Golem, c'est le nom qu'avait donné Norbert Wiener à son premier ordinateur. Le père de la cybernétique avait fabriqué une machine animée, intellectuellement supérieure à l'homme, mais dénuée de sentiment. En la baptisant ainsi, comprenait-il déjà que, bien que conçue pour soulager l'humanité, sa créature pourrait se retourner un jour contre elle ? Cinquante ans plus tard, c'est l'inventeur d'internet qui regrette ce que les réseaux sociaux ont fait de son invention.
Les réseaux sociaux, par leur statut hybride, échappent à tout contrôle éditorial. Mi-éditeurs, mi-hébergeurs, ils reçoivent du contenu qu'ils hiérarchisent et mettent en avant selon des règles bien savantes. Le non-contrôle du processus éditorial est monstrueux, tant par ses effets que par le volume des contenus concernés. Alors que l'intelligence de la machine est de plus en plus puissante et sophistiquée, celle de l'homme l'amène à exprimer sa pensée en 280 signes et quelques pouces levés.
La circulation sauvage de messages monstrueux a amené notre courageuse collègue Laetitia Avia à écrire cette proposition de loi. Si tout allait bien, en effet, nous ne serions pas là. Si tout allait bien, le secrétaire d'État et tous les membres du Gouvernement n'auraient pas engagé toute leur énergie et celle de leurs administrations dans l'élaboration de cette proposition. La rapporteure pour avis, Fabienne Colboc, n'aurait pas minutieusement auditionné des dizaines de personnes, comme nous l'avons fait également. Et vous, chers collègues, vous n'auriez pas essayé de pousser plus loin qui le délai, qui le contrôle, qui les sanctions. J'en profite pour saluer le travail collectif mené sur le texte par des députés provenant de tous les bancs de l'hémicycle ; je salue particulièrement le travail de Mme la rapporteure.
La présente proposition de loi ne résoudra pas tous les maux d'internet. Elle s'attaque uniquement – mais c'est déjà beaucoup – aux contenus manifestement illicites. À ceux qui tweetent au scandale, je réponds clairement : ce que notre droit condamne pour avoir été proféré dans l'espace public, dit à la radio, à la télévision ou écrit dans un journal, il le condamne aussi pour avoir été poussé par des pouces frénétiques sur le fil de ces réseaux sans fin.
Pour ne pas subir les monstruosités des réseaux, nombre de nos concitoyens s'autocensurent. Pourtant, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
En l'espèce, ces bornes sont déjà fixées conjointement par la loi du 19 juillet 1881 sur la liberté de la presse et par le code pénal.
Quand on demande à un réseau social de retirer dans les vingt-quatre heures les contenus manifestement illicites qui lui sont notifiés, on ne lui demande pas de prendre la place du juge : on lui demande d'appliquer le droit, ni plus ni moins. Cela n'empêchera pas que l'on continue d'y parler de politique, sans s'insulter, ce que certains font déjà très bien.
Ce coeur de la proposition de loi est alimenté par son poumon : un dispositif de notification, que le groupe La République en marche a voulu plus visible, tout en veillant à refréner les ardeurs des notifiants de mauvaise foi.
Pour que le coeur et le poumon fonctionnent bien ensemble, il faut un organe de régulation. Naturellement, madame la rapporteure, vous avez pensé au CSA pour jouer le rôle de la thyroïde.