Les clivages entre la droite et la gauche ont été dépassés à la suite des élections de 2017. Je pense que ce phénomène ne se limite pas à la France ; dans le monde entier, les clivages politiques anciens disparaissent et laissent la place à de nouvelles séparations. Dans notre pays, la France du « oui » de 2005 s'oppose à celle du « non », la France des villes à la France rurale, la France des classes moyennes et populaires à celle des plus aisés – en clair, les gagnants de la mondialisation versus les perdants de celle-ci. Mais je pourrais relever encore bien d'autres clivages. Ces nouveaux clivages, nous ne devons pas les négliger. Notre devoir de responsable politique est au contraire de les apaiser, et le budget doit en être un des moyens.
Ce budget pour 2020 s'inscrit également dans un contexte européen renouvelé, avec un nouveau parlement où les extrêmes occupent toujours une place non négligeable, où les partis écologistes ont réalisé des scores à deux points dans de nombreux États européens, où le Brexit est toujours en négociation, où la croissance stagne, où le vieillissement de la population est un défi commun à de nombreux pays et où la concurrence entre les États membres, que ce soit en matière fiscale ou sociale, demeure la règle et non l'exception. Enfin, ce budget s'inscrit dans un contexte international inquiétant : le multilatéralisme est remis en cause, le commerce international connaît des heures difficiles, la menace nucléaire ressurgit, et de nombreux défis restent à relever, comme la crise écologique.
Construire un budget sans prendre ce contexte en considération serait faire fausse route. Ce serait faire de la France un îlot au milieu du monde. Ce serait vouloir faire plaisir aux Français sans voir les contraintes qu'implique un monde ouvert. Le budget n'est donc pas un objet à plat, mécanique et dénué de sens politique. Au contraire : face à des entreprises qui dominent le monde et les esprits, il demeure, pour des États dont le rôle tend à s'amoindrir, l'outil le plus puissant dont ils disposent.
Dans les quelques minutes qui me restent, je souhaiterais évoquer deux questions qui exigent des choix politiques forts : la soutenabilité de la dette et celle du budget.
Quelle sera la nature de la prochaine crise de la dette ? Sera-t-elle celle des dettes publiques tout court, ou celle des dettes publiques ne venant financer que partiellement des investissements permettant de préparer l'avenir pour faire face aux enjeux climatiques et démographiques ? La crise financière et économique est inéluctable, même si la date à laquelle elle surviendra est incertaine. Quelle en sera la cause : une bulle immobilière ou numérique comparable à celles que nous avons déjà connues, ou une prise de conscience des investisseurs qu'ils détiennent des actifs pourris ou échus, c'est-à-dire destinés à financer des activités négligeant le développement durable ?
Je suis convaincue que les crises économiques et financières à venir viendront d'une prise de conscience environnementale et sociale. Leur impact sera-t-il identique sur toutes les dettes publiques ? Les États ayant émis des obligations assimilables du Trésor – OAT – « vertes » ou durables seront-ils plus protégés ? L'effet sur les taux d'intérêt sera-t-il différencié ? En tant que rapporteure spéciale sur les engagements financiers de l'État, ayant choisi les OAT vertes comme thème de travail lors du Printemps de l'évaluation, j'estime que celles-ci ne seront vraiment protectrices qu'à partir du moment où elles seront caractérisées par une véritable additionnalité. Aujourd'hui, nous ne faisons qu'identifier les dépenses favorables à l'environnement.
Enfin, la dette n'a pas le même sens si elle sert à investir. En 2019, la part d'investissement prévue dans le budget de l'État est, selon la classification actuelle, de 13,9 milliards d'euros, soit seulement 3,8 % du total des dépenses. C'est insuffisant ! Il faut réduire nos dépenses publiques de fonctionnement. Nous n'allons pas assez loin ! Nous devons dégager des marges de manoeuvre pour préparer l'avenir.
Concernant le caractère soutenable du budget, le Gouvernement a pris la décision, à la suite du premier conseil de défense écologique, de produire un « budget vert ». Nous nous en réjouissons, c'était une proposition de la majorité lors du grand débat national. Néanmoins, le budget vert n'est pas le jaune budgétaire dont j'ai demandé la publication l'année dernière. Alors que ce dernier ne permet que d'identifier les dépenses vertes et les recettes issues de la fiscalité écologique, le budget vert, document bien plus ambitieux, doit permettre d'évaluer la conformité de toutes les dépenses de l'État aux exigences de l'accord de Paris ainsi qu'aux engagements pris par la France en matière de biodiversité.
Enfin, en ce qui concerne les niches fiscales défavorables à l'environnement, nos choix politiques impliquent d'y mettre fin. Dans ce domaine, cependant, il convient d'en finir avec les décisions surprises et perçues comme brutales, car les acteurs ont besoin de visibilité et stabilité. Nous devons définir une trajectoire de sortie applicable à toutes ces niches et prévoir des mesures de compensation. Une telle méthode nous permettra plus facilement de tenir une discussion apaisée autour de ce qui serait une trajectoire carbone juste. Un jour, peut-être…