L'actualité vient assez souvent, il faut le dire, confirmer le mouvement dessiné par certains des textes que nous examinons au sein de cet hémicycle. C'est encore le cas aujourd'hui. Permettez-moi, chers collègues, de revenir brièvement sur l'annonce qui a mis en effervescence le monde, plus si petit, de la « tech » : l'arrivée d'une nouvelle cryptomonnaie, Libra, éditée par Facebook.
Voilà donc qu'un géant des réseaux sociaux s'arroge l'une des principales prérogatives régaliennes : battre monnaie – à ceci près que le géant des GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – crée, avec Libra, une devise transnationale. Le caractère globalisant de ce projet doit impérativement nous amener à nous interroger sur la place des multinationales dans l'espace politique et économique.
Quel est exactement le rôle qu'on voudra bien leur permettre de jouer ? Si le rythme actuel de l'évolution de ces acteurs permet difficilement toute anticipation, je suis fermement convaincue que le législateur peut et, surtout, doit encore agir. En effet, c'est l'un des seuls acteurs en mesure, compte tenu de son mandat, d'édicter les règles qui façonnent le vivre ensemble. C'est bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui : faire société. Il nous appartient de créer les règles qui permettront aux plateformes, aux réseaux sociaux, à internet, de redevenir des espaces de respect et de responsabilité.
Comme je le disais lors de l'examen du texte en commission, nous sommes aujourd'hui à un tournant ; nous ne pouvons plus accepter que le formidable outil qu'est devenu internet soit le catalyseur de la violence, de la haine de l'autre, bref, de la fin de la civilité. L'anonymat, la viralité, la rapidité, caractéristiques premières de ces plateformes, ne peuvent plus être brandies comme des prétextes pour se dérober aux responsabilités qui incombent à chacun. Il s'agit là, aussi, d'un enjeu démocratique. Le message doit être très clair : tous responsables dès la première connexion, la première publication, le premier « like », le premier partage.
La proposition de loi dont nous allons débattre prend le relais de nombreux textes – je pense à la loi pour la confiance dans l'économie numérique, ainsi qu'aux lois, plus récentes, organique et ordinaire, pour la lutte contre la manipulation de l'information, ou encore à la loi relative à la protection des données personnelles – qui ont enrichi notre arsenal législatif.
Toutefois – je tiens à saluer le travail mené par Laetitia Avia – elle propose une nouvelle approche, puisqu'elle s'appuie principalement sur la responsabilisation – des plateformes comme des utilisateurs. C'est essentiel car ce double mouvement, vers les premiers et les seconds, garantit une véritable régulation sans porter atteinte à la liberté d'expression. Comme je l'évoquais à l'instant, c'est un défi démocratique. Les utilisateurs des plateformes sont tout à fait libres de s'inscrire ou non, de consentir ou non, de relayer ou non, de publier ou non tout type de contenu. Toutefois, dans la société organisée qui est la nôtre, une telle liberté n'est envisageable que si l'ensemble des acteurs sont responsabilisés.
Pendant du volet de la responsabilisation, d'importantes avancées en matière de pédagogie ont été obtenues en commission, notamment en direction des auteurs de contenus illicites. Je pense aussi à la sensibilisation en direction des parents et des mineurs lors de l'inscription de ces derniers à un réseau social. Mais nous nous préoccupons aussi de l'information, puisque nous avons ajouté, au cours de nos débats, l'obligation pour les plateformes d'informer, par la publication d'un message, du retrait d'un contenu haineux, mais également d'indiquer précisément aux « signaleurs » comme aux auteurs, les suites données au signalement d'un message.
Malgré ces nombreuses avancées, plusieurs interrogations demeurent. J'avais évoqué certaines d'entre elles en commission et je tiens à y revenir ici, car il me semble qu'elles constituent des problématiques sur lesquelles il nous faudra encore travailler. Je citerai d'abord le choix du trafic comme seul critère de définition des plateformes visées par le texte. Nous aurions aimé, madame la rapporteure, que le périmètre du texte soit plus large. En effet, nous savons pertinemment que les plus petites plateformes – en nombre de connexions – , ne sont pas différentes des plus grandes ; elles sont aussi, à leur échelle, des lieux de viralité.
Autre élément d'interrogation, l'absence du juge judiciaire dans le processus de définition du caractère « manifestement illicite » des contenus. C'est tout le problème posé par l'article 1er de ce texte, qui, en dépit de sa modification en commission, laisse une latitude assez importante aux opérateurs en la matière.
Enfin, je souhaitais évoquer la compatibilité des différents textes législatifs et les conséquences de leur juxtaposition sur leur bonne mise en oeuvre. Je m'explique : j'indiquais précédemment que cette proposition de loi s'inscrit dans la perspective dessinée par les précédents textes adoptés sur le sujet – en particulier, de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, votée en 2004. Si les deux textes sont, bien évidemment, complémentaires, il nous faudra être particulièrement vigilants et avoir à l'esprit l'application des mesures que nous portons. Il ne s'agit pas, en effet, de complexifier la législation en ajoutant un niveau supplémentaire.
Outre ces problématiques, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés a entrepris de travailler selon trois axes qui lui semblaient à la fois fondamentaux et complémentaires des lignes directrices du présent texte : la prévention, la transparence et l'accompagnement.
En matière de prévention, des amendements seront défendus par Géraldine Bannier et Erwan Balanant concernant l'information des utilisateurs sur les possibles conséquences de la publication et de la diffusion de messages haineux, ainsi que la responsabilité des établissements scolaires des premier et second degrés quant à la sensibilisation des plus jeunes.
En ce qui concerne la transparence, deux amendements préciseront les données qui devront être rendues publiques par les plateformes sur leur action en matière de lutte et de prévention contre les contenus haineux.
Quant à l'accompagnement des plus jeunes, enfin, Laurence Vichnievsky proposera d'offrir aux mineurs victimes de contenus abusifs la possibilité de faire appel à un signaleur de confiance, c'est-à-dire à un tiers qui jouerait le rôle d'interface entre des mineurs bien souvent démunis et les plateformes.
Vous le voyez, les idées ne manquent pas. Avec mes collègues du groupe Mouvement Démocrate et apparentés, nous nous sommes beaucoup investis depuis le début de l'examen de ce texte, car nous espérons vivement qu'il sera adopté. Il porte des enjeux démocratiques majeurs et renforce un corpus législatif encore trop lacunaire, notamment en matière d'éducation au numérique.
Le département dont je suis l'élue fait beaucoup pour permettre aux jeunes alto-séquanais d'accéder au numérique tout au long de leur parcours scolaire. Ainsi, depuis 2003, il a distribué près de 1 600 ordinateurs reconditionnés aux collégiens des Hauts-de-Seine. En tant qu'élue, je salue cette belle initiative. Je suis cependant persuadée que nous devrons encore travailler, à l'avenir, pour donner à ces jeunes les outils nécessaires pour qu'ils puissent utiliser ce matériel au mieux. Le présent texte y contribuera.