Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 17h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

J'y reviendrai, monsieur Bourlanges. Il convient en effet de rappeler l'esprit des traités à ceux qui ont une idée un peu lointaine de ce qu'ils contiennent.

Monsieur Pueyo, la politique agricole est essentielle. Notre travail consiste à sécuriser les montants de la PAC qui atteignaient, pour la période 2014-2020, 52 milliards d'euros pour le premier pilier et 9,9 milliards pour le second. Pour le moment, on parle plutôt de 50 milliards et de 8,5 milliards. Mais il nous faut aussi discuter de ce que la PAC permet de faire : la reprise des exploitations, le soutien des petites et moyennes exploitations, la diversification de la production, l'exploitation de la biomasse et du produit de la méthanisation. Le fait que la Commission propose un plafond de 100 000 euros annuels par exploitation individuelle au titre du premier pilier et un lissage dégressif à partir de 60 000 euros concourt à la préservation d'une agriculture familiale de proximité, de petite ou de moyenne taille et compétitive, dans une perspective de verdissement et d'accompagnement à la transition climatique.

C'est ce que nous défendons activement au Conseil Agriculture et pêche et dans la négociation budgétaire pure. Vous pouvez compter sur mon engagement, en tant qu'ancienne députée de l'Essonne attachée à ses racines agricoles. Il s'agit de montrer que les budgets européens permettent une modernisation des pratiques et des changements en profondeur sur le continent, conformément aux promesses politiques faites aux citoyens européens.

Si vous m'y autorisez, madame la présidente, je souhaiterais faire un point sur le Conseil de l'Europe. La France en a pris la présidence au mois de mai, pour six mois, et j'ai l'honneur, et la lourde charge, de présider le comité des ministres. Je tiens à apporter, pour la bonne information de tous, quelques précisions sur la situation de la Russie et de l'Ukraine. À la suite de la présidence finlandaise, nous avons fait en sorte que la délégation russe puisse reprendre sa place au Conseil de l'Europe. Il ne s'agit pas là d'un cadeau fait à la Russie ou à Vladimir Poutine, mais d'une démarche dans l'intérêt des citoyens russes. Depuis 2014, le statut de la Russie était complexe ; le pays s'est retiré du Conseil de l'Europe il y a deux ans, ce qui signifie que les députés ne siégeaient plus à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et que le ministre ne participait plus aux réunions du comité des ministres. À compter du mois de juillet, la Russie pouvait être écartée ou partir d'elle-même de l'institution. Cela aurait eu pour conséquences de remettre en cause une institution censée réunir l'intégralité des pays du continent – hormis ceux qui n'ont pas aboli la peine de mort – et d'ôter aux millions de citoyens russes la protection de la Cour européenne des droits de l'homme.

Comment peut-on faire vivre les valeurs européennes si les défenseurs des droits de l'homme, comme le Tchétchène Oyoub Titiev, relâché vendredi 21 juin, les défenseurs des minorités LGBT, ceux des droits des femmes et ceux de la liberté de la presse ne peuvent plus exercer un recours ultime auprès de la Cour européenne des droits de l'homme ? Si la Cour européenne des droits de l'homme ne permet plus de pointer les manquements de la Russie, comment faire vivre concrètement notre engagement à préserver les droits fondamentaux sur le continent européen ?

Je le dis très solennellement, en ces heures caniculaires où les esprits s'échauffent facilement : ce n'est pas un cadeau que nous faisons à la Russie. Aucun pays ne gagne ou ne perd. Seuls les citoyens russes qui ont besoin d'un droit de recours sont gagnants. Nous devons en être bien conscients. Comme je l'ai rappelé mardi, on ne fait pas de géopolitique au Conseil de l'Europe, ce n'est pas le lieu où régler le problème du Donbass, de la Crimée et les enjeux de frontières. Vous le savez, la France est attachée aux frontières internationalement reconnues de la Crimée. Elle est pour un dialogue de fermeté. Si nous invitons Dmitiri Medvedev en France, c'est pour lui rappeler un certain nombre de priorités ; et lorsque Volodymyr Zelensky se rend en France, nous lui indiquons les soutiens que nous sommes prêts à lui apporter.

