Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 17h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

Même si je n'ai pas cinq pattes, je vais essayer de faire de mon mieux pour vous répondre… (Sourires.)

Monsieur Anglade, vous lirez peut-être avec un sourire les déclarations du Président de la République à la communauté française du Japon, qui disait hier qu'il ne signerait pas la déclaration d'un G20 qui ne défendrait pas l'ambition climatique, au prétexte de faire plaisir à certains des pays membres. Ce qu'il faut avant tout, c'est être cohérents et tenir une ligne ferme et continue. Si nous pensons en Europe que respecter l'Accord de Paris signifie atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devons faire prévaloir ce principe partout.

Cette cohérence doit s'affirmer de trois manières : respect de l'échéance ; mobilisation des financements au sein de l'Union européenne, dont nous pouvons aussi discuter avec des pays moins développés que nous, pour lesquels atteindre la neutralité carbone demande des investissements conséquents – c'est tout l'enjeu de l'Accord de Paris, le financement doit accompagner le développement et la transition ; partage des solutions innovantes, ce qui doit nous conduire à réfléchir à la question des brevets, de l'accès à la technologie et de sa diffusion – en gardant pour nous des solutions efficaces, nous empêcherions tous ceux qui auraient les mêmes problèmes de progresser. Au G7, au G20, à l'ONU et dans l'Union européenne, nous cherchons à construire une ligne cohérente autour de la neutralité carbone en 2050. Les climatologues du GIEC et du MIT que j'ai rencontrés, notamment, s'accordent pour dire que, si nous ne sommes pas capables d'absorber les émissions résiduelles en 2050 pour arriver à la neutralité carbone, les épisodes caniculaires actuels s'aggraveront et seront bien plus difficiles à gérer.

Madame Le Grip, comme vous le savez, notre système politique est très différent du système allemand. Notre système est présidentiel, avec une majorité stable, ce qui nous offre un horizon ; le système allemand, quant à lui, est un système de coalition, parlementaire, actuellement fragilisé par des dissensions internes. Ces différences ont toujours rendu le dialogue franco-allemand complexe, les canaux de transmission devant être nombreux avant d'atteindre un objectif commun. Par ailleurs, à certaines époques, l'entente était formidable, mais rien n'était fait ; à d'autres, elle était délétère et l'on ne faisait rien non plus ; nous, nous essayons de faire des choses. Or, comme me l'a très sympathiquement dit l'ambassadeur allemand à Paris, quand on fait des choses, on se « frotte », parce que l'on se rencontre plus, que l'on se parle plus.

Même si certains sujets semblent difficiles ; en réalité, on avance. Le budget de la zone euro n'est peut-être pas idéal, mais il n'existait pas du tout il y a encore un an. L'initiative sur les batteries électriques est une initiative industrielle significative en matière de montant et d'ambition. S'agissant du climat et de l'objectif de neutralité carbone, vous aurez remarqué que Mme Merkel n'était pas à Sibiu avec la coalition, alors qu'au Conseil européen de jeudi elle a été l'une de ceux qui ont permis de ramener dans notre giron des pays sceptiques. Le Traité d'Aix-la-Chapelle comporte beaucoup d'initiatives concrètes et quotidiennes qui favoriseront des projets communs bien plus que des grandes déclarations ou des photos symboliques.

Je ne dis pas que c'est facile : c'est fastidieux et exigeant, parce que nos systèmes politiques sont différents, mais le dialogue produit des effets concrets. Cela va sans doute moins vite que ce que l'on souhaiterait, dans la mesure où la coalition allemande est actuellement divisée sur des sujets en interne. Jean-Yves Le Drian et moi-même avons un homologue du SPD, ce qui nous demande un effort supplémentaire, afin de nous assurer que les idées sur lesquelles nous échangeons fassent bien majorité. Nous devons être très réalistes et comprendre qu'il relève aussi de notre responsabilité collective d'alimenter le dialogue. Grâce à l'Assemblée parlementaire franco-allemande et à votre commission des affaires européennes, vous avez également un grand rôle à jouer avec le Bundestag : il est important de multiplier les canaux au-delà des partis et des institutions.

