Intervention de Robert Ophèle

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers :

La remise du rapport annuel de l'Autorité des marchés financiers (AMF) fournit l'occasion de rendre compte de notre action et d'évoquer les défis que nous devons relever. C'est important, je crois, pour une autorité publique indépendante d'avoir ce type de rendez-vous.

Je voudrais d'abord indiquer à quel point l'année 2018 et ce début 2019 ont été intenses pour l'AMF. J'évoquerai ensuite nos ambitions européennes en partie déçues, mais, je crois, nécessaires, et que nous essayons de renouveler et de revisiter. Je conclurai sur quelques enjeux actuels de l'Autorité.

D'abord, l'année 2018 a vraiment été très intense pour l'AMF avec en particulier la mise en oeuvre de nombreuses nouvelles réglementations européennes.

Au-delà de la nouvelle réglementation des opérations de marché (« MIFID2 »), qui a été très largement médiatisée, il y a eu notamment la réglementation des dépositaires centraux, qui est un maillon essentiel du post-marché. J'ai aussi en tête la réglementation des fonds monétaires, qui renforce la sécurité de ces supports avec des exigences plus fortes en matière de division des risques et des caractéristiques des fonds à valeur constante.

Ces mises en oeuvre se traduisent par une énorme charge de travail, tant au niveau national – par exemple, il faut de nouveau agréer tous les fonds monétaires, plus d'une centaine, dans ce nouveau cadre – que dans notre participation aux travaux de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui établit, par exemple, par ses comités permanents, des centaines de questions-réponses auxquelles nous participons. Il y a ainsi plus de 300 questions-réponses pour MIFID2.

Toujours dans ce cadre, nous donnons des waivers, c'est-à-dire que nous dispensons les gestionnaires de plateformes de transparence pré-négociation. C'est une des clés de MIFID. Nous avons à peu près 2 000 cas d'espèce qui ont été traités l'an passé de waivers de transparence pré-négociation, pour donner une idée un peu quantitative de ce que cela représente et ce à quoi il faut que nous participions au niveau européen.

Deuxième élément important, la préparation du Brexit, avec là encore plusieurs dimensions : les travaux liés à la relocalisation d'activités en France, qui concernent toute la gamme des activités financières (sociétés de gestion, entreprises d'investissement, courtiers, plateformes de négociation, compensation) ; l'adaptation de la réglementation et des accords internationaux à un possible Brexit sans accord, tant au niveau national qu'européen ; la veille sur les mesures prises dans les autres pays de l'Union, qui est nécessaire tant la tentation d'approches nationales divergentes est forte dans ces circonstances de possible Brexit sans accord.

Le troisième aspect est la lutte constante et renforcée contre la délinquance financière et les arnaques, avec un record en 2018 de 3 100 réclamationssignalements reçus sur notre plateforme Épargne Impôts Services ; 813 dossiers reçus par le médiateur de l'AMF entrant dans son champ de compétence ; 154 mises en garde ; et quelque chose de très nouveau : l'activation des pouvoirs d'interdiction de produits par l'ESMA.

Je vous remercie également, dans ce registre de la lutte contre la délinquance financière, d'avoir introduit l'encadrement demandé par le Conseil constitutionnel de notre recours aux données de connexion, les FADET (factures détaillées). Le contrôleur des demandes et son suppléant ont été nommés en temps et en heure. Aujourd'hui, depuis le début de l'année, 130 demandes ont été faites et acceptées, ce qui représente 420 demandes aux opérateurs concernant 19 enquêtes en cours. Merci d'avoir rouvert ce canal essentiel à la lutte contre la délinquance financière et les abus de marché.

Nous avons mis en oeuvre une nouvelle approche des contrôles des professionnels. Nous avons fait 47 contrôles en 2017 et 63 en 2018, avec un accent sur des contrôles thématiques à vocation moins répressive que précédemment.

Enfin, l'année 2018 est l'année de préparation de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») qui renforce le rôle de l'AMF dans la finance responsable et durable avec un focus sur le réchauffement climatique et qui renforce également sa responsabilité en matière de finance digitale avec un focus sur les crypto-actifs.

Le ministre de l'économie vient d'homologuer les modifications de notre règlement général qui concernent les émissions de jetons, les ICO, et nous avons donc déjà enregistré les premiers dépôts de dossiers en la matière. L'instruction commence, nous n'aurons pas de résultats avant la rentrée ; néanmoins, c'est en cours.

S'agissant des prestataires de services sur actifs numériques pour lesquels un décret d'application est nécessaire, nous pensons être prêts avant la fin de l'année, probablement au cours de l'automne.

S'agissant de la finance durable, nous finalisons notre dispositif en coordination avec les autres initiatives publiques, car c'est un domaine dans lequel il faut éviter toute redondance pour être efficaces et crédibles.

