Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Annoncée par le Président de la République le 7 mars 2018 au dîner du CRIF – Conseil représentatif des institutions juives de France – , puis encore un an plus tard au cours du même dîner, la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet est très attendue. Internet est un magnifique instrument de partage, mais il est aussi devenu un déversoir de haine : racisme, antisémitisme, sexisme, homophobie, harcèlement et dénigrement polluent massivement la toile.

Selon une étude récente de l'agence Kantar Media, on dénombre plus de 200 000 insultes en vingt-quatre heures sur le web français ! Et 40 % des adolescents déclarent avoir déjà été victimes de propos haineux en ligne. Permettez-moi, à cet égard, d'avoir ici une pensée pour Evaëlle, enfant d'Herblay, âgée de onze ans, qui s'est pendue, le 21 juin dernier, pour échapper à un cyberharcèlement en meute de la part de ses camarades mais aussi, d'après ses parents, d'une de ses professeures.

La haine en ligne n'est pas seulement virtuelle. Elle façonne les esprits, notamment chez les plus jeunes, ceux de la génération internet. Souvent, elle précède la violence. Le phénomène n'épargne personne, pas même les députés de la République – n'est-ce pas, chère Laetitia Avia ?

J'ai ici le dossier d'une année de haine à mon encontre. Et cela fait six ans que ça dure. Je vous laisse imaginer ce que cela représente. Je porte souvent plainte, mais pas toujours, tant les cas sont nombreux, et longues les procédures. Récemment, le tribunal de grande instance de Melun a requis un an de prison, dont cinq mois avec sursis, contre un islamiste qui avait proféré des menaces de mort à mon encontre. C'est dur, même pour moi, qui suis fort, et bien plus encore pour d'autres.

Pour lutter contre la cyberhaine, le texte dont nous débattons définit quatre objectifs : responsabiliser les plateformes ; améliorer et accélérer la coopération entre opérateurs et autorités judiciaires en matière d'identification des auteurs ; imposer des obligations de transparence ; renforcer l'effectivité des décisions judiciaires de blocage des sites qui propagent une idéologie de haine.

Par ses articles 2 et 3, le texte simplifie les modalités de signalement, facilite l'identification et oblige les plateformes à avoir un représentant légal. Ces mesures étaient indispensables : chaque citoyen doit avoir des armes pour combattre la haine sur internet.

Par ailleurs, certains ont pu s'interroger sur l'étendue des pouvoirs que l'article 4 tend à confier au CSA. Placés sous le strict contrôle du juge judiciaire, ils nous semblent justifiés.

L'article 6, lui, simplifie la procédure de blocage ou de déréférencement de sites. C'est, là encore, un réel progrès, comme l'attestent les difficultés rencontrées pour bloquer, par exemple, le site néonazi Démocratie participative, hébergé à l'étranger, contre lequel j'ai personnellement déposé plainte aussi.

Nous ne ferons pas la fine bouche, madame la rapporteure. C'est un bon texte, qui appelle toutefois plusieurs amendements. Première interrogation essentielle : que recouvre la notion de contenu manifestement illicite, pierre angulaire de l'article 1er ? Parfois, la haine est explicite, mais il arrive aussi que les auteurs usent de subtilités sémantiques pour échapper à la loi.

Je veux ici aborder un sujet qui m'est très cher. L'antisémitisme, celui-là même qui a tué ces dernières années douze Français juifs parce qu'ils étaient juifs, a envahi les réseaux. Dans l'immense majorité des cas, il emprunte le faux nez de l'antisionisme : négation du droit d'Israël à l'existence, criminalisation systématique de l'État juif, amalgames, caricatures, théories du complot. « Sale sioniste ! », dit-on aujourd'hui. Cela sonne mieux que : « Sale juif ! », et c'est plus facile. Le CSA étendra-t-il l'interdiction à ces contenus haineux, aux appels au boycott ? C'est absolument indispensable.

Pour rappel, à Toulouse et à l'Hyper Cacher, c'est au nom de la haine d'Israël que les terroristes ont perpétré leurs crimes. Je veux avoir ici une pensée pour la petite Liora Sandler, qui a perdu son père, ses deux frères et sa cousine dans les attentats de Toulouse, et que je tenais dans mes bras, hier soir, lors de l'inauguration d'une allée Jonathan-Sandler au Chesnay-Rocquencourt. Plus jamais ça !

