Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation. Je suis honoré de participer à cette audition à un moment où l'actualité européenne est particulièrement dense, du fait de la dynamique créée par l'élection du Président de la République, de son engagement pour une Europe plus forte et de l'initiative qu'il a présentée mardi à la Sorbonne pour traduire cette ambition.
L'actualité européenne est ainsi marquée par un agenda européen très chargé pour les prochains mois, avec un nombre important de textes législatifs en négociation, qui répondent pour une bonne partie aux initiatives de la France et plus généralement aux leçons qui sont tirées des différentes crises traversées par l'Europe ces dernières années, dans un contexte où la situation économique s'améliore, où l'Union dispose de nouveaux outils pour réagir en cas de crise, qui restent eux-mêmes à compléter pour qu'ils assurent pleinement leur fonction de protection, mais où les défis restent considérables. Dans son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre dernier, M. Jean-Claude Juncker a également insisté sur l'importance de poursuivre des objectifs ambitieux pour répondre à ces défis.
L'actualité européenne s'inscrit par ailleurs dans un calendrier serré avec les prochaines élections européennes en 2019, qui constituent sur le plan institutionnel et politique une borne amenant à accélérer les négociations pour boucler les dossiers engagés dans cette législature, et à préparer les débats en vue du prochain mandat, jusqu'en 2024, dont le Président de la République souhaite qu'il soit un mandat de transformation de l'Europe.
Enfin, il faut garder à l'esprit l'actualité politique dans plusieurs États membres et sa relation éventuelle avec la poursuite des réformes européennes, en particulier les négociations en cours pour constituer un gouvernement de coalition en Allemagne, la situation en Espagne avec la Catalogne ou les scrutins à venir comme en Autriche et plus tard en Italie. De manière bien sûr différente, l'examen des situations politiques nationales amène, vous le savez et le Président de la République s'est exprimé à ce sujet, à la vigilance quant au respect de l'État de droit dans certains États d'Europe centrale ou orientale. Je mets à part la question du Royaume-Uni, qui connaît des débats politiques internes difficiles quant au sens à donner à son retrait de l'Union européenne, ce qui se reflète en partie dans les négociations en cours avec la Commission européenne.
Madame la Présidente, comme vous m'y avez invité, je voudrais maintenant vous présenter en quelques mots les missions du Secrétariat général aux affaires européennes. Le SGAE est un organe placé sous l'autorité du Premier ministre qui a pour mission centrale d'assurer l'unité et la cohérence des positions françaises au sein de l'Union européenne. Ses missions se sont étoffées au fil du temps avec l'extension des compétences de l'Union et la plus grande technicité des dossiers traités.
Par la coordination interministérielle, le SGAE prépare, avec l'ensemble des administrations concernées, les positions qui sont portées par la France, avec pour exigence que nos intérêts et nos propositions soient présentés de la manière la plus efficace, la plus cohérente et la plus claire, pour chaque négociation, à chaque étape et dans chaque enceinte. Il sollicite l'arbitrage du Premier ministre ou de son Cabinet chaque fois que c'est nécessaire.
Le SGAE organise ainsi les relations de la France avec les Institutions européennes, élabore les instructions transmises à notre Représentation permanente à Bruxelles, contribue au dossier transmis à la Présidence de la République pour les Conseils européens, prépare les positions pour la défense de nos intérêts dans toutes les procédures de précontentieux et de contentieux, avec la Direction juridique du MEAE, et enfin instruit les plaintes individuelles de nos concitoyens selon une procédure dite Solvit.
Le SGAE assure également, avec le SGG, le suivi des transpositions des directives européennes, ce qui suppose que les délais soient respectés et la qualité des textes garantie.
Enfin, le SGAE veille à la coordination de notre stratégie d'influence dans les Institutions, c'est-à-dire notamment le bon placement de nos compatriotes dans les postes stratégiques, l'envoi d'END et bien sûr l'usage de la langue française, et développe des relations avec un grand nombre d'acteurs intéressés par les affaires européennes
Dans le cadre de ses missions, le SGAE est à la disposition de l'Assemblée nationale, comme du Sénat, pour assurer avec le SGG la transmission des documents, rendre compte du suivi des résolutions européennes et bien sûr répondre à toute demande d'information ou d'audition.
Comme je l'ai indiqué, l'agenda européen est particulièrement dense. Le Président de la République en a fixé le cap avec le discours de la Sorbonne et le Gouvernement est mobilisé pour porter nos priorités. Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes chargée des affaires européennes, vous les a présentées.