Mon deuxième point, ce sont les ambitions européennes de construction d'une union des marchés de capitaux. Ces ambitions ont été en partie déçues, mais je crois qu'elles sont nécessaires et renouvelées. Nous venons d'ailleurs de diffuser une première contribution à l'agenda réglementaire de la prochaine mandature européenne sur ces sujets.

Nos ambitions ont été déçues, car malgré une fin de mandat européenne très productive, j'observe que les pouvoirs de l'ESMA restent peu renforcés. En particulier en termes de supervision directe, ils restent presque anecdotiques ; quant aux produits financiers à dimension européenne, ils restent peu attractifs : aucune avancée sur le projet des titres adossés à des obligations souveraines.

Certes, il y a eu la finalisation du produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle, mais c'est un produit pour lequel la demande semble limitée, et il n'y a rien eu en matière d'épargne salariale paneuropéenne.

Je crois que ces ambitions européennes de construction d'une union des marchés de capitaux sont cependant nécessaires, car le financement de nos besoins d'investissement doit s'appuyer sur l'ensemble du bassin d'épargne de l'Union. Un marché unique qui est fondé sur une libre prestation de services financiers et un passeport ne saurait perdurer sans convergence accrue de la supervision et de l'action répressive.

Dernier élément : dans un cadre où la principale place financière de l'Union nous quitte, cela impose de renforcer l'attractivité de l'Union européenne à vingt-sept. On observe en effet au Royaume-Uni une évolution de l'approche de la réglementation financière qui sera mise en oeuvre, avec l'idée d'être plus réactifs, plus adaptatifs et plus ouverts sur les marchés financiers internationaux et s'écarter de l'approche de l'Union.

Cela passe donc par des progrès dans l'union des marchés de capitaux. Néanmoins, je pense qu'il faut revisiter nos ambitions, ne pas refaire les débats qui viennent de s'achever avec des résultats qui sont, de mon point de vue, médiocres. Il faut se concentrer sur un certain nombre de sujets sur lesquels nous pouvons délivrer au niveau européen.

Quels sont ces sujets ?

C'est d'abord la stratégie digitale pour les services financiers avec la nécessité d'adapter l'approche réglementaire européenne à la digitalisation de l'industrie financière, la tokenisation, et passer de l'ICO ou STO, c'est-à-dire au securities token : la tokenisation des titres classiques qui impose de revisiter l'ensemble de la réglementation européenne, qui n'y est pas adaptée.

Le deuxième axe est la concrétisation de nos ambitions en matière de finance durable. Il faut garder le momentum européen, achever la taxonomie européenne, c'est-à-dire la détermination des activités économiques qui relèvent de cette démarche soutenable. J'observe que le rapport sur le sujet a été rendu public hier par le groupe d'experts mandaté pour faire des propositions. C'est un rapport qui montre que ce momentum est gardé.

Pour nous, régulateurs de marché, il s'agira d'assurer la fiabilité du reporting extra-financier des entreprises cotées. J'enregistre là aussi la publication avant-hier des orientations de la Commission sur les informations extra-financières à fournir sur les problématiques liées au climat.

Il s'agit aussi d'assurer la fiabilité du reporting des institutions financières elles-mêmes sur l'impact de leur financement sur le réchauffement climatique ; de mettre en oeuvre la réglementation sur les indices de référence, les benchmarks, telle qu'elle a été amendée pour incorporer cette dimension climatique ; et enfin d'assurer la bonne intégration de cette dimension dans les relations entre les investisseurs et les épargnants.

Le troisième sujet prioritaire est le renforcement de l'architecture de supervision de la gestion d'actifs dont le modèle mobilise les autorités de nombreux pays. Nous avons dans la gestion d'actifs la localisation de la société de gestion dans un pays ; l'immatriculation des fonds souvent dans un autre pays ; la gestion de ces fonds est souvent déléguée à une entité qui est dans un troisième pays ; enfin on commercialise ses fonds dans d'autres pays.

Il faut donc bien clarifier les responsabilités de chacun dans un paysage aussi complexe.

Nous devons aussi revisiter cette architecture de la gestion d'actifs au regard d'une tendance de fond qui se dessine actuellement de proposer des ETF, c'est-à-dire des fonds listés et traités sur des plateformes de négociation. Cela modifie complètement tous les circuits de commercialisation de ces fonds. Il y a donc un effort à faire au niveau européen sur la gestion d'actifs.

Enfin, il faut au niveau européen que nous travaillions sur la qualité de l'information donnée aux épargnants, afin de trouver le bon équilibre entre d'un côté, l'exhaustivité des informations données sur les produits et celles qui sont également demandées aux investisseurs pour s'assurer de l'adéquation des produits à leur profil, et d'un autre côté la lisibilité, voire la pertinence, de ces informations.

