Intervention de Corinne Vignon

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 9h40
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Vignon, présidente du groupe de travail :

Mes chers collègues, la réforme des retraites annoncée par le Président de la République durant sa campagne apparaît d'ores et déjà comme l'une des transformations les plus profondes de notre modèle social. Elle fait l'objet depuis dix-huit mois d'une réflexion sans précédent, mobilisant aussi bien les partenaires sociaux que l'administration, sous l'égide du Haut-Commissaire, M. Jean-Paul Delevoye. Le Parlement ne pouvait rester à l'écart d'une telle réforme. Tel est l'objet du groupe de travail mis en place par la commission des affaires sociales, le 20 février dernier, dont j'ai l'honneur d'effectuer la restitution aujourd'hui.

J'aimerais au préalable rappeler la démarche transpartisane retenue par ce groupe qui s'est attaché à transmettre le même niveau d'information à l'ensemble des groupes parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique. Ces informations sont particulièrement précieuses à la veille de la fondation d'un régime universel qui implique de remettre à plat l'ensemble des paramètres d'un système devenu aussi complexe qu'illisible.

Le groupe de travail s'est ainsi réuni chaque semaine sous la forme de tables rondes thématiques associant chercheurs, associations, acteurs institutionnels et partenaires sociaux.

L'ensemble de ces tables rondes a poursuivi un seul et même fil rouge, celui de la solidarité, qui est rapidement apparu comme une clé d'entrée privilégiée de la réforme. Plutôt qu'une approche par caisse ou par régime, nous avons retenu sans tarder une démarche universelle qui sera celle de la réforme à venir.

Au-delà des constats rassemblés par la restitution, nos travaux étaient également l'occasion de mettre en avant les propositions susceptibles d'alimenter le débat national. Pour ma part, j'en formule dix-huit qui n'engagent évidemment ni le groupe de travail, ni mon groupe parlementaire, pas davantage le Gouvernement.

Avant d'entrer dans le détail de ces propositions, j'aimerais insister sur deux remarques liminaires, indispensables pour ne pas dévoyer notre débat. La première est relative à la portée de ces propositions. Il ne s'agit en aucun cas d'égrener une litanie de mesures sans cohérence ou maîtrise budgétaire.

La priorité consiste à améliorer les redistributions opérées par notre système de retraite tout en s'inscrivant dans l'économie générale de la réforme et des grands équilibres budgétaires.

Ces différentes propositions viendront donc nourrir les débats et les arbitrages, dans le respect de l'enveloppe actuelle de 60 milliards d'euros consacrés au dispositif de solidarité.

Avec un système de retraite représentant aujourd'hui quatorze points de PIB, le respect de cette enveloppe budgétaire apparaît bien comme une condition essentielle de soutenabilité du futur régime, et plus largement de nos finances publiques.

La seconde remarque que je souhaite formuler est relative à notre champ de réflexion. Ne nous enfermons pas, ce matin, dans une discussion sur les paramètres de la future réforme que nous ne connaissons ni vous, ni moi. Construire un régime universel nécessite de définir en priorité les grands principes, que ce soit en matière de finalité, de gouvernance ou de financement, avant d'entrer dans le détail opérationnel. Vous comprendrez donc qu'il ne me revient pas aujourd'hui de me prononcer sur telle ou telle annonce mise sur la table du débat public ou encore moins sur d'éventuelles modifications paramétriques, mais bien de vous restituer les principales attentes qui ont émergé au cours des débats et de formuler des propositions en conséquence.

Je tiens à appeler votre attention sur trois publics dont les attentes spécifiques nécessiteront d'être entendues et prises en compte. Je veux vous parler des jeunes, des femmes et des seniors.

Les jeunes générations aujourd'hui seront les premières concernées par la réforme, en tant que futurs retraités de demain. Ce sont nos étudiants, nos stagiaires nos apprentis mais aussi nos jeunes actifs, souvent à la recherche d'un premier emploi. Or, ces mêmes jeunes sont ceux qui expriment le plus d'inquiétudes et d'incompréhensions vis-à-vis du système de retraite actuel et de la réforme à venir.

Rebâtir la confiance dans notre système de retraite ne peut se faire sans emporter celle des jeunes générations. Pour cela, nous devons être attentifs à leurs attentes spécifiques car la réalité est celle-ci : de plus en plus de jeunes, en raison de la multiplication des stages, des périodes d'apprentissage ou des intérims à la sortie des études, tardent à entrer sur le marché du travail. Les jeunes générations se constituent donc des droits à la retraite de plus en plus tardivement.

Comment prendre en compte et valoriser ces périodes de transition entre les études et le premier emploi dans une logique de solidarité et d'équité ?

Nous avons pu faire le constat au cours des auditions que les dispositifs actuels étaient peu connus et peu mobilisés. C'est notamment le cas du dispositif de rachat d'années d'études ou de stages, trop complexe et trop coûteux.

C'est pourquoi j'ai formulé deux propositions pour permettre la constitution de droits à la retraite dès les périodes de stage, tout en veillant à ne pas pénaliser financièrement les stagiaires. Premièrement, en assujettissant aux cotisations sociales patronales les gratifications versées aux stagiaires. Deuxièmement, en incitant les employeurs à cotiser au-delà, sur la base d'une assiette équivalente à un SMIC temps plein.

La solidarité du système de retraite trouve aussi une traduction singulière en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Nous ne pouvions aborder la réforme sans nous interroger sur la place des femmes dans le cadre du futur régime. Bien des attentes reposent sur le système de retraite pour corriger les inégalités de pension entre les femmes et les hommes. N'oublions pas que l'essentiel de ces inégalités est le fruit des inégalités et des dysfonctionnements du marché du travail.

Nous ne pouvons raisonnablement attendre ainsi d'un système de retraite qu'il résolve toutes ces inégalités. Pour autant, il en prend sa part, notamment grâce aux pensions de réversion. Alors que les pensions en droit direct des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes, les pensions de réversion permettent d'abaisser cet écart à 25 %.

Tout en veillant à préserver le caractère solidaire et redistributif de notre système de retraite, deux évolutions permettraient de rendre le système plus juste et davantage en adéquation avec les évolutions de la société. Premièrement, le bénéfice de la pension de réversion pourrait être étendu aux conjoints pacsés. La restriction des pensions de réversion aux seuls couples mariés est déconnectée à la fois de la réalité des unions en France et de la logique actuelle des pensions de réversion. Alors qu'elles relevaient autrefois de l'obligation civiliste de secours au sein du couple, les pensions de réversion sont devenues un mécanisme de solidarité à part entière. Une seconde évolution est souhaitable : l'attribution d'une majoration de points par enfant identique, quel que soit le niveau de rémunération. Faire le choix de l'attribution plafonnée de points forfaitaires dès le premier enfant, c'est faire le choix de deux transferts : un transfert des plus hauts revenus vers les bas revenus et un transfert des familles nombreuses vers les familles moins nombreuses, qui représentent d'ailleurs la très grande majorité des situations.

Enfin, la réforme annoncée aura pour objet de se saisir de la question des seniors et de leur maintien ou retour en emploi.

La France se caractérise par un taux d'emploi des seniors, plus faible que chez nos voisins ; il se situe à 52 % pour les 55-64 ans. En parallèle, les dispositifs de transition emploi-retraite tels que le cumul emploi-retraite ou le dispositif de retraite progressive sont très peu mobilisés.

Comment donc articuler les objectifs qui relèvent du marché du travail avec ceux assignés au futur système de retraite ? Deux propositions formulées dans la restitution viennent apporter une réponse à cet enjeu.

D'une part, je propose d'instaurer un système de bonus-malus, modulé selon la taille de l'entreprise, pour encourager l'embauche des seniors et faire supporter directement par l'entreprise le coût lié à leur licenciement. Les cotisations d'assurance chômage d'un salarié de plus de 55 ans seraient allégées ; à l'inverse, le coût de la mise hors emploi d'un salarié de plus de 55 ans serait alourdi par une contribution supplémentaire.

D'autre part, pour inciter au recours au cumul emploi-retraite qui permet de cumuler les revenus d'activité et les pensions intégrales ou écrêtées, il est proposé de rendre les cotisations acquises au titre du cumul emploi-retraite, génératrices de droits.

L'attention portée à ces trois publics que sont les jeunes, les femmes et les seniors légitime la dimension solidaire du système de retraite autant qu'elle interroge. Comment améliorer demain les redistributions opérées par notre système de retraite et par quels leviers les financer, dans une enveloppe constante ? Comment recentrer également notre système de retraite sur son objectif premier de garantie d'un niveau de vie décent ?

Pénibilité, égalité entre les femmes et les hommes, compensation de la perte d'autonomie, soutien de la natalité, emploi des seniors, l'ensemble de ces politiques publiques ont-elles vocation à relever du système de retraite plutôt que du marché du travail ou de la politique familiale ? Je n'en suis pas convaincue. Ce sont autant de questions qui nourriront nos débats jusqu'à la discussion du projet de loi et qui devront garantir la justice et l'équité de notre futur régime universel. C'est à cette condition que la confiance des Français dans notre système de retraite pourra être retrouvée. C'est à cette condition que nous construirons le système universel par répartition du XXIe siècle. Je vous remercie.

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