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous connaissez l'initiative européenne présentée à la Sorbonne. Elle propose une ambition, des initiatives concrètes, un horizon de temps et une méthode :
- l'ambition, c'est une Europe qui se transforme pour être souveraine, démocratique et unie, pour protéger et donner un avenir, assurer une capacité d'action dans le monde et défendre nos valeurs et nos intérêts face aux grands défis ;
- les initiatives visent à atteindre cette souveraineté, selon 6 clefs proposées par le Président - la défense, la sécurité et la maîtrise de nos frontières dans la préservation de nos valeurs ; le partenariat avec la Méditerranée et l'Afrique ; la transition écologique et le développement durable ; la révolution numérique ; et enfin la puissance monétaire, économique et industrielle.
Ces initiatives visent également à renforcer l'unité de l'Europe par la solidarité et la culture, avec un socle commun constitué des valeurs européennes que sont la démocratie et l'État de droit d'une part, le Marché intérieur comme meilleure garantie de notre puissance économique d'autre part ; tout en permettant à ceux qui en ont la volonté d'avancer, sans exclusive a priori, mais sans être bloqués par d'autres non plus.
Et enfin, elles se fixent pour objectif de répondre à l'exigence démocratique, dont vous connaissez mieux que personne l'importance. Ces initiatives proposent des objectifs, mais ne définissent pas des instruments ou des moyens. Ils devront en découler dans un second temps et pourront prendre diverses formes : des législations à 27, des coopérations renforcées, des cadres spécifiques. La possibilité d'avancer à l'Allemagne sera bien sûr décisive.
- l'horizon est 2024, c'est-à-dire la fin de la prochaine législature européenne, pour réaliser cette transformation profonde, et un jalon en 2019 avec un débat politique qui détermine donc le mandat pour les 5 années qui suivent ;
- enfin, la méthode proposée par le Président se fonde sur : un processus de discussion entre les États membres volontaires, formant un « groupe de la refondation européenne » qui associera les Institutions européennes - le Président en parlera dès ce soir à la Chancelière et aux autres Chefs d'État et de gouvernement à Tallinn - ; un processus ouvert et à l'écoute des Européens : c'est l'objet des conventions démocratiques qui devront se tenir au 1er semestre 2018 ; enfin, une feuille de route qui sera l'aboutissement de ce processus à l'été 2018 et permettra d'engager le débat des élections européennes.
Je me concentrerai sur les échéances prioritaires prévues pour les prochains mois, jusqu'à la fin 2018 pour la plupart, qui combinent : un agenda législatif correspondant dans une large mesure à des orientations portées ou soutenues par la France, de nouvelles initiatives pour en amplifier ou en relever le niveau d'ambition et, de manière transversale, deux grandes négociations qui sont inscrites dans ce calendrier - le retrait du Royaume-Uni et la préparation du futur Cadre pluriannuel financier qui fixera les moyens d'intervention budgétaire de l'Union après 2020. S'y ajoute naturellement l'enjeu central du renforcement de la zone euro.
Il y a tout d'abord les enjeux de sécurité, qui ont pris une place importante dans l'agenda européen en raison de la permanence de la menace terroriste, de l'instabilité de certains pays du voisinage de l'Europe et du désengagement américain.
Cela concerne en premier lieu la défense. Le Conseil européen de juin 2017 a posé des bases avec d'une part la coopération structurée permanente qui doit rassembler les États membres prêts à s'engager pour réaliser les missions les plus exigeantes et les investissements les plus importants. À l'initiative de la France et de l'Allemagne, nous sommes actuellement dans la phase d'établissement d'une liste commune de critères et d'engagements contraignants, qui devrait être présentée en octobre afin que le lancement de la CSP puisse aboutir dans les semaines qui suivent.
D'autre part, et les travaux doivent avancer parallèlement, le principe a été acté de la mise en place d'un fonds européen de défense qui vise à mutualiser des moyens pour développer des projets en matière de recherche, de développement industriel et pour l'acquisition par les États membres qui le souhaitent de capacités militaires. Une action préparatoire a déjà été engagée s'agissant de la recherche. Un programme complet sera lancé après 2020, qui devrait être doté de 500 millions d'euros par an. Le travail est en cours sur le volet industriel et les premiers projets devront être lancés en 2019. Ce programme a également vocation à être amplifié après 2020, sans doute à hauteur de 1 Md€ par an.
Le Président de la République a proposé d'aller plus loin avec une initiative européenne d'intervention visant à développer une culture stratégique partagée. Cette initiative consiste à accueillir dans les armées qui le souhaitent - la France ouvrira ses armées dans ce cadre - des militaires venant d'autres pays européens pour participer, le plus en amont possible, à nos travaux d'anticipation, de renseignement, de planification et de soutien aux opérations. Elle formera le coeur de la contribution française à la coopération structurée permanente.
