Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 17h10
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

La Cour des comptes le montre bien : la gestion de certains fonds européens a été confiée aux régions en 2014 sans préparation, d'où une forme de précipitation voire d'anarchie, chacun s'organisant de son côté. Voilà qui explique la complexité actuelle. Dans le cadre de l'accord de partenariat, nous travaillons donc avec le Premier ministre, Mme Gourault et les présidents de région pour faire en sorte que le cycle 2021-2027 soit plus efficace, satisfaisant et lisible. Les régions devront simplifier les magnifiques châteaux de cartes qu'elles ont créés et l'État devra donner des délégations concrètes. Le Premier ministre présentera prochainement ses arbitrages en la matière aux présidents de région. Je serai très vigilante, et je remercie l'Assemblée de m'avoir donné une certaine expérience à la commission des finances : nous ne saurions demander aux Français de payer des impôts envoyés à l'Europe qui finance des projets sur lesquels nous sommes tous d'accord mais que nous ne parvenons pas à traduire concrètement dans les territoires. Il en résulte de la défiance et cet euroscepticisme qui nous choque tous.

J'en viens à la santé. Les recommandations par pays ne sont pas toujours aberrantes ; au contraire, elles sont parfois lucides et rejoignent ce que Mme Buzyn propose dans le plan « Ma santé 2022 ». Certains investissements lourds coûtent un argent que l'État n'a pas forcément partout. Ce n'est pas à la BCE qu'il appartient de les financer mais, entre les fonds de cohésion, les crédits du FEDER, les fonds d'aménagement rural – qui pourraient par exemple servir à financier une partie de l'équipement des maisons de santé – ou encore les fonds de la BEI voire les crédits du budget de la zone euro consacrés à la compétitivité, car l'attractivité d'un pays tient aussi à la bonne répartition de ses installations de santé, il existe de nombreux outils. En théorie, beaucoup de choses sont possibles. Il faut simplement que les élus locaux et présidents de région, en lien avec les préfets et l'État, s'assurent de la capacité à défendre au niveau européen des projets qui correspondent aux attentes des citoyens. Nous devons retrouver cette ingénierie de projets. Lorsque les projets sont pleins de bon sens, il est objectivement possible de progresser à l'échelle européenne. Encore faut-il que les projets soient montés.

Nous avons évoqué la question avec M. Pont lorsque nous avons rencontré les pêcheurs à Boulogne-sur-Mer : il restera d'importants crédits non consommés du FEAMP. Nous n'avons pas réussi à susciter des projets dans toutes les régions. Les pêcheurs font état des problèmes qu'ils rencontrent pour investir ; de mon côté, je ne peux que leur répondre que ce n'est pas l'argent qui fait défaut mais la capacité à faire le lien entre la réalité qu'ils connaissent à Boulogne et ailleurs et une enveloppe budgétaire existante. Pour parvenir à cette articulation, il faut un peu d'ingénierie, de créativité et des discussions multiples. Je me battrai pour que les budgets existent mais si nous ne sommes pas en mesure de nous organiser lucidement pour que le dispositif fonctionne, nous ne pourrons satisfaire les citoyens.

Je ferai en toute humilité un tour de France pour constater sur place comment les fonds européens des différents programmes se déploient, bien ou mal, dans les régions. Je rencontrerai des pêcheurs, des agriculteurs, des élus locaux pour aborder notamment les questions de formation et d'insertion. Au début de juillet, je passerai une après-midi avec un agriculteur pour qu'il m'explique comment remplir un dossier de PAC et renseigner les différents critères – la pente, l'eau, l'ensoleillement et ainsi de suite. J'ai besoin d'informations qui proviennent directement du terrain. Le but de ce tour de France ne consistera pas à affirmer que l'Europe fonctionne à merveille, mais à déterminer les outils de bon fonctionnement dont nous pouvons nous doter en vue de la négociation du prochain cadre financier pluriannuel. Il ne s'agit aucunement de faire du marketing pro-européen. L'agenda stratégique, dont on peut naturellement discuter sur tel ou tel point, est susceptible de produire de réels progrès, mais nous passerions à côté de notre mission si nous n'étions pas capables de le décliner dans les territoires.

La convergence sociale, monsieur Bru, recouvre différents éléments. Le salaire-plancher, d'abord : nous proposons d'établir qu'en Europe, nul ne doit travailler à plein-temps en percevant un revenu inférieur au seuil de pauvreté – cela semble cohérent. De nombreux pays satisfont déjà à cette exigence, y compris la France, même si l'on n'y vit sans doute pas confortablement avec le SMIC, ou les pays nordiques. Ce n'est pourtant pas le cas de tous les pays européens. La création d'un salaire plancher permettra de résoudre la question du dumping social en rehaussant les salaires.

La convergence sociale, c'est aussi le principe suivant : à travail égal, salaire égal et cotisations égales. C'est aux pays qui bénéficient du travail des personnes qu'il appartient de payer leur chômage ; on ne saurait reporter, dans le cas des travailleurs transfrontaliers par exemple, les cycles économiques du pays où ils vivent sur celui où ils travaillent, car c'est là qu'est produite la richesse. Autres enjeux : le paquet mobilité, qui permet d'adapter le travail détaché au secteur du transport routier, la coordination des systèmes de sécurité sociale afin que les charges puissent alimenter les politiques publiques dans les bassins de vie, ou encore la protection des travailleurs numériques.

Sur tous ces sujets, la France adressera au prochain Président de la Commission une proposition de bouclier social, que nous transmettrons à l'Assemblée nationale et à votre commission en particulier et dans laquelle vous trouverez tous des points intéressants.

Enfin, les sanctions à l'égard de la Russie sont reconduites parce qu'elles sont un outil de pression, même s'il n'est pas pleinement satisfaisant. L'effort diplomatique s'inscrit toujours dans le cadre du format Normandie : Ukraine, Russie, France, Allemagne. C'est un effort très intense déployé au plus haut niveau. La chancelière Merkel et le président Macron rencontreront de nouveau M. Poutine prochainement et le sujet est au coeur de tous les échanges bilatéraux. Tant que la situation ne sera pas stabilisée au Donbass et en Crimée, et que les provocations que vous citez n'auront pas cessé, il sera extrêmement difficile de recréer une relation saine en Ukraine et, plus largement, avec la Russie. Le Premier ministre l'a dit en termes très clairs à M Medvedev lors de son déplacement au Havre. Nous sommes tous impliqués dans cette même démarche vis-à-vis de l'Ukraine, pour soutenir tout ce qui pourrait y être fait afin de renouer le dialogue, et pour que nous poursuivions un dialogue ferme avec la Russie. L'arrêt du tribunal international de Hambourg exige la libération des marins : nous suivrons ce dossier. Le fait que le tribunal international du droit de la mer prenne des positions – que nous avions déjà prises – juridiquement contraignantes constitue un argument.

Voilà pour ce tour d'horizon à plusieurs pattes. Je serai heureuse de vous retrouver au ministère pour un échange plus informel et transpartisan, comme nous allons le faire chaque mois. Nous devons constituer une équipe de France pour l'Europe, d'où l'utilité de ces espaces de discussion.

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