La clause de réciprocité de l'accès aux marchés publics est intégrée de facto dans tous les accords commerciaux de nouvelle génération. C'est le cas dans les accords de libre-échange conclus avec le Vietnam et Singapour. En ce qui concerne le Vietnam, l'accord couvre non seulement les marchés publics étatiques mais aussi ceux des municipalités de Hanoi et de Ho Chi Minh ville. Autrement dit, ce principe n'a pas été enterré puisqu'il figure dans tous les nouveaux accords. Se pose naturellement le fameux problème du stock et du flux mais, en matière de réciprocité commerciale, le Président de la République a formulé des propositions fortes que nous serons attachés à faire progresser, y compris en partant de travaux déjà réalisés.

J'en viens à la culture et au patrimoine. Suite à la réunion européenne tenue avec M. Riester dans la foulée de l'incendie de Notre-Dame de Paris, le 3 mai, nous nous réjouissons que le cultural heritage, c'est-à-dire le patrimoine au sens large, figure parmi les priorités d'action pendant les cinq prochaines années. Nous nous sommes accordés sur trois points. Le premier : créer une expertise commune. En cas d'incendie, d'inondation, d'effondrement ou de tremblement de terre, par exemple, les experts ne se trouvent pas forcément à proximité de l'église, du château ou du monument concerné. Deuxième point : il faut faire circuler les jeunes apprentis sur les chantiers. L'idée de fonder l'Erasmus des apprentis sur le patrimoine est concrète et judicieuse, et la Banque européenne d'investissement est prête à participer à son financement. Enfin, il convient d'ouvrir toutes les possibilités de flexibilité dans les budgets pour que toutes les lignes liées au tourisme, à l'Europe créative voire au soutien au cinéma, entre autres, puissent contribuer à valoriser le patrimoine. Voilà ce dont nous sommes convenus le 3 mai à l'unanimité – ce qui prouve que sur des sujets précis, nous pouvons avancer ensemble. Nous pourrons ensuite décliner ces objectifs dans le budget européen en veillant à ce que ces différentes lignes budgétaires bénéficient également d'un effet de levier national et privé.

S'agissant de Strasbourg, monsieur Michels, la clé tient à ce qu'il s'y passe des choses intéressantes. Il est moins intéressant de s'y contenter de votes formels à l'image des scrutins publics bien connus dans cette Assemblée que de conduire des trilogues et des réunions avec les commissaires. Je juge très positive l'annonce qu'a faite Klaus Welle, secrétaire général du Parlement européen, d'occuper les lieux quand les députés européens ne siègent pas. De même, le Forum mondial de la démocratie qui se tiendra en septembre dans la ville est intéressant, comme l'est la possibilité d'effectuer des consultations citoyennes dans l'Hémicycle et dans les locaux du Parlement européen.

En ce qui concerne le Brexit, sur lequel M. Pont ma également interrogée, les choses sont très simples. Si le Royaume-Uni veut sortir de l'Union européenne de manière ordonnée, c'est l'accord de retrait qui est sur la table. Le Premier ministre irlandais a judicieusement estimé qu'il n'y a pas d'accord de retrait sans backstop et pas de période de transition sans accord. Tout est lié : nous avons travaillé pendant deux ans et demi et c'est sur cet accord que nous devons nous fonder si le retrait britannique doit être ordonné, dans l'intérêt mutuel des deux parties.

