J'adresse mes remerciements au rapporteur pour sa présentation, qu'il a voulue précise et concrète, même s'il ne nous a pas convaincus – je crois qu'il le devine.
L'examen de ce texte au cours du mois de juillet est un élément assez contrariant : cela nous interdit d'organiser le débat public que nous aurions aimé avoir dans notre pays. Nous apprécierions que ce texte soit au moins soumis à un vote solennel, afin que toutes les voix puissent s'exprimer à l'Assemblée, malgré les absences prévisibles en cette période.
Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue qu'il s'agit d'une lointaine queue de comète d'une autre vision du monde, celle qui se construisait dans les années 1990 lorsque l'on a créé l'OMC : on pensait qu'une négociation mondiale générale aboutirait à un accord de même nature. Cela s'est traduit par un échec total, et on a donc commencé à adopter des accords régionaux qui, par contagion et par application de la clause de la nation la plus favorisée, visent à constituer une seule et unique zone économique de libre-échange au niveau mondial. C'est dans ce contexte que s'inscrit le CETA.
Nos collègues savent que nous aurons bientôt à connaître d'un certain nombre de développements. L'accord, tout récent, qui a été conclu entre les États-Unis et le Mexique va conduire à réimpliquer le Canada dans les discussions, alors qu'il s'était tenu à l'écart. Du fait de l'accord que nous examinons aujourd'hui, un « hub » va se constituer d'un bout à l'autre du continent américain et en Europe.
Autre mise en garde, il ne faut pas, lorsque l'on étudie l'impact sur l'économie française, considérer séparément ce texte. On doit regarder sa juxtaposition avec les autres accords.
S'agissant de la filière bovine, je pense notamment aux produits de haut niveau sur lesquels comptent ceux qui, comme nous, sont favorables à la sortie des protéines carnées. Il y aura, dans ce domaine, une compétition avec des produits venus à vil prix du Canada et qui auront été produits dans d'autres conditions d'exigence sanitaire que les nôtres.
Quand on additionne le CETA, le Mercosur et d'autres accords encore, cela représente dix ou quinze chocs simultanés pour la filière bovine. Elle pourrait peut-être résister à un choc ; deux représenteraient beaucoup pour elle ; à trois, elle ne peut pas résister. Le risque est donc grand que tout cela tourne fort mal.
J'ajoute que la logique suivie est celle des années 2000, et même du siècle précédent. Nous pensons, pour notre part, qu'il faut en finir avec le libre-échange, dont nous ne voyons pas ce qu'il apporte de particulièrement bon à la civilisation humaine. Nous sommes, au contraire, pour une relocalisation maximale de toutes les activités. Cela ne revient pas à pratiquer un repli, mais à se demander pourquoi déménager le monde quand cela ne sert à rien. Pourquoi faire venir de la viande, par exemple, quand on peut la produire soi-même ?
Le libre-échange pousse à la surproduction, notamment des produits les plus discutables. Ainsi, le Canada produit et utilise du gaz et du pétrole de schiste, et j'ai lu qu'ils avaient connu une progression considérable. On peut toujours dire que cela ne fait pas beaucoup par rapport au total de ce que consomme l'Europe, mais c'est quand même plus que ce que produisait jusque-là le Canada. C'est une conséquence directe de l'idée du libre-échange : toujours plus dans tous les domaines, on trouvera bien quelqu'un pour acheter. Dans ce cadre, aucune régulation n'est possible.
J'ajoute que la ratification revêt un caractère assez factice : de toute façon, l'accord s'applique d'ores et déjà. Alors, demandons-nous, chers collègues, pourquoi il vient devant nous. Figurez-vous que, depuis peu, les accords ne viennent plus devant les parlements nationaux ; ils passent seulement devant le Parlement européen. Cela pose particulièrement question quand ils comportent des clauses représentant un problème politique, ce qui est le cas des fameux tribunaux d'arbitrage. Vous vous rappelez qu'il y a eu une discussion immense sur le sujet, et qui est légitime, car la question est non seulement politique, mais aussi philosophique : est-ce que nous acceptons que les litiges soient jugés autrement que selon la loi du pays où le conflit surgit ? Telle est la question de fond. Autrement dit, quelle est la place de la souveraineté populaire – puisque la souveraineté nationale a la forme particulière de la souveraineté populaire ? L'Union européenne a d'abord rejeté les anciennes formes de tribunaux d'arbitrage, purement privés, pour en imaginer un qui soit permanent. Mais cela ne change rien au fond : ce sont non plus les lois locales qui s'appliquent, mais des arbitrages. Or l'arbitrage, ce n'est pas la loi. On peut comprendre que certains en soient partisans, mais tel n'est pas notre cas : nous sommes pour que les affaires soient jugées là où les problèmes se posent et selon la loi du pays concerné.
Qui plus est, les tribunaux d'arbitrage n'ont rien d'une plaisanterie. L'Allemagne a été condamnée à payer un milliard d'euros d'indemnités pour être sortie du nucléaire, le Canada et la Nouvelle-Zélande à payer autant aux cigarettiers. L'Italie a, elle aussi, été condamnée à la suite de l'action d'une entreprise pétrolière. Je m'en tiendrai à ces quelques exemples. Des accords bilatéraux entre l'Union européenne et le reste du monde, il y en a une liste longue comme le bras qui nous attend, avec autant de sujets de litige et d'extensions de la zone de libre-échange : l'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec la Tunisie, le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) avec les États-Unis, mais aussi les accords avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, le Chili, l'Indonésie. Bref, on ne doit pas juger pièce par pièce : il faut voir ce que cela va donner à la fin. C'est précisément pour cela que ceux qui ont imaginé l'OMC ont procédé à ce maillage de terrain.
Je terminerai en évoquant la question des garanties. Vous ne m'avez pas convaincu, rapporteur. Le Canada ne prévoit pas l'étiquetage des produits OGM. Comment comptez-vous donc contrôler ? Le Canada est le quatrième producteur mondial d'OGM, avec 13 millions d'hectares cultivés, mais aussi le premier pays à avoir autorisé la vente et la commercialisation d'un organisme vivant OGM : un saumon transgénique. Par ailleurs, les premiers litiges que le Canada met sur la table de l'organisme de coordination concernent le glyphosate et les OGM. Par conséquent, ses intentions sont parfaitement claires.
Voilà autant de raisons de rejeter cet accord. Je rappelle, pour conclure, que la présidente de notre commission a permis qu'une discussion ait lieu sur le protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur ; elle s'est tenue pas plus tard que la semaine dernière. Ce texte comporte des dispositions relatives aux OGM. Or le CETA ne les respecte pas. Par conséquent, le protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur est opposable aux conclusions du CETA et à tous les autres accords du même type.