Le Président de la République ne donne pas de nom car la France n'est pas braquée et ne fait pas campagne pour un candidat. Nous faisons campagne pour une équipe d'Europe équilibrée et compétente. Il y a aujourd'hui jusqu'à six configurations différentes, qui intègrent des profils très intéressants issus de toute l'Europe. Beaucoup nous conviennent. Nous préférons nous attacher à un projet sur lequel nous avons travaillé, sortir du Conseil avec une feuille de route et nous assurer que ceux que nous choisissons pour porter cette feuille de route puissent obtenir une majorité au Parlement européen.

Je souris lorsque vous dites que le programme du parti socialiste était similaire à celui d'autres délégations. C'est dans cet esprit que le Premier ministre et moi avons reçu les parlementaires européens nouvellement élus le 7 juin. Sur des enjeux comme Strasbourg, l'influence française ou l'Europe sociale, il existe une sensibilité française qui doit nous permettre de travailler ensemble, au-delà des attitudes partisanes. Le consensus, c'est bien le propre de l'Europe et du Parlement européen, et c'est l'esprit dans lequel nous travaillons. Je parle d'« équipe de France » car nous devons être capables de faire bloc, chacun conservant sa liberté de vote, pour défendre non pas des intérêts nationalistes français, mais une sensibilité française sur de grands dossiers européens.

Monsieur Dumont, Strasbourg figure dans les traités. Tant que nous ne les modifierons pas, il est difficile d'imaginer de faire autre chose de Strasbourg que le siège du Parlement européen. Comme l'a très bien rappelé Jean-Louis Bourlanges, c'est une vision de l'Europe. Si nous estimons que nous avons une Europe fédérale, avec une capitale unique, alors reproduisons Washington DC à Bruxelles en installant tout au même endroit ! Mais je ne suis pas une fédéraliste forcenée et je ne crois pas que nous devions construire les États-Unis d'Europe. Si nous avons pour vision celle d'États nations qui travaillent ensemble dans une approche démocratique, gardons l'Autorité européenne du travail à Bratislava, l'Agence européenne des produits chimiques à Helsinki, l'Agence européenne de contrôle des pêches à Vigo, et le Parlement à Strasbourg !

Notre défense se fait sur le plan du statut et du droit, mais elle est surtout politique. Sur ce sujet, les choses sont très claires. J'ai constaté avec amusement que certains proposaient aux parlementaires européens de voter pour que Strasbourg devienne l'unique siège du Parlement européen. Je ne sais pas si cela est crédible et envisageable mais ce qui est certain, c'est que nous défendons Strasbourg parce que c'est en France, mais aussi parce que cela relève d'une certaine vision de l'Europe. J'espère que nous pourrons compter sur le plein soutien de l'ensemble des parlementaires européens français. C'est du reste la teneur du message que le Premier ministre a tenu à leur adresser le 7 juin, appelant à faire vivre l'esprit d'« équipe de France ».

J'avoue ne pas avoir saisi votre raisonnement sur les listes transnationales. Nous recherchons la proximité mais nous ne souhaitons pas que le candidat du parti arrivé en tête devienne mécaniquement le Président de la Commission. Si, dans le cadre des listes transnationales que nous avions proposées, Manfred Weber avait fait campagne en France, en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et que les Français votant pour la liste LR avaient compris qu'ils votaient pour la présidence de Manfred Weber, alors nous étions plus que prêts à accepter le système du Spitzenkandidat. Mais si l'on conserve les modalités électorales en vigueur, avec des circonscriptions régionales ou nationales, où chacun fait campagne sur sa tête, ce système n'est pas en accord avec la promesse faite aux citoyens et il est surtout très éloigné des traités, comme l'a très bien expliqué Jean-Louis Bourlanges. Les traités prévoient que le Conseil, tenant compte du résultat des élections européennes, propose au Parlement un candidat, sur lequel le Parlement peut exprimer son désaccord.

Le Spitzenkandidat a été inventé là où les pays ne connaissent pas des élections où une majorité est issue du second tour, mais fonctionnent grâce à des coalitions. Le système européen montre que nous n'en sommes pas arrivés là : c'est le Conseil qui propose au Parlement. Si le Parlement devait lui-même proposer le Président de la Commission, les traités seraient écrits différemment. Si l'on estime qu'il faut en changer, faisons-le, mais nous en viendrons alors à poser des questions plus fondamentales.

Une alliance PPESPDVerts est-elle possible ? Je vous invite à rencontrer quelques-uns des parlementaires français membres du groupe Vert et membres du groupe SPD et à les interroger sur cette éventualité… Je ne suis pas certaine qu'ils soient ouverts à cette idée, mais rien ne vous empêche de les pousser dans ce sens !

