Ce rôle ne revient ni à l'exécutif, ni aux réseaux sociaux eux-mêmes : dans les deux cas, ce serait un problème pour la démocratie. Seule la justice peut ensuite procéder à l'identification et à la sanction des auteurs de délits. C'est la justice, enfin, qui est le dernier recours en cas de retrait abusif, même si la proposition de loi impose aux plateformes l'obligation d'instaurer des mécanismes de recours interne et d'information à l'intention des auteurs des commentaires retirés.
Pour fonctionner, la justice doit oeuvrer dans la sérénité et prendre le temps de mener une procédure contradictoire. Cette exigence s'accommode peu de la réalité et de la temporalité des réseaux sociaux : lorsqu'un contenu dangereux est publié, il n'est pas possible – il ne serait même pas raisonnable – d'attendre quelques semaines, a fortiori quelques mois, que justice se fasse.
C'est la raison pour laquelle nous allons constituer un groupe de contact rassemblant magistrats et représentants des réseaux sociaux et de la société civile et placé dans l'orbite du futur régulateur. Il permettra de donner aux plateformes, au fil de l'eau et après débat, des indications qui n'auront pas force de loi, sur lesquelles la justice pourra toujours revenir, mais qui, en guidant les plateformes, empêcheront que celles-ci n'apprécient seules la qualité des contenus.
La haine en ligne revêt des formes sans cesse nouvelles. Elle évolue en permanence, car chaque évolution technique fait émerger son lot de modes d'expression. Nous devons être en mesure de suivre ces évolutions et d'en comprendre les mécanismes et les tendances afin d'adapter nos moyens de riposte.
Voilà pourquoi il nous faut aussi réfléchir à la création d'un observatoire de la haine en ligne, projet auquel je sais la rapporteure très attachée. Il reste à définir son périmètre ; nous en débattrons tout à l'heure ; il s'agira en tout cas d'un autre instrument utile.
Je sais enfin la tension apparente entre l'article 1er de cette proposition de loi et l'obligation de moyens. Comprenons-nous bien : en réalité, l'article 1er renforce l'obligation de moyens ; c'est son irrespect seul que sanctionne l'amende de 4 % du chiffre d'affaires. Nous nous démarquons en cela de l'esprit de la loi allemande, dont l'application a pu susciter l'inquiétude. Encore une fois, la liberté de tous ne doit pas être sacrifiée à cause des abus de certains.
Je le dis clairement : nous avançons avec une détermination sans faille, qui s'accompagne d'une véritable humilité. Le dispositif que nous vous proposons aujourd'hui devra faire ses preuves ; nous pensons toutefois tenir le fil d'une solution efficace et respectueuse des libertés fondamentales. Nous avons en la matière, je le rappelle, un devoir de résultat et de rapidité.
Le dernier élément du triptyque proposé par le texte n'est pas le moindre, même s'il est probablement le moins législatif. On le voit avec les fake news, le cyberharcèlement et la haine en ligne : le numérique modifie radicalement notre rapport à l'information et à l'échange. La masse de contenus accessibles perturbe profondément notre rapport à l'information et à son traitement, comme l'ont montré les travaux récents du sociologue Gérald Bronner.
Ces nouveaux comportements cognitifs intéressent l'ensemble de notre société. Nous devons sensibiliser et éduquer les jeunes et les moins jeunes à l'usage des forums de la vie sociale, en particulier pour concevoir, ensemble, la manière dont la liberté d'expression sur les réseaux sociaux peut s'articuler au respect de l'autre.
C'est un travail que le Gouvernement entend mener, par l'intermédiaire du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, Jean-Michel Blanquer, et de son secrétaire d'État, Gabriel Attal, à l'école, par la formation des élèves, mais aussi des professeurs, ou encore dans le cadre du service national universel.
Au fond, nos interactions avec les autres, sur les réseaux sociaux comme ailleurs, sont à la fois ce qui nous construit individuellement et ce qui définit notre liberté collective.
La sensibilisation de tous les acteurs est également l'un des objectifs de la proposition de loi : il s'agit de mettre à l'ordre du jour politique et médiatique ce poison insidieux de nos sociétés, trop souvent négligé, qu'est la haine en ligne. Combien de haussements d'épaules, chez des parents ou des proches ? Combien de victimes qui ont du mal à déposer plainte dans les commissariats ? Combien de vies brisées par le silence et par l'impression d'être seul face à la haine ? Nous devons faire de ce combat un combat de société.
Je ne serai pas trop long à l'orée d'un débat qui promet d'être intense et permettra, je l'espère, d'enrichir et de consolider le texte qui vous est présenté. Je voudrais, avant de conclure, remercier la rapporteure, Mme Laetitia Avia, pour le combat qui commence et qu'elle prépare depuis de longs mois. Elle a contribué, avec une profonde conviction, à le mettre sur le devant de la scène. Je remercie également le secrétaire d'État Mounir Mahjoubi, qui a entamé le travail que je poursuis aujourd'hui.
J'évoquerai enfin l'humilité qui doit être la nôtre s'agissant d'une question à laquelle aucun pays développé n'a encore su apporter de réponse. Nous posons aujourd'hui, grâce à un travail mené en partie avec les plateformes, la première pierre d'un dispositif que nous pensons efficace et qui pourra, demain, trouver un écho au niveau européen. Il faudra certainement revenir à la tâche pour le préciser, l'améliorer, le corriger.
La régulation, mesdames et messieurs les députés, n'est pas la censure. Le 26 août 1789, les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme. Ces droits constituent, encore aujourd'hui, les fondements de notre démocratie et de notre pacte social, car ils ont valeur constitutionnelle.
L'article 11 de cette déclaration – la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – dispose : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
La proposition de loi qui vous est présentée prend résolument racine dans ce terreau essentiel. Nous ne sommes ni libertaires, ni liberticides. Notre approche est résolument libérale, nourrie de la grande ambition de mettre les outils numériques au service de la connaissance, du débat citoyen et du progrès.
Mais la liberté de penser n'est pas la liberté de haïr, ni celle d'insulter ou de menacer ; le racisme n'est pas une opinion, pas plus que l'antisémitisme ou l'homophobie : ce sont des délits. Les règles de droit qui fondent notre vie en société doivent également s'appliquer sur la toile, où la violence n'a rien de virtuel. Le web doit rester un espace de liberté, mais il ne saurait devenir un espace de non-droit.