En revanche, c'est la nature des relations futures qui est au coeur des préoccupations britanniques – et des nôtres. Que se passera-t-il après ? C'est une question bien légitime. J'ai passé une partie de mon enfance à Calais : les falaises de Douvres et de Folkestone ne reculeront pas et le tunnel sous la Manche ne s'allongera pas à cause du Brexit. Ce pays restera proche et nous continuerons de facto d'entretenir des liens très forts. Cela étant, Michel Barnier et les Vingt-sept sont prêts à ce que la déclaration politique subisse des évolutions, dès lors que certains principes évidents sont respectés et que certaines lignes rouges ne sont pas franchies – ne pas détricoter le marché intérieur, par exemple. Il appartient désormais aux militants conservateurs de faire leur choix. Nous travaillerons naturellement avec le prochain Premier ministre britannique, car c'est l'esprit même de nos institutions – il n'y a pas de boycott : nous parlons à tout le monde et partout. Nous avons donc une obligation de dialoguer avec le prochain Premier ministre.

Vous aurez remarqué, madame Hennion, que le Conseil européen a employé la notion de souveraineté numérique. C'est un pas important : la reconnaissance du fait qu'il faut bâtir une souveraineté dans l'espace numérique – c'est-à-dire une capacité de contrôle et d'application de l'État de droit. Le retrait des contenus terroristes, par exemple, occupe aussi le Parlement européen en complément de l'action de votre Assemblée. En matière d'innovation, il faut faire émerger des champions : Horizon Europe et les nombreux programmes d'incubation visent précisément à prolonger l'innovation jusqu'au développement industriel, par exemple dans les secteurs de l'intelligence artificielle, des chaînes de blocs ou de la 5G – un sujet qui vous est cher. Le cadre financier pluriannuel comprend un programme intitulé « Digital Europe » qui vise à offrir un accès numérique pour tous dans tous les territoires via des bornes sans fil qui ne sont pas celles des opérateurs. Enfin, la régulation des plateformes et la protection sociale des travailleurs du numérique sont autant d'enjeux sur lesquels nous serons plus forts en travaillant à vingt-huit ou vingt-sept qu'en nous employant avec difficulté à élaborer des régulations nationales fastidieuses.

Le numérique est donc tout à la fois un outil et un secteur. C'est surtout un levier d'innovation, de compétitivité et de capacité à créer des champions exportateurs, petits et grands. C'est un enjeu qui a fait l'objet d'une forte prise de conscience collective. Certains pays sont eux-mêmes devenus des champions dans certains de ces domaines, comme l'Estonie qui a accompli un important travail dans ses administrations pour faire du numérique un levier de développement.

Lors d'un Conseil environnement, madame Karamanli, des discussions ont eu lieu en vue d'adopter un règlement sur le recyclage des eaux usées en matière agricole. La loi française comprend déjà des dispositions à cet égard mais nous cherchons à ce que tous nos voisins agissent dans le même sens. Des discussions sont également en cours concernant la directive relative à l'eau potable. Vous nous alertez à juste titre : il faut prendre garde à ne pas dégrader notre niveau d'exigence dans ce domaine important en faveur duquel Brune Poirson et Emmanuelle Wargon sont pleinement mobilisées, parallèlement aux réflexions conduites dans le cadre des assises de l'eau sur le financement d'instances nationales. Là encore, il faut définir l'articulation entre les règles imposées sur le plan national et les propositions que nous défendons sur le plan européen.

La plateforme Instex, madame Dumas, doit permettre à l'Iran de ne pas se trouver dans une situation de fermeture économique, mais elle n'est pas encore pleinement opérationnelle. Je fais le tour des capitales européennes pour inviter un plus grand nombre de pays à nous rejoindre car cette plateforme de troc fonctionnera d'autant mieux que le nombre d'acteurs sera élevé. Mon homologue néerlandais a donné un accord de principe que nous essayons de convertir pour aller plus loin. Sur le plan géopolitique, le G20 des jours qui viennent est crucial : la France, l'Allemagne et leurs partenaires européens signataires de l'Accord de Vienne conduiront un travail de fond pour susciter une désescalade, non seulement rhétorique, mais aussi des sanctions. Ce n'est pas suffisant, et l'Union européenne doit jouer un rôle. La clé tient à notre capacité à répondre aux promesses que nous avons faites à l'Iran qu'il tirerait un bénéfice économique en continuant d'appliquer les restrictions prévues dans l'accord de Vienne. Tout vient de là. De leur côté, les Iraniens nous disent combien il leur est difficile de tenir leurs engagements sans en constater les bénéfices. Nous devons poursuivre ce dialogue et faire progresser les choses. La plateforme Instex fait l'objet d'innombrables travaux en cours et des avancées sont réalisées chaque jour. Notre effort diplomatique visera à ramener le plus grand nombre possible de participants au système afin qu'il puisse fonctionner.

J'ai beaucoup aimé votre intervention, monsieur le président Chassaigne. Il est indispensable que davantage de personnes comme vous examinent concrètement le déploiement des fonds européens. Lorsque je siégeais à la commission des finances de votre Assemblée, j'avais été à l'origine de la demande qui est faite à la Cour des comptes d'élaborer un rapport sur la gestion des fonds européens par les régions. Ce rapport, présenté le 22 mai, aide beaucoup le Gouvernement, le Premier ministre, Mme Gourault et moi-même à réfléchir précisément aux évolutions à susciter pour que le prochain cadre 2021-2027 soit plus satisfaisant en matière de gestion des crédits européens. Des discussions sont notamment en cours pour simplifier l'organisation extrêmement complexe qui régit la gestion des crédits du FSE. On pourrait également évoquer les programmes LEADER ou FEAMP, les autres fonds obéissant à un pilotage plus satisfaisant.

J'ai une demande à vous faire. À titre personnel, je ne pourrai défendre la PAC et la politique de cohésion au niveau européen si nous n'affichons pas de meilleurs résultats s'agissant de notre capacité à consommer les fonds. Comment demander à nos partenaires européens des crédits au titre du premier pilier, du deuxième pilier, des fonds de cohésion et autres dès lors qu'ils constatent les limites de nos capacités à décaisser les fonds ? Pourquoi consacreraient-ils de l'argent à ce qu'ils comprendront comme un jeu de dupes, un simple affichage ? En clair, je vous demande de faire tout ce que vous pouvez avec les présidents de région et les élus locaux en exerçant une pression bienveillante afin que les dossiers papier du programme LEADER soient entrés dans le bien nommé système Osiris, de sorte que les paiements soient effectués. Seuls 5 % de l'enveloppe réservée aux projets LEADER en France d'ici à la fin 2020 ont été payés – la période ayant commencé en 2014. Les projets déposés pendant cette période pourront encore être payés pendant deux ans ; encore faut-il que les dossiers soient versés dans le système informatique avant le 31 décembre 2020, sans quoi cet argent sera perdu ! Sur l'ensemble de la période, 15 % des projets ont été programmés, 5 % ont été payés. Or il existe 15 000 projets LEADER prêts à être financés en France ! Ils sont d'autant plus pertinents qu'ils viennent du terrain – acteurs et élus locaux, associations, zones rurales. Ils permettent de justifier que l'on paie des impôts en partie transférés à l'Europe qui élabore à son tour une stratégie avant de la décliner à l'échelle locale. Il faut que vous nous aidiez – y compris à vous aider – en servant d'aiguillon auprès des conseils régionaux pour leur dire ceci : le problème ne tient ni aux projets ni à l'argent, mais à la capacité de transférer des dossiers papier dans un système informatique. Je vous enjoins de m'aider, car je ne pourrai pas renégocier un programme LEADER intéressant si nous n'avons dépensé que 10 % des fonds affectés pendant la période précédente ! Il en va de même du FSE. Les porteurs de projet sont découragés et, dans cinq ans, il faudra bien constater que la France n'a consommé que la moitié de son enveloppe, qu'elle connaît le chômage, que l'insertion n'est pas financée, que les associations demandent de l'argent sur le plan national, et ainsi de suite.

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