La sécurité, en deuxième lieu, c'est bien sûr aussi la sécurité intérieure de l'espace Schengen. Afin de donner à l'Europe des moyens de lutter contre le terrorisme, des avancées importantes ont été réalisées au cours des dernières années : lutte contre le financement du terrorisme ; contre le trafic des armes à feu ; adoption du PNR qui doit maintenant être effectivement mis en place ; contrôles systématiques aux frontières ; travail sur les communications cryptées et le retrait des contenus haineux sur Internet.
Un important chantier est engagé sur l'interopérabilité des bases de données, ainsi que sur l'adoption d'ici fin 2018 de trois instruments importants en matière de contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, qui devront être opérationnels d'ici 2020 : le système entrées-sorties (SES), pour permettre à terme l'enregistrement de toutes les personnes entrant et sortant du territoire de l'Union, la création d'un système européen d'information et d'autorisation de voyage (ETIAS) et l'amélioration du système d'information Schengen afin notamment d'élargir les signalements (SIS II). La mise en place de ces dispositifs, qui est techniquement complexe, suppose naturellement que soit chaque fois assuré l'équilibre nécessaire entre la préservation des libertés individuelles et les enjeux de sécurité publique.
Enfin, la Commission vient de présenter une révision du Code frontières Schengen permettant de maintenir plus longtemps des contrôles internes proportionnés à la menace en fonction de l'analyse du risque, ce qui fournira une base juridique plus robuste qu'actuellement.
Là encore, le Président de la République propose d'aller au-delà avec deux initiatives : la mise en place d'une Académie européenne du renseignement visant à renforcer les échanges entre les services nationaux, et une extension des compétences du parquet européen à la lutte contre le terrorisme.
Le troisième volet concerne l'asile et l'immigration, dans un espace dont les frontières externes sont protégées et qui permette à l'Europe d'accueillir les réfugiés qui fuient les persécutions et les conflits, mais aussi de raccompagner les personnes qui chercheraient à rejoindre l'Europe par des voies irrégulières. Des avancées ont été réalisées. Un corps de garde-frontières et de garde-côtes a été créé qui se met en place. Le Président de la République a proposé à cet égard la création d'une police européenne des frontières.
Nous travaillons donc à la mise en place d'instruments qui permettent à la fois à l'Europe de s'organiser pour l'asile et les retours et de renforcer ses moyens de coopération avec les pays de transit et d'origine. La Commission a ainsi présenté mercredi des propositions visant à accélérer les retours, avec un soutien financier de 500 millions d'euros. Il s'agit d'une évolution très forte de l'Europe qui a pris en compte ce qui s'est passé en 2015 et en 2016.
S'agissant de l'asile, la Commission a proposé six textes législatifs pour réformer le régime commun. Des avancées ont été obtenues sur certains d'entre eux, par exemple le fichier Eurodac ou le renforcement du bureau de l'asile (EASO) pour qu'il devienne une agence soutenant les États membres exposés. Le Président de la République a proposé un mandat plus ambitieux encore en proposant que l'Office européen puisse accélérer et harmoniser les procédures.
Un travail politique reste toutefois nécessaire sur le règlement dit de Dublin, dont la négociation est aujourd'hui bloquée par le débat politique sur la manière d'assurer, en cas d'afflux exceptionnel, l'équilibre entre l'exercice des responsabilités par l'État d'accueil et la solidarité européenne, qui doit s'exercer dès lors que sa frontière est aussi la frontière de l'Union européenne. Certains États membres continuent de refuser d'accueillir une part des réfugiés si l'État en première ligne est débordé. Nous travaillons pour identifier des solutions concrètes afin que ce principe de solidarité s'applique.
Au-delà de cet enjeu sensible, la réforme du régime d'asile est nécessaire pour rendre plus efficaces les procédures d'asile entre États membres, plus rapides les délais d'instruction afin de lutter contre les mouvements secondaires, dans le sens des orientations décidées par le Gouvernement s'agissant de la France.
Enfin, cet effort de renforcement et d'accélération de nos procédures au sein de l'Union européenne est complémentaire de notre engagement avec les pays d'origine et de transit. La mise en oeuvre de la déclaration convenue avec la Turquie a permis, dans le respect du droit international et européen, de réduire drastiquement les arrivées provenant de ce pays - même s'il convient de rester vigilants, par exemple à la frontière bulgare - tout en apportant un soutien conséquent aux réfugiés syriens installés en Turquie. Vous connaissez les autres initiatives portées par la France, notamment avec la Libye (soutien aux communautés locales, à l'amélioration des conditions de vie des migrants et aux efforts déployés par la Libye en matière de sécurité et de gestion des frontières). Un programme de réinstallation a également été mis en place. La Commission a proposé de se fixer l'objectif de 50 000 réinstallations supplémentaires d'ici à 2019 pour les personnes les plus vulnérables, notamment en provenance du Niger ou du Tchad.
