sénateur qui est aussi conservateur du patrimoine, nous nous devons de respecter le concept d'authenticité inscrit dans la charte de Venise, et la mansuétude universelle que Notre-Dame a suscitée nous met dans l'obligation de respecter scrupuleusement les règles du patrimoine dont ce monument classé est tributaire.
Les experts que nous avons entendus lors des auditions du groupe d'études sur le patrimoine ne disaient pas autre chose. Mais les experts se succèdent et leurs avis se ressemblent sans que vous jugiez bon de les entendre – vous assurez les entendre mais n'en faites rien. Une prétendue modernisation de ce joyau n'aurait aucun sens ; tous vous disent combien une restauration à l'identique s'impose. Je ne citerai que Jean-Michel Leniaud, ancien directeur de l'École nationale des chartes, qui nous a rappelé, en avril dernier : « À Notre-Dame, la vraie modernité nous impose de transmettre l'icône, avec piété et dans la joie : n'ajoutons pas au déshonneur de n'avoir pas su garder la faiblesse de ne pas savoir transmettre. »
Votre texte est inquiétant. Vous faites voter une loi alors que tout le dispositif juridique relatif à la restauration de Notre-Dame de Paris est présent dans le code du patrimoine. Vous créez un établissement public dont la durée de vie n'est pas précisée et l'efficacité pas mesurable, alors que des établissements existants eurent fait l'affaire. Vous ne prévoyez pas la réaffectation d'un éventuel excédent des dons : servira-t-il à l'entretien de l'église alors que c'est à l'État d'y pourvoir ?
Oui, c'est à l'État de pourvoir à l'entretien de certaines églises dont il est garant. En France, l'état actuel des églises, dont les communes ont aussi la charge, est alarmant. Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour vous interpeller, monsieur le ministre, sur l'état de délabrement notoire de nos églises de France. Je voudrais lancer un appel. Nos églises souffrent. Elles souffrent d'un manque d'entretien patent. Monsieur le ministre, pitié pour elles ! Pitié pour nos églises !
L'un de nos éminents prédécesseurs, Maurice Barrès, en lançant son appel pour la préservation des églises de France, ne s'y trompait pas : « Quels trésors de noblesse et de poésie, quelle richesse matérielle aussi représentent ces églises de France, que nous sommes en train de laisser s'écrouler ! [… ] Toutes portent un témoignage magnifique, le plus puissant, le plus abondant des témoignages en faveur du génie français. [… ] Elles sont la voix, le chant de notre terre, une voix sortie du sol où elles s'appuient, une voix du temps où elles furent construites et du peuple qui les voulut. » Il faut les sauver, monsieur le ministre !