Nous vous le transmettrons.
J'en viens aux dispositions concernant l'environnement et le développement durable. Nous aurions aimé qu'elles soient plus contraignantes. L'accord de Paris a été signé après le CETA, mais nous avons eu l'occasion de remettre à l'ordre du jour de façon explicite ses exigences, dans le cadre des déclarations interprétatives contraignantes. Grâce aux textes d'application du CETA entre la partie européenne et la partie canadienne, nous avons même pu adopter des éléments renforçant les engagements liés à l'accord de Paris. Nous aurions pu aller au-delà mais cela n'a pas été possible, faute de temps.
La question se pose de savoir s'il est possible de dénoncer le CETA au cas où un État partenaire ne respecterait pas l'accord de Paris. En réalité, il n'y a pas de dénonciation automatique mais une gradation de mesures, qui passent par une commission spéciale, le comité des ministres, un groupe d'experts, des recommandations indépendantes. En dernier ressort, si elle estime que les exigences nécessaires ne sont pas prises en compte en matière de climat, l'Union européenne pourra prendre d'autres types de décisions.
Nous commençons toutefois à voir poindre des avancées dans les négociations avec les pays tiers. La Nouvelle-Zélande serait même prête – Olga Givernet nous l'a confirmé – à faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle dont le non-respect justifierait une suspension des avantages commerciaux, ce qui constituerait un précédent.
La France est très en pointe en matière de climat mais elle n'est suivie ni par les socialistes espagnols et portugais, ni par les libéraux néerlandais, ni par de nombreux autres pays européens. Nous devons continuer à exercer une pression pour convaincre nos partenaires. Depuis deux ans, des signes concrets montrent que nous allons dans le bon sens.
Certains ont souligné que l'augmentation des exportations de pétrole canadien vers l'Europe laissait redouter une envolée des exportations d'huiles de schiste. Il est indéniable qu'il y a une augmentation de ces exportations, mais le pétrole acheté provient de gisements situés au large de Terre-Neuve ; il s'agit donc de pétrole conventionnel. En outre, le projet d'oléoduc vers l'Atlantique a été abandonné, alors que les oléoducs vers les États-Unis et vers le Pacifique ont été confirmés. Au total, le pétrole canadien a représenté moins de 1 % des approvisionnements externes de l'Europe – 0,2 % des approvisionnements français. Le peu de pétrole canadien que nous importons ne constitue pas un problème, d'autant que le CETA n'apporte aucun avantage comparatif tarifaire en matière d'hydrocarbures. Cela n'empêche qu'il nous faut être vigilants.
Le plan d'action du Gouvernement prévoit un dispositif d'identification de l'origine des hydrocarbures et de traçabilité. Par ailleurs, le ministère de la transition écologique et solidaire a commandé à l'Inspection générale des mines et au Commissariat général au développement durable (CGDD) une étude dont nous aurons les résultats dans le courant de l'année. Le but est de proposer à la Commission européenne un dispositif de traçabilité, complexe à mettre en place car les flux sont aujourd'hui mélangés dans les zones logistiques, et éventuellement un mécanisme de fiscalité carbone différenciée.
Il y a un ensemble de dispositions de l'AECG qui suscite chez certains la crainte de voir les pays dépossédés de leur capacité réglementaire. Il est vrai que les comités réglementaires du CETA, qui associent la Commission et le Canada, peuvent adopter des normes juridiques contraignantes. Toutefois, aucune ne peut être négociée sans un mandat du Conseil. En outre, s'il y a un accord au niveau d'un comité, il ne peut devenir juridiquement contraignant que s'il y a un accord du Conseil. La comitologie ne prive donc nullement les États membres de leur capacité de contrôler le travail des comités. Dans les déclarations interprétatives contraignantes et dans le travail de mise en oeuvre de ces comités, il est clairement indiqué que la convergence ne peut se faire que vers le haut : il n'y a pas de possibilité de revenir à des dispositions moins contraignantes ou moins protectrices. Certains ont estimé qu'il était quelque peu provocateur de la part des Canadiens d'avoir mis à l'ordre du jour des comités les antibiotiques et le glyphosate. Nous pouvons leur opposer que tout cela est public, que le compte rendu ne précise rien car il a été considéré qu'il s'agissait d'expliciter la position française et européenne et non de la justifier, et que le comité n'a été saisi d'aucune demande de convergence qui viserait à remettre en cause les projets de législation communautaire.
Une dernière série de stipulations de l'accord concerne les tribunaux d'investissement. Les opinions publiques sont très sensibles au fait que les entreprises pourraient contraindre les États à remettre en cause leur législation quand elle contrevient à leurs intérêts propres. Je vous poserai ici une question, mes chers collègues : à votre avis, combien y a-t-il eu de recours contre l'État français issus de systèmes d'arbitrage depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Un seul, déposé par le Kazakhstan. Combien de recours des États-Unis contre la France ? Zéro. Et des États-Unis via des accords avec des pays tiers contre les États de l'Union européenne ? Zéro aussi. Dans des États comme la France, où la législation vise l'intérêt général – sans expropriation ou nationalisation forcée –, le risque lié aux dispositifs d'arbitrage est nul.
Cela dit, des garanties supplémentaires étaient nécessaires. Nous avons ainsi mis fin à l'arbitrage privé au profit d'une juridiction de droit public composée de juges professionnels. La possibilité de faire appel est ouverte et la recevabilité est prise en compte. Autrement dit, il existe une instance juridictionnelle distincte des systèmes d'arbitrage auxquels prennent part des individus choisis par des parties d'un commun accord.
Enfin, le dispositif, transparent, assure une protection du droit de légiférer des États. Cela figure explicitement dans le texte. Élément nouveau, qui vient d'être rendu public il y a quelques minutes à la commission des affaires économiques et dont je tiens à vous faire part ici, vous avez à votre disposition tous les éléments nécessaires à la compréhension du veto climatique que nous pourrons faire jouer devant le tribunal des investissements. En cas de recours d'une entreprise, le Canada et les membres de l'Union européenne peuvent intervenir dès le début de la procédure. Prenons l'exemple d'une entreprise cigarettière qui considérerait que le paquet neutre lui est défavorable : les deux parties pourraient délibérer dans le comité mixte pour décider si, oui ou non, la législation en cause est d'intérêt général. Ce dispositif a été ajouté à la demande de la France. Je vous rappelle que Nicolas Hulot avait dit qu'il subordonnerait son accord à la ratification à l'inscription dans le texte de ce veto climatique, qui présente l'intérêt de couvrir l'ensemble des motifs d'intérêt général au nom desquels un État peut légiférer, y compris la santé et les normes sociales. Du point de vue du droit international, c'est une novation considérable. Elle a l'avantage de protéger les parties. Le degré de dissuasion qui pèsera sur le plaignant sera très élevé, car il s'exposera au risque d'être débouté tout de suite.
Ce veto climatique peut aussi être utilisé a priori. Prenons le cas d'un pays ayant instauré une fiscalité différenciée selon les types de carburants, susceptible de soulever des contestations puisqu'elle affecterait les flux existants. Il pourrait faire valider directement cette nouvelle législation par le mécanisme d'interprétation conjointe du veto climatique, qui sera opposable aux tiers après validation. Le Canada est autant demandeur que nous. Hier, James Gordon Carr, ministre canadien de la diversification du commerce international, a rendu public son accord politique en faveur de ce dispositif.
J'évoquerai, pour finir, des éléments plus contextuels, car ce sont eux qui, à mon avis, justifient principalement que nous ratifiions aujourd'hui l'AECG.
Nous avons 450 millions d'euros d'excédent commercial bilatéral, je l'ai dit. Il y a un écart entre l'enjeu commercial et la nature du débat public. L'enjeu principal du CETA est relatif aux biens communs mondiaux. Il s'agit de savoir si l'Europe est à même d'apporter une réponse alors que la régulation du commerce international est en train de s'effondrer, que l'organe de règlement des différends de l'OMC est bloqué et que certaines conventions sont dénoncées. La question est de savoir si l'on peut laisser sans réponse la montée des tensions internationales et des guerres commerciales, marquées par l'adoption, ici et là, de sanctions.
La réponse que l'Europe a choisie consiste à dire qu'il faut créer un espace dans lequel les marchés ne sont pas soumis à une guerre commerciale mais sont régulés. Comme le marché européen est le plus attractif au plan mondial, compte tenu de sa capacité d'absorption, l'UE souhaite en vendre l'accès le plus cher possible, en termes de normes sociales et environnementales.
Il y a une sorte d'alignement des astres qui nous est favorable. Au moment où nos partenaires, hormis les États-Unis et la Chine, souhaitent diversifier et sécuriser leurs débouchés, l'Europe est disposée à dire « oui » en mettant des conditions sociales, environnementales et climatiques qui n'existaient pas il y a quelques années. Cela vaut pour le Canada. Je rappelle que 80 % des exportations du Canada vont vers les États-Unis. Le ministère canadien du commerce s'appelle d'ailleurs le ministère de la diversification commerciale – il a changé de nom. Ce qui était un « plus » pour le Canada quand cet accord a été lancé par Nicolas Sarkozy et Jean Chrétien est devenu un « must », une obligation, compte tenu de la menace que fait peser l'unilatéralisme américain vis-à-vis du Canada.
Notre préférence va, bien sûr, à des solutions coopératives et négociées. La formalisation juridique de l'accord et la négociation des instruments d'accompagnement ont pris du temps. Le texte assure une régulation conforme à nos valeurs européennes, et c'est aussi un moyen très efficace d'obtenir de nos partenaires des engagements contraignants – je rappelle qu'il s'agit d'une compétence fédérale. Pensez-vous vraiment que le Canada se serait aligné sur l'Europe au sein de l'OACI et de l'OMI, ou en ce qui concerne le veto climatique et le tribunal des investissements, sans l'attractivité du marché européen ?
L'accord a déjà été ratifié par treize autres États membres, et la nouvelle vague de ratifications qui a suivi la décision de la Cour de justice de l'Union européenne s'accélère. Comme l'a évoqué la présidente, nous avons une raison particulière de ratifier ce texte, et c'est le Canada lui-même. Nous avons une relation politique extrêmement forte et affective avec le Canada : la France a quatre siècles d'histoire partagée avec ce pays ; 120 000 jeunes Canadiens ont donné leur vie à nos côtés pendant les deux guerres mondiales et sont enterrés en Europe ; 30 % de la population canadienne est francophone ; ce pays est un membre fondateur de l'Organisation internationale de la francophonie ; il y a 150 000 Français au Canada ; on compte 20 000 salariés d'entreprises canadiennes en France et 100 000 salariés d'entreprises françaises au Canada ; et, on l'oublie parfois, c'est un pays qui est frontalier du nôtre grâce à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi qui permettra à la France de ratifier deux accords extrêmement importants entre l'Union européenne et le Canada.