D'une manière générale, l'Afrique et la Méditerranée doivent constituer des priorités de la politique étrangère européenne. Plusieurs instruments financiers ont récemment été mis en place : un plan d'investissement externe pouvant lever jusqu'à 44 milliards d'euros de projets et un fonds fiduciaire, le fonds de La Valette, doté de 2,7 milliards d'euros, permettant d'agir la fois dans le domaine du développement économique, de la sécurité et des retours. Nous devrons préparer dans les prochains mois la révision des grands instruments de l'Union européenne, en particulier le Fonds européen de Développement et l'Accord de Cotonou. Le Président de la République a souhaité que cette nouvelle ambition pour l'Afrique fasse pleinement partie de l'avenir de l'Europe.
L'objectif d'une Europe qui protège s'étend au-delà et amène à agir contre les pratiques déloyales, les abus ou les contournements dans trois domaines prioritaires : le détachement des travailleurs, le commerce, la fiscalité.
Vous connaissez les pratiques qui se sont développées en matière de détachement des travailleurs, qui en détournent l'esprit et créent des difficultés sérieuses. C'est pourquoi la France a demandé à rehausser le niveau d'ambition des travaux sur la révision de la directive, en y ajoutant également des dispositions utiles des règlements portant sur les systèmes de sécurité sociale.
Nous avons, avec l'Allemagne et quatre autres États membres, proposé plusieurs amendements qui visent ainsi à limiter la durée des détachements, à garantir que le principe « à travail égal salaire égal » s'applique, à lutter contre les sociétés boîte aux lettres et enfin à mettre en place une coopération efficace entre les États membres. L'objectif de la France est d'obtenir un accord au Conseil des ministres des Affaires sociales (EPSCO) le 23 octobre à condition que ce niveau d'ambition puisse être atteint Ce travail est en cours et mobilise les autorités françaises. Si certaines avancées ont été obtenues à Bruxelles, le résultat n'est à ce jour pas encore acquis.
Le Président de la République, comme le Président de la Commission, a souhaité aller plus loin en établissant une Autorité européenne chargée de s'assurer du respect des règles du travail. Il a également proposé la création d'un Fonds de solidarité qui permettrait d'égaliser le niveau des cotisations sociales sans léser les pays d'origine des travailleurs détachés.
Le règlement de cette question sensible s'inscrit dans une ambition plus large qui traduit la volonté pour la France de retrouver l'esprit du marché unique, qui doit être un espace de libre circulation, mais qui ne peut pas amener à un moins-disant.
C'est le sens de l'initiative sur le socle européen des droits sociaux, qui dénote le retour, même si cela reste à vérifier, d'un agenda social au niveau européen. Ce socle devrait être endossé par une déclaration lors d'un Sommet à Göteborg le 17 novembre prochain et reposer sur trois piliers : égalité des chances et accès au marché du travail ; conditions de travail équitables et protectioninclusion sociale.
Au-delà du socle, le Président de la République a porté un objectif de convergence sociale, qui devrait être une condition d'accès aux fonds européens à l'avenir.
Deuxième volet, dans le même esprit, il sera nécessaire de s'assurer que les systèmes fiscaux sont justes et équitables. C'est ce qui a amené l'Union européenne à ouvrir plusieurs chantiers dans le domaine de la lutte contre l'évasion fiscale, avec la levée du secret bancaire et les échanges automatiques d'informations, une liste européenne des juridictions non-coopératives ou la publication des informations fiscales pays par pays.
Cet enjeu concerne également le domaine du numérique et le Sommet de Tallinn traitera le 29 septembre de la taxation des grands acteurs dans ce secteur, qui a fait l'objet d'une initiative de la France, avec l'Allemagne et d'autres partenaires. La Commission s'est saisie de cette idée dans une communication le 21 septembre. Il s'agira, après le Sommet, d'aller le plus vite possible.
De manière comparable à la convergence sociale, le Président de la République a proposé de mettre en place un principe de convergence fiscale au sein du marché unique, avec une fourchette de taux qui conditionnerait l'accès aux fonds européens. La mise en place d'une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés est un processus déjà en cours.
L'enjeu est également celui de la sécurité sanitaire. Des substances peuvent créer un doute. C'est actuellement le cas des perturbateurs endocriniens ou du glyphosate. La France présente dans ce contexte deux propositions : une refonte de l'évaluation scientifique européenne et une force commune de contrôle pour lutter contre les fraudes.
Enfin, troisième volