Intervention de Robert Ophèle

Réunion du mercredi 19 juin 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers :

L'ESMA, a, en gros, trois fonctions. On a donné à l'ESMA des pouvoirs de supervision directe sur un certain nombre d'acteurs financiers. Ils sont très limités. Ce sont essentiellement les agences de notation et ce qu'on appelle les entrepôts de données, les trade repositories, sur lesquels elle a un pouvoir direct d'agrément et de contrôle. La réforme récente a un peu élargi, mais c'est pour 2022 et cela reste anecdotique de mon point de vue.

Deuxième fonction : être un conseil de la Commission européenne pour tout ce qu'on appelle la réglementation de niveau deux. Dans la réglementation financière européenne, on détermine trois niveaux. Le premier est celui que les colégislateurs arrêtent. Ce sont les directives et les règlements. Le niveau deux, ce sont des textes d'application qui sont pris par la Commission et avec possibilité par le Parlement de dire oui ou non. Dans cet exercice-là, l'ESMA est un conseil de la Commission avec des propositions qui sont faites. Le troisième niveau est d'assurer la convergence de la mise en oeuvre de ces réglementations par l'ensemble des vingt-huit pays et vingt-huit autorités en charge. Cela passe par des orientations, c'est-à-dire des guidelines sur lesquelles chaque pays doit se positionner en disant « je les applique ou j'explique pourquoi je ne les applique pas ». Ce sont également les questions-réponses auxquelles je faisais allusion tout à l'heure et qui sont censées éclairer l'ensemble des acteurs de l'Union à vingt-huit sur la manière de mettre en oeuvre ces réglementations. Cela se traduit in fine par ce qu'on appelle des revues par les pairs, des peer reviews, sur une thématique sur laquelle l'ESMA coordonne un certain nombre de revues pour vérifier que chacun applique de la même manière la réglementation commune.

L'ESMA est organisée avec un board, un conseil, dans lequel je représente bien sûr la France, et des groupes de travail permanents qui, selon les domaines, travaillent sur les questions de niveau deux ou de niveau trois, c'est-à-dire de convergence, avec un rôle un petit peu particulier qui est en train d'augmenter actuellement sur deux éléments, qui sont les relations avec les pays tiers et les chambres de compensation.

Nous avons de la chance parce que l'ESMA est à Paris. Nous sommes favorisés par rapport à nos collègues, mais c'est une extrême mobilisation des équipes pour participer à ces travaux.

Il y a plusieurs questions autour des crypto-actifs.

Les crypto-actifs recouvrent des actifs de nature très différente. Il y a des actifs qui sont des titres financiers, et nous devons appliquer la réglementation des titres financiers à ces titres-là. Simplement, la réglementation actuelle n'est pas adaptée à ces titres-là. Elle en fait trop sur certains aspects qui freinent le développement. En revanche, elle n'en fait pas assez sur d'autres éléments, parce que ces actifs présentent des risques particuliers. Nous devons donc faire un effort au niveau européen pour adapter notre réglementation, parce que c'est indispensable pour améliorer et faire des économies sur le coût de l'intermédiation financière, et c'est en train de se faire ailleurs. La caractéristique est la tokenisation de titres classiques.

Ensuite, on a le domaine des ICO, voire des crypto-monnaies, qui eux ne sont pas couverts par la réglementation européenne et pour lesquels vous avez cette année mis en place une réglementation spécifique avec une optionnalité que certains peuvent avoir dans certaines dimensions – pas dans toutes, parce que les prestataires de services sur actifs numériques doivent obligatoirement être enregistrés pour qu'on puisse vérifier qu'ils appliquent les règles sur la lutte anti-blanchiment ; en revanche, la licence elle-même, complète, est optionnelle.

Pourquoi est-elle optionnelle ? Premièrement, nous débutons dans ce domaine-là et il est très important de pouvoir adapter notre approche. Je dirais que dans mon esprit le fait d'être optionnel nous permet d'être encore plus exigeants quand on donne ladite licence, parce que comme elle n'est pas obligatoire, après tout, si vous voulez faire l'opération, vous pouvez toujours la faire. Deuxièmement, je crois que le jour – et nous militons pour cela – où l'approche sera européenne, alors nous pourrons avoir une approche qui ne soit plus optionnelle mais obligatoire au niveau européen. Aujourd'hui si on la rend obligatoire et qu'on la refuse, il suffit de passer la frontière et de le faire ailleurs. Dans mon esprit, il s'agit d'une étape.

Sur le libra, nos amis de Facebook ont donné les détails avec un white paper hier. Naturellement, tout le monde – c'est du moins mon cas – l'a regardé de près. Il ne faut pas se tromper : cela n'a rien à voir avec le bitcoin. Cela m'a rappelé les monnaies locales que vous connaissez bien : vous amenez un euro, vous avez une monnaie locale, et à tout moment vous pouvez rechanger votre monnaie locale contre les euros qui ont été déposés.

Là, ce n'est pas sur une devise, ce n'est pas sur l'euro, c'est sur un panier de devises – une sorte de DTS, en quelque sorte. Mais le concept est de dire qu'à chaque fois que vous achetez un libra, vous l'achetez contre une devise et je garde en face le panier de devises en question, le panier de devises que je replace dans le système bancaire. En fait, vous n'avez pas de perte en ligne : si vous achetez un libra, vous débitez votre compte, vous créditez le compte de l'association Libra, et l'association libra replace les fonds dans le même circuit.

En revanche, vous avez un risque, et c'est mon problème : qui contrôle cela et qui s'assure que le dispositif est sérieux ? « Sérieux », cela veut dire : comment le risque de liquidité est-il géré puisqu'à tout moment on peut rééchanger ? Les placements sont-ils vraiment sûrs ? Ne faut-il pas avoir des capitaux propres en face ? Je crois qu'il va falloir l'éclaircir fortement, parce que finalement ce n'est rien de plus qu'une activité bancaire internationale. Mais simplement, elle se situe dans un cadre réglementaire qui ne me paraît pas aujourd'hui très clair et qui demande donc à être clarifié. Le fait qu'il y ait une association, une fondation en Suisse n'est pas en soi suffisant pour nous rassurer de ce point de vue-là.

J'attire cependant l'attention sur le fait que c'est un concept qui est très différent de ceux que l'on connaissait avec les crypto-monnaies d'aujourd'hui. D'ailleurs, on disait que les crypto-monnaies d'aujourd'hui ne sont pas des monnaies. Là, la question est beaucoup plus ouverte. Concernant Facebook, il y a aussi naturellement le concept très, très lourd de la gestion de la confidentialité des données qui est associé à cela.

Voilà la première réaction que j'ai eue en lisant ce document, qui, à ce stade, interpelle surtout les banques centrales et les superviseurs bancaires, parce qu'on se trouve dans une activité d'intermédiation bancaire presque classique.

Vous avez souligné le fait que les levées de capitaux sur les marchés actions cotées sont aujourd'hui très faibles, beaucoup plus faibles que ce que l'on pourrait espérer et beaucoup plus faibles, je crois, que ce dont nous avons besoin. Quelle est la contrepartie de cela ? C'est d'abord qu'il y a un endettement qui augmente très vite, environ de 6 % par an, que ce soit pour les ménages ou pour les entreprises. Évidemment, tout cela est lié à la politique monétaire et aux taux extraordinairement bas que nous observons. Les mesures macro-prudentielles mises en oeuvre sont censées essayer de maîtriser ce phénomène.

Le deuxième aspect que l'on observe, c'est la montée du private equity, c'est-à-dire des levées de fonds qui se font hors marchés réglementés et par des placements privés. Il y a à la fois un caractère cyclique dans ces évolutions, mais aussi une tendance de fond. Au-delà du bruit du cyclique qui fait qu'une année ou l'autre il peut y en avoir plus ou moins, il est quand même préoccupant de voir la tendance de fond. La loi « PACTE », qui favorise le financement et l'investissement de long terme, vient d'arriver. Il est trop tôt pour en tirer les conclusions, mais il est clair que tout ce qui est en particulier lié à l'épargne salariale et à ces éléments-là sont des éléments qui devraient permettre de renverser, d'atténuer, cette tendance que l'on observe.

Vous m'avez interrogé sur la manière dont l'AMF allait accorder les visas. On a mis à jour notre règlement général il y a quinze jours. Évidemment on regarde beaucoup d'éléments, que ce soit à la fois l'information qui est donnée par l'émetteur et également pour ces ICO, puisqu'il y a deux dossiers aujourd'hui qui ont été déposés à l'AMF et qui sont en cours d'instruction, ainsi que tout le processus de levée des fonds. En particulier, les fonds sont-ils ségrégués ? Si on collecte plus que ce qui est visé, comment renvoie-t-on l'excédent aux souscripteurs ? Il y a toute une liste de critères qui sont vus et échangés avec les porteurs de projet, et nous sommes en discussion aussi en cas de doute sur les processus qui sont derrière. Nous avons la capacité de travailler aussi avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information pour vérifier que ces systèmes de blockchains derrière présentent un certain nombre de sécurités.

Je dirais que je suis très extrêmement ouvert sur les moyens et les plafonds. Quels sont les moyens que vous voulez mettre à la disposition de la supervision financière ? Et nous allons voir ce que nous pouvons faire avec cela. Ce que je sais, c'est que c'est de plus en plus compliqué. La réglementation, et en particulier européenne, augmente de façon exponentielle. Il faut aller de plus en plus vite, parce qu'il faut avoir une réactivité extrêmement forte.

Nous avons eu beaucoup de sollicitations dans le cadre du Brexit. Je crois que le Brexit, ce n'est pas une aventure, ce n'est pas une photographie à un moment donné. Les conséquences vont se propager et se modifier pendant toutes les années à venir, parce que la première réaction des acteurs est de prévoir des localisations à tel ou tel endroit avec des sièges, des agences et des succursales. Ensuite, les moyens exacts qu'ils mettent dans un endroit ou dans un autre dépendent de la manière dont le Brexit va se passer et va évoluer au cours du temps.

Nous avons eu, en gros, une vingtaine d'entreprises d'investissement qui ont demandé une nouvelle licence. Nous avons à peu près une dizaine de plateformes de négociation qui ont déposé un dossier. On voit que tous les grands courtiers interbancaires se sont installés à Paris, mais la plupart de ces établissements sont installés dans plusieurs places de l'Union, et dans un certain nombre de cas vous allez avoir un siège qui va être à Francfort, une agence à Paris, mais l'essentiel des personnes va peut-être être à Paris. Ce sont des choses qui évoluent beaucoup. En tout état de cause, nous parlons de plusieurs milliers d'emplois. Je crois qu'il faut quand même avoir cela en tête. Je ne parle pas de quelques dizaines d'emplois. Nous parlons de plusieurs milliers d'emplois au total, directs et non pas indirects.

Quand je dis « raisonnablement prêts », c'est parce qu'un superviseur est toujours prudent. Je pense que nous sommes prêts et que les grands établissements sont prêts. C'est évident. Mais on n'est jamais à l'abri d'un certain nombre de mauvaises surprises. Comme je pense que nous étions raisonnablement prêts fin mars, fin octobre nous le serons totalement, mais il y a un certain nombre d'éléments qu'il va falloir revisiter.

J'en cite simplement un qui est un peu compliqué : nous avons donné au niveau européen une équivalence à LCH Limited, la chambre de compensation à Londres qui compense les swaps de taux, qui est un élément très important dans le marché financier. Nous avons donné une équivalence qui se termine le 30 mars 2020, puisque nous avons donné un an à partir de là. La question se posera de savoir comment on gère la fin de cette équivalence sachant qu'il y a une nouvelle réglementation européenne, EMIR 2, qui arrive en place et qui modifie l'approche que nous avons des chambres de compensation de pays tiers.

Pour ce qui est du plafond de nos ressources, ce que je souhaite et discute avec les parties prenantes, c'est son augmentation modérée mais régulière. Nous avons nos charges courantes et nous avons des dotations aux amortissements. Je connais le profil des dotations aux amortissements, parce que nous avons des projets informatiques : ces dotations vont augmenter à l'avenir quoi que l'on fasse. Il y a donc une nécessité, progressivement, de lisser, d'augmenter progressivement ce plafond de façon modérée.

Pour les effectifs, ce que j'ai en tête est également quelque chose de très modéré parce que nous avons des besoins supplémentaires, mais nous avons aussi des gains de productivité, parce que ces projets informatiques vont permettre de gagner en efficacité. Il y a donc un équilibre entre les deux qui a demandé un léger renforcement, mais nous ne sommes pas dans un schéma britannique.

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