Aujourd'hui, lutter contre l'antisémitisme sans combattre son nouveau visage qu'est l'antisionisme est totalement vain et illusoire. Ce serait, madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d'État, un coup d'épée dans l'eau. Je suis inquiet de la difficulté à inscrire à notre ordre du jour la proposition de résolution de Sylvain Maillard, texte non contraignant qui s'appuie sur la définition de l'antisémitisme que donne l'IHRA, l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste, et ce malgré les engagements du Président de la République, malgré la lettre que j'ai écrite, avec mes collègues Goasguen et Pupponi, au Premier ministre et malgré la très belle tribune des Klarsfeld adressée au bureau de l'Assemblée nationale. Savez-vous combien de députés de la majorité ont cosigné l'amendement d'Aurore Bergé sur l'antisionisme ? Cinq, sur trois cent quatre !

3 commentaires :

Le 06/07/2019 à 07:35, Laïc1 a dit :

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"Annoncée par le Président de la République le 7 mars 2018 au dîner du CRIF – Conseil représentatif des institutions juives de France – , puis encore un an plus tard au cours du même dîner"

Et la laïcité, où est-elle ? On imagine M. Macron se rendre (s'ils existaient de manière symétriques) au conseil des institutions catholiques, ou luthériennes, ou sunnites, pour y exposer sa politique avec les catholiques, les luthériens, les musulmans sunnites.

On ne peut pas se prétendre laïc et faire des actions qui enfreignent de toute évidence la laïcité, la laïcité qui ne reconnaît pas les cultes (article 2 de la loi de 1905), et qui ne reconnaît donc pas le culte juif, et donc les institutions qui disent s'en réclamer.

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Le 06/07/2019 à 08:09, Laïc1 a dit :

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A ce sujet, on pourrait pousser la réflexion. Qu'est-ce que le sionisme ? C'est le droit au retour des juifs vers l'Etat d'Israël.

Mais qu'est-ce qu'un juif ? Est-ce appartenir à une religion ou est-ce à une ethnie ? Si c'est à une religion, comme l'Etat ne reconnaît pas les cultes, il ne peut donc pas reconnaître également le sionisme, mouvement purement religieux que la loi l'empêche de reconnaître.

Si le sionisme n'est pas religieux, mais ethnique (le fameux "est juif toute personne née d'une mère qui se dit elle-même juive…), on déduit que l'Etat soutien un mouvement ethnique, et qu'elle opère donc une différence sur des bases ethniques, d'origine, entre les citoyens français, en reconnaissant un droit à certains qu'elle ne reconnaît pas aux autres citoyens, alors que la constitution dit bien, à peu près : "les citoyens français sont égaux devant la loi sans distinction, d'origine, de race, de religion."

Donc, dans les deux cas, religieux ou ethnique, le gouvernement français se trouve en contradiction avec ses propres lois pour soutenir ce mouvement sioniste, et pire pour organiser la répression de celles et ceux quui doutent de sa légitimlité.

Il est louable de vouloir censurer la haine, mais en restant au minimum en accord avec les lois fondamentales de la nation, sinon la haine aura doublement gagné : non contente de semer la perturbation dans les rapports humains, elle aura réussi également à faire en sorte que l'Etat ne soit plus en mesure d'appliquer ses lois fondamentales.

Les citoyens doivent respecter l'Etat, et être sûrs pour cela qu'il applique les lois à la lettre. S'ils constatent que ce n'est pas le cas, que le pouvoir fait en permanence sa petite cuisine polticienne et religieuse sans la conformer aux principes fondamentaux de la République française, alors il perdra sa confiance en lui, et la République n'aura plus aucune légitimité morale et civique.

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Le 13/07/2019 à 22:10, chb17 a dit :

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Laïc, vous évoquez un manque de légitimité de notre diplomatie à bafouer la laïcité et les résolutions de l'ONU (on n'est pas pire que Trump il est vrai),

Ce gouvernement manque de légitimité aussi dans ses guerres plus ou moins secrètes au Yémen en Syrie au Mali en Libye etc., choisies ni par le peuple ni par ses représentants,

il y a aussi manque de légitimité du bradage des bijoux industriels de la patrie et des services publics, au profit du capital apatride.

On n'oubliera pas le manque de légitimité démocratique, vu les pourcentages réels obtenus par la "majorité",

le manque de légitimité à réprimer si violemment un mouvement "Gilets jaunes" pourtant même pas organisé et ostensiblement indifférent aux scrutins,

un manque de légitimité à confier à des plateformes multinationales la définition de la haine et la gestion de la censure qui en découlera.

La haine dont le député M. Habib se dit victime, lui qui justement défend principalement une haineuse et meurtrière politique d'apartheid contre les palestiniens, montre bien ce qui est visé, et ôte toute légitimité à cette loi liberticide (récusée par la CNCDH ce 13 juillet).

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