Je sais malheureusement qu'elle porte aussi en elle vos histoires, chers collègues, quelle que soit votre couleur politique, lorsque vous êtes attaqués non pas pour vos opinions, mais pour ce que vous êtes dans votre chair. Et je ne sais que trop à quel point elle porte également en elle l'histoire de milliers de nos concitoyens qui, chaque jour, sont victimes ou témoins sur internet d'atteintes graves à notre socle commun : la dignité humaine.
C'est donc pour moi un honneur de vous présenter un texte qui, je l'espère, changera durablement la donne pour tous ceux qui sont victimes d'expressions de haine à raison de leur prétendue race, de leur religion, de leur nationalité, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou encore de leur handicap.
Ce que je vous propose, chers collègues, c'est d'affirmer clairement que ce qui n'est pas toléré dans un bus, dans un restaurant, dans l'espace public ne doit pas davantage être toléré sur internet.
Ce que je vous propose, c'est de protéger notre liberté d'expression, mise à mal chaque fois quelqu'un quitte les réseaux sociaux ou hésite à s'y exprimer de peur de subir des attaques racistes, antisémites, antimusulmanes, homophobes, sexistes, handiphobes, et bien d'autres encore.
Ce que je vous propose, c'est d'affirmer que, si internet est devenu un enfer pour nombre de nos concitoyens, cela ne doit pas être une fatalité. Nous avons la responsabilité de veiller à ce qu'internet reste un lieu d'échanges, d'opportunités, de communication et d'information, et non le terrain de jeu de professionnels du harcèlement qui savent trop qu'ils peuvent nuire aux autres sans être inquiétés.
Ce que je vous propose, c'est d'ouvrir les yeux sur notre usage d'internet et des réseaux sociaux et sur la place qu'ils prennent aujourd'hui dans notre existence, pour en finir avec une vue de l'esprit qui viendrait distinguer ce qui se passe dans la vraie vie, d'une part, des horreurs que l'on peut subir en ligne, d'autre part.
Enfin, je vous propose d'écrire une nouvelle page de notre rapport au numérique. L'autorégulation ne suffit plus, et le statu quo n'est pas une option. Je le répète, ce qui n'est pas toléré dans la rue ne doit pas l'être sur internet. C'est en ce sens que j'ai mené avec Karim Amellal et Gil Taïeb une concertation avec les différentes parties prenantes – plateformes, associations, magistrats, policiers et universitaires. Le 20 septembre dernier, nous avons remis au Premier ministre vingt recommandations dont la présente proposition de loi est la traduction.
Le coeur du texte est l'obligation pour les grandes plateformes de retirer les contenus manifestement haineux dans un délai maximum de vingt-quatre heures après leur signalement. Pour la mettre en oeuvre, nous créons un nouveau délit, sur mesure et placé sous le contrôle du juge.
Afin d'assurer vitalité et efficacité à l'obligation de retrait, nous donnons aussi des poumons à la nouvelle régulation : les obligations de moyens incombant aux plateformes. Celles-ci devront instaurer un bouton de signalement unique, qui sera un bouton d'alerte identifié par tous et permettant de dénoncer les contenus illégaux. Les plateformes auront également l'obligation de se doter de moyens humains et technologiques proportionnés pour assurer la modération des contenus. Elles seront soumises à des obligations de transparence, d'information des utilisateurs et d'audit interne s'agissant des retraits de contenus haineux. Enfin, une coopération judiciaire renforcée aidera à mieux identifier les auteurs des délits.
Les plateformes doivent se disposer à appliquer l'obligation de retrait des contenus manifestement haineux, sous la supervision et grâce à l'accompagnement du régulateur. Et, parce que la régulation n'est efficace qu'assortie d'un pouvoir de sanction, le Conseil supérieur de l'audiovisuel – CSA – pourra les sanctionner lourdement, d'une amende allant jusqu'à 4 % de leur chiffre d'affaires mondial, si elles ne respectent pas ces obligations et adoptent en matière de retrait de contenus un comportement qui ne leur est pas conforme, que ce soit par insuffisance ou par excès.
Nous organisons également une nouvelle procédure, simplifiée, pour lutter efficacement contre des sites qui n'ont d'autre but que de véhiculer une haine abjecte, et dont je m'abstiendrai de faire la publicité dans l'hémicycle. Bloquer ces sites, en effet, c'est instaurer une barrière de protection sur notre territoire pour tous nos concitoyens.
En commission des lois, et avec le concours de collègues de diverses sensibilités, nous avons précisé le texte, son champ d'application, les obligations de moyens et les pouvoirs afférents du CSA, conformément aux recommandations du Conseil d'État, que j'ai souhaité saisir pour avis.
Nous avons suivi la volonté, exprimée par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, d'inscrire une sensibilisation à la haine en ligne dans les modules proposés aux élèves et aux enseignants. Je tiens à saluer ici le travail de la rapporteure pour avis, Fabienne Colboc.