Il faut bien sûr éviter de vendre ou d'acheter un produit financier inadapté à son profil, mais il ne faut pas que l'on se rabatte par défaut sur des produits sans risque et liquides, mais peu performants et ne permettant ni le bon financement de l'économie ni la couverture des besoins complémentaires de retraite des investisseurs, des épargnants.

Au-delà de ces enjeux européens, l'AMF doit, je crois, relever deux défis majeurs.

Le premier défi est l'accompagnement de la place dans les bouleversements qui interviennent dans un contexte de Brexit et post-MIFID. Ce contexte, c'est celui d'une concurrence accrue, avec un poids prépondérant des grands acteurs américains, voire britanniques, tant dans les domaines de la banque d'investissement que dans les banques de marché ou pour la gestion des fonds.

Il est très important que la place reste très forte sur ces sujets. L'AMF doit l'accompagner dans son adaptation à l'évolution des modèles de distribution des produits financiers, qui est marquée par la nécessité d'avoir une transparence accrue sur les frais. Nous devons l'accompagner dans ses efforts pour surmonter des équilibres financiers qui sont structurellement fragiles dans beaucoup d'activités-clefs et qui pourraient les pousser à les abandonner. Je pense en particulier à la recherche financière, qui donne des visibilités sur la valorisation des sociétés.

Enfin, il faut que nous soyons vigilants dans l'encadrement des activistes à l'achat comme à la vente, dont l'impact peut être d'autant plus sensible que le manque d'investisseurs résidents de long terme en actions se traduit par une détention élevée des valeurs françaises par les non-résidents.

C'est le défi de l'accompagnement de la place.

L'autre défi est le défi des moyens pour l'Autorité. L'AMF est de très loin l'autorité nationale qui a le moins de moyens dans le paysage européen et international. Les comparaisons sont toujours délicates, parce que les périmètres sont différents d'un pays à l'autre dans les responsabilités des diverses autorités. Il faut avoir en tête que la France est le cinquième pays dans le classement en fonction de l'importance de ces marchés financiers, derrière, bien sûr, les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et le Japon.

Les effectifs de régulation et de supervision dans ces pays et dans les pays voisins sont sans rapport avec les moyens humains qui sont mobilisés en France. L'AMF disposait de 494 équivalents temps plein à la fin de l'année 2018, la FCA britannique, qui a un périmètre différent, ce sont 3 800 ETP. La BaFin allemande, ce sont 2 600 ETP. L'AFM néerlandaise et la CONSOB italienne, qui sont des pays dans lesquels les responsabilités sont très voisines de celles de l'AMF, ce sont plus de 660 personnes sur des marchés qui ne sont pas du tout de la taille des nôtres. Au Royaume-Uni, si je fais la somme de la FCA et de la PRA – la PRA est l'autorité de la Banque d'Angleterre qui surveille les banques de taille systémique en termes de supervision prudentielle – on est à 5 231 personnes. Au Royaume-Uni, les effectifs mobilisés ont augmenté de 1 110 personnes les quatre dernières années. En France, si je fais la somme de l'AMF et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), nous sommes à 1 500 personnes.

Nous avons un défi. Je crois qu'il y a un besoin d'un renforcement modeste mais inévitable pour assumer en France les nouvelles responsabilités qui sont confiées par la loi « PACTE », et la meilleure prise en compte, en particulier par l'AMF, des risques de blanchiment et de sécurité des systèmes d'information.

Je voudrais aussi attirer l'attention sur le fait que le modèle de l'AMF, tant dans son équilibre financier que dans la gestion des ressources humaines et de gouvernance, est un modèle relativement fragile. L'AMF est une entité qui est structurellement en déficit, alors qu'elle collecte des contributions qui dépassent de loin ses charges. Elle reverse l'excédent au budget de l'État. Le renforcement progressif de son plafond de recettes est incontournable.

Deuxièmement, j'observe que le renouvellement du collège de l'AMF qui est intervenu – ce sont seize personnes, dont treize ont été renouvelées en début d'année – a mis en évidence le caractère très délicat de cet exercice avec pour la première fois – cela a été géré sans problème particulier – l'impératif de parité entre les hommes et les femmes, et surtout le renforcement des contraintes déontologiques introduites par la loi de 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API).

À cet égard, j'attire l'attention sur le fait que les débats qui sont intervenus dans le cadre du projet de loi sur la fonction publique, en particulier pour les dispositions touchant la rémunération des membres des, ne sauraient, me semble-t-il, être fructueux, sans que l'on s'interroge sur les profils recherchés pour la constitution de nos collèges et également pour leur présidence.

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