Pour ce qui concerne l'élargissement, les négociations d'adhésion et les discussions au Conseil Affaires générales de mardi, je voudrais poser tranquillement le débat. Il a toujours été dit que les Balkans occidentaux étaient dans une perspective européenne et qu'ils avaient vocation à rejoindre l'Union le jour où l'Europe serait prête à les accueillir et où ils rempliraient les critères.

À nos yeux, ces conditions ne sont pas remplies aujourd'hui. Le fonctionnement et l'organisation de l'Union européenne font qu'elle n'est pas prête à accueillir de nouveaux membres. L'élargissement ne saurait se faire demain, y compris en direction des pays qui négocient actuellement, comme la Serbie et le Monténégro. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne faille pas y travailler.

Les pays remplissent-ils les critères pour que l'on continue à ouvrir des chapitres dans les négociations d'adhésion ou pour que l'on commence la discussion ? S'agissant de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, des conditions ont été fixées l'année dernière pour que nous puissions reconsidérer le sujet, notamment sur les questions d'État de droit, d'organisation des juridictions et de lutte contre la corruption. Des progrès ont été faits ; la Commission dresse son analyse et la France est en train de faire la sienne. Sur un certain nombre de points, comme le procureur spécial en Macédoine du Nord, nous pouvons aller plus loin. Nous ferons connaître notre position en octobre sur une éventuelle ouverture des négociations d'adhésion. Je tiens à dire que l'accord de Prespa et le règlement d'un différend frontalier vieux de plusieurs décennies ont demandé beaucoup de courage politique. Je ne suis pas certaine que beaucoup de politiques en France seraient prêts à consentir les efforts qu'ont faits les Macédoniens et les Grecs. Dans le cadre des conclusions du Conseil affaires générales, nous avons salué cette avancée.

Au sujet de la Turquie, nous avons été extrêmement clairs : les conditions pour reprendre les négociations sont encore moins réunies que l'année dernière. Nous sommes au point mort, notamment à propos de l'État de droit et de la démocratie. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas ouvrir de nouveaux chapitres ni moderniser l'union douanière.

Cette situation démontre que nous devons repenser notre système de négociations, extrêmement frustrant pour tout le monde. Les négociations sont très longues et l'Union européenne donne l'impression de bloquer en permanence, mais dès lors que les négociations d'adhésion ont été ouvertes, il est presque écrit que le pays candidat deviendra membre. Cela a pour effet de créer une pression à l'ouverture des négociations, alors qu'elle devrait s'exercer à leur conclusion, pour déterminer si l'élargissement est décidé.

La France remettra au prochain Commissaire à l'élargissement et au voisinage un certain nombre de propositions afin que la méthode de négociation soit beaucoup plus honnête et efficace. Aujourd'hui, avec les pays qui nous demandent de l'aide économique, de nouveaux liens culturels, une vraie capacité de développement et la possibilité de retenir leur jeunesse et les classes moyennes et supérieures, notre seule relation consiste à envoyer des formulaires de 6 000 questions. Cette pratique doit cesser.

Je serai à Poznan avec le Premier ministre les 4 et 5 juillet pour discuter du processus de Berlin. C'est une démarche complémentaire pour apporter une aide concrète aux populations sur place, à court terme, et leur offrir une autre perspective que l'exil ou l'émigration lointaine faute de capacités de développement.

Pour résumer : nous souhaitons en premier lieu que l'Union réforme sa façon de négocier. En second lieu, il faut examiner dans le détail la satisfaction des critères qui permettent d'ouvrir les négociations, ce que nous sommes en train de faire. En troisième lieu, le processus de négociation doit être réversible, sinon toute la pression politique pèse au moment d'ouvrir les négociations, et non à la fin, ce qui n'a pas de sens. Enfin, ce processus doit être complété par une vraie stratégie économique, c'est l'enjeu du processus de Berlin.

Monsieur Bourlanges, je vous remercie car votre expérience de député européen est utile à la bonne compréhension des mécanismes à l'oeuvre en ce moment. Il est important de rappeler que la question de Strasbourg va bien au-delà de rodomontades partisanes, et vous pouvez compter sur la pleine mobilisation du Gouvernement à ce sujet. Vous l'avez rappelé : la constitution d'une coalition au Parlement européen est un mécanisme étranger à notre système politique.

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