La présente proposition de loi, déposée par Mme Françoise Gatel, a été adoptée par le Sénat le 11 décembre 2018. Son objectif est d'encourager et d'accompagner l'essor des communes nouvelles.
Comme cela a été dit, les communes françaises sont un héritage de la Révolution. Leur existence est garantie par la Constitution du 4 octobre 1958. Elles constituent le premier niveau d'administration territoriale.
Les Français y sont particulièrement attachés. Cela a été confirmé par une enquête relative aux attentes municipales des Français, réalisée par le CEVIPOF en partenariat avec l'AMF. Ses résultats, qui viennent d'être publiés, révèlent un large assentiment des populations : 75 % des personnes interrogées se disent satisfaites du bilan de leur maire et de l'équipe municipale.
À la question : « Au sujet de l'avenir de votre commune, quelle solution vous semble la plus conforme à votre attentes ? », les Français répondent à 47 % qu'elle doit rester comme elle est, en gardant ses compétences actuelles de proximité. Ils sont seulement 11 % à répondre qu'elle doit fusionner avec des communes voisines pour former une commune nouvelle.
À la question : « Quelle confiance accordez-vous aux personnalités politiques occupant les fonctions suivantes ? », les Français répondent qu'ils font confiance au maire à 71 %, au conseiller départemental à 55 %, au conseiller régional à 49 %, au député à 40 % – malheureusement ! – et au sénateur à 37 %. La commune est donc bien le premier échelon de notre démocratie représentative. Elle est l'institution qui permet de préserver le lien avec nos concitoyens.
En matière d'action publique pour l'avenir et le développement, les Français attendent en priorité la préservation des services de proximité ; d'où la nécessité de maintenir des élus de terrain – ce que la fusion des communes et des communes nouvelles ne permet pas, selon nous.
Le législateur veut imposer absolument le regroupement des communes. Vous dites que c'est la volonté des élus, mais il nous semble que cela va à l'encontre de la volonté des populations. Cela explique la création d'une incitation financière en 1971, lorsque la loi Marcellin sur les fusions et regroupements de communes a initié et encouragé le regroupement et la fusion des communes.
Il était prévu que les subventions d'équipement attribuées par l'État pour des opérations déjà engagées par les communes fusionnées soient majorées de 50 %, dans les cinq années suivant la fusion. Cette loi n'a pas rencontré le succès escompté et a été complétée en 2010 par la loi portant réforme des collectivités territoriales. Comme le relève la sénatrice Agnès Canayer dans son rapport sur la proposition de loi, plusieurs facteurs expliquent le succès du nouveau dispositif de fusion de communes.
Le premier est la large place que le régime des communes nouvelles accorde aux élus locaux et à la population. Sauf que je m'interroge sur la place accordée à cette dernière : sauf erreur de ma part, elle n'est pas clairement assurée. En effet, une commune nouvelle peut être créée à la demande de l'ensemble des conseillers municipaux ; des deux-tiers des conseillers municipaux des communes membres d'un même EPCI, représentant plus des deux-tiers de sa population totale ; de l'organe délibérant d'un EPCI ; ou à l'initiative d'un représentant de l'État dans le département. À aucun moment il n'est donc question de demander l'avis de la population.
Le second facteur est que par les lois de 2010 et surtout de 2015, le législateur est parvenu à créer un juste équilibre entre la création d'une nouvelle commune de plein exercice et la préservation de l'identité des communes historiques, grâce à l'institution de communes déléguées. Mais pour nous, ces dernières ont été instituées lorsque le législateur s'est rendu compte que les populations étaient attachées à la commune, et que la crainte de la voir disparaître soudainement était un motif d'opposition à la fusion. Il s'agit donc d'une adaptation.
Mme Gatel explicite le but réel de cette réforme. Ce n'est ni l'implication des gens dans la vie de leur commune, ni l'amélioration de la représentation démocratique : selon elle, « le regroupement de plusieurs communes est un moyen de retrouver des marges de manoeuvre et de maintenir, voire de développer l'offre de services aux habitants, malgré la baisse des dotations de l'État. »
La fusion ne répond donc pas à l'objectif politique d'être plus à l'écoute des citoyens ou de favoriser une meilleure représentation, mais bien aux contraintes d'une restriction budgétaire, qui se traduit par la baisse des dotations de l'État au fonctionnement des communes.
Examinons les différents articles.
L'article 1er de la proposition de loi du Sénat visait à garantir une meilleure progressivité de la diminution du nombre de conseillers municipaux des communes nouvelles. Après la fusion, le conseil municipal s'est trouvé généralement composé de l'ensemble des conseillers municipaux, soit jusqu'à 150 ou 200 conseillers, ce qui est trop pour permettre des débats efficaces dans ce type de communes. Dès le premier renouvellement, ce nombre chute, de 50 à 70 % selon la taille de la commune. Au renouvellement suivant, il revient dans le droit commun.
Cela pose un problème de représentativité pour les plus petites communes déléguées, qui perdent souvent l'intégralité de leurs représentants au conseil municipal de la commune nouvelle. Il est donc proposé d'augmenter sensiblement la taille de l'effectif transitoire du conseil municipal lors du premier renouvellement. La commission des lois a amendé l'article 1er en limitant le nombre de conseillers à 69.
Prenons l'exemple de Château-Gontier-sur-Mayenne, commune nouvelle créée en 2019. Elle est issue de la fusion de trois communes dont les populations respectives étaient de 3 397, 11 807 et 1 654 habitants. Si l'on se réfère à l'annexe 4 du ministère de l'intérieur indiquant le nombre de conseillers municipaux en fonction de la population, le nombre de conseillers devrait être de 75. Mais selon le code général des collectivités territoriales, la nouvelle commune comprenant près de 17 000 habitants, son conseil municipal sera composé de 33 élus.
La représentativité à terme est donc nettement moindre et il devient possible que l'une de ces trois communes n'ait plus aucun représentant. Dans une telle situation, quelle règle permettra de choisir quels élus seront supprimés ? Une commune de faible population pourra-t-elle n'avoir aucun élu dès la création de la commune nouvelle ? Oui, d'après le texte du Sénat. Et pourtant, tout le monde se plaint du désintérêt pour la politique ! Les actions des gilets jaunes montrent toutefois que ce jugement n'est pas entièrement juste ; j'incite d'ailleurs les participants à ce mouvement à faire entendre leurs voix à l'occasion des prochaines élections locales…
Le texte ne précise pas non plus selon quelles modalités il sera possible de sortir d'une commune nouvelle. Comment faire diminuer l'abstention si, même à l'échelon local, les gens ne peuvent plus être représentés par des élus qu'ils connaissent et peuvent facilement rencontrer ?
Nous estimons que tous ces points touchant à la question de la représentativité sont insuffisamment définis et nécessitent un approfondissement. C'est pourquoi nous proposons un renvoi en commission.
J'en viens à l'article 4. Lors de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, chacun interprétait le texte à sa façon et les avis étaient partagés. En commission des lois pareillement.
Aujourd'hui, toute commune est tenue d'appartenir à un EPCI, à l'exception des îles comportant une seule commune. Lorsqu'une commune nouvelle est issue de la fusion de toutes les communes membres d'un ou plusieurs EPCI, elle est obligée d'adhérer à un nouvel EPCI, dans un délai de deux ans. À défaut, le préfet est obligé d'en prendre l'initiative. On voit qu'il n'est même plus question ni des élus, ni des populations : plus personne n'a son mot à dire à part le préfet !
Selon l'Association des maires de France, trente communes nouvelles se sont constituées entre 2015 et 2017 sur le périmètre exact de l'EPCI dont elles étaient membres. Toutes ont rejoint un nouvel EPCI dans les deux ans qui ont suivi. Il n'y a pas eu d'autre cas depuis 2017.
Les auteurs de la proposition de loi ont estimé cette obligation excessive, en rappelant les objectifs poursuivis par la généralisation de l'intercommunalité et l'augmentation à 15 000 habitants du seuil de constitution des EPCI.
Mme Agnès Canayer justifiait ce choix en se demandant pourquoi il fallait imposer à un EPCI à fiscalité propre issu de cette refonte de la carte intercommunale et qui se transformait en commune nouvelle de se rattacher à un autre établissement.
Cet article vise donc à déroger à l'obligation pour toute commune d'appartenir à un EPCI, et à permettre à une commune nouvelle issue de la fusion d'un ou plusieurs EPCI complets de ne pas rejoindre un nouvel EPCI, en exerçant à la fois les compétences communales et intercommunales.
La loi NOTRe a obligé les communes à se rattacher à un EPCI. Elles peuvent désormais en se regroupant devenir des « communes-communautés », joignant les compétences communales et intercommunales. Nous voudrions savoir s'il existe une étude d'impact concernant ces communes-communautés, et si des bilans ont été dressés depuis la loi NOTRe et les différentes loi qui se sont succédé depuis plusieurs années. Un bilan serait peut-être utile avant une nouvelle modification du schéma territorial.
L'article 7 ouvre la possibilité de supprimer une partie des annexes de la mairie de la commune déléguée. Cela va conduire à une situation comparable à celle que connaissent les communes avec les écoles rurales, pour l'entretien desquelles elles n'ont plus les financements nécessaires, impliquant des non-choix pragmatiques qui éloignent encore davantage les citoyens des services de proximité.
Je suis moi-même élue d'un département rural de montagne : trajets et éloignement ne se mesurent pas en distance, mais en temps. La suppression de lieux de rencontre – école, mairie et autres – oblige les gens à se débrouiller pour trouver des moyens de déplacement et complique nettement leur quotidien.
Comme dans d'autres départements ruraux, la population souffre de la désertification des services publics, qu'il s'agisse des écoles, des hôpitaux ou de La Poste ; elle est majoritairement vieillissante, et a donc besoin de services publics et d'une meilleure accessibilité. Les personnes âgées, souvent seules, ont des difficultés à se déplacer. La fermeture des annexes va les contraindre à regarder les corbeaux voler sur le dos pour ne pas voir la misère.
L'éloignement des services publics porte clairement atteinte à l'égalité républicaine, mais aussi à la démocratie, puisque les décisions sont de plus en plus souvent prises dans des instances éloignées des usagers.
Je vais prendre l'exemple très précis de la gestion de l'eau. Trois petites communes de l'Ariège, en zone montagneuse, Le Port, Antras et Arrien-en Bethmale, ont été dépossédées, contre leur volonté, de leur compétence eau et assainissement, alors que les populations étaient parfaitement satisfaites de leur gestion. Ces communes font face à des particularités liées au territoire, et on leur enlève ce droit. Elles se battent, avec les habitants, pour récupérer leur compétence eau. Qu'en sera-t-il lorsque ces communes auront été englouties dans une fusion et qu'elles n'auront pas d'élus pour représenter leurs intérêts ? Non seulement cette loi dépossède les habitants de leur pouvoir de décision, mais elle facilitera la mise en place d'une gestion qui les dessert !
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi ne peut pas être votée en l'état et un renvoi en commission s'impose. Nos concitoyens méritent mieux : ce n'est pas en votant un texte inabouti, qui ne place pas les citoyennes et les citoyens au centre de la vie démocratique, qui cherche uniquement à faire des économies, que nous regagnerons leur confiance.