Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Protocole france-djibouti sur les compétences de la prévôté à djibouti — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Nous examinons le projet d'actualisation d'un protocole entre le Gouvernement français et la République de Djibouti, visant à renouveler un engagement bilatéral de 2011 relatif aux compétences de la prévôté sur le territoire de Djibouti.

Je tiens d'abord à revenir sur le rôle de la prévôté, institution si singulière propre à notre pays. Cette formation, qui appartient au corps de la gendarmerie nationale française, remplit une mission de police judiciaire militaire auprès de nos forces armées, sous le contrôle du tribunal de grande instance de Paris.

Ses origines sont lointaines. Elles remontent à la naissance de l'armée française. Au gré de l'Histoire, l'institution s'est transformée, ses missions également. À l'heure actuelle, elle est chargée de constater les infractions commises par ou contre les forces armées françaises et d'en rechercher les auteurs. Elle prévient également les risques de troubles à l'ordre public susceptibles d'impliquer les militaires français.

La présence d'une gendarmerie prévôtale à Djibouti, comme il en existe dans d'autres régions, s'explique par les relations de longue date que notre pays a tissées avec la jeune République. Le 27 juin1977, grâce au mouvement de décolonisation et à l'issue de trois consultations populaires, le pays a enfin accédé à l'indépendance. La République de Djibouti voit alors le jour. Dans le même temps, un protocole provisoire est signé pour maintenir une présence militaire française permanente sur le territoire, ce qui pourrait aujourd'hui faire débat.

Dès la proclamation de l'indépendance, 3 000 soldats furent déployés, souvent accompagnés de leurs familles, ce qui impliquait la présence d'un détachement prévôtal. Depuis lors, cette présence a été réaffirmée successivement, pour la dernière fois en 2011.

Rappelons-le : si la France est aujourd'hui l'unique pays avec lequel Djibouti ait signé un accord de défense, elle n'est pas le seul à y être présent militairement. C'est aussi le cas de la Chine, ce qui s'explique par la position géostratégique de la République de Djibouti : enserré dans la corne de l'Afrique, cet ancien Territoire français des Afars et des Issas voit passer 40 % du trafic maritime mondial. C'est pour cette raison qu'il fait l'objet de convoitises et de rapports de force dans la région. Des bases militaires de grandes puissances s'y côtoient. Des soldats français, américains, chinois, japonais ou italiens y sont présents.

Depuis 2017, la Chine se positionne sur ce carrefour stratégique. Dès février 2014, un accord de partenariat avait été signé entre la Chine et la République de Djibouti. Au sommet sino-africain de Johannesburg, en décembre 2018, une dizaine de programmes de coopération ont été annoncés. Le développement du port de Doraleh, la construction d'un nouvel aéroport civil et la mise en service par les Chinois de la ligne de chemin de fer sont les pièces maîtresses de la nouvelle stratégie de Pékin dans la région.

Le régime djiboutien tire profit de ce contexte stratégique en organisant un véritable commerce des bases militaires qu'il loue à ses puissances alliées. Le site chinois, à Camp Obock, comprendrait au moins un cantonnement de 10 000 hommes. La seule base militaire japonaise en dehors du territoire nippon se situe à Djibouti. Quant à la base française qui y est implantée, elle compte aujourd'hui 1 450 hommes, ce qui l'élève au rang de première base française en Afrique.

Tout cela s'inscrit dans une perspective de militarisation de la région qui semble atteindre aujourd'hui un seuil particulièrement critique. C'est là un pari risqué, pour ne pas dire dangereux, de la part de la République de Djibouti. Si ces bases militaires ouvrent des leviers diplomatiques – c'est ainsi – , elles mettent aussi en péril l'indépendance économique du pays. Dans ce contexte, quel doit être le rôle de la France ? C'est la question qu'il faut se poser avant tout.

Le problème de la prévôté s'inscrit dans une réflexion d'ensemble sur la présence et le rôle de nos forces dans ce contexte. Notre implantation ne peut faire fi de la situation politique locale ni de la nature du régime djiboutien. En mai 2018, dans son rapport sur la situation des droits de l'homme adressé aux Nations Unies, la Fondation Alkarama révélait la persistance de graves violations aux droits fondamentaux des personnes détenues, ainsi que la forte répression des membres de l'opposition, journalistes ou défenseurs des droits de l'homme.

Nous ne pouvons décemment débattre d'un accord concernant la police judiciaire en occultant l'absence même d'un droit à un procès équitable pour les opposants politiques et les manifestants de tout ordre dans cette république. Une telle situation, qui ne peut pas nous échapper, doit même nous alerter et nous mobiliser. Nous ne pouvons pas adopter une forme de cécité à l'égard de la réalité de ce pays et des relations historiques que nous entretenons avec lui – et qu'il faut sans doute modifier.

Je tiens aussi à préciser mon propos sur le plan géopolitique. L'installation d'une base militaire saoudienne à Djibouti ne peut pas nous laisser indifférents. Elle traduit de fait les objectifs militaires que poursuit l'Arabie Saoudite en s'impliquant dans le conflit au Yémen.

N'ayant cessé de dénoncer le terrible conflit auquel la France participe via ses exportations d'armes, nous ne pouvons ignorer une situation aux implications humaines considérables. Même si les ministres répètent inlassablement en commission ou dans cet hémicycle que, s'ils vendent des armes à l'Arabie saoudite, ils ignorent à quoi elles servent, et ne possèdent donc aucune preuve qu'elles soient utilisées pour massacrer des Yéménites, nous n'acceptons pas cette cécité ni cette forme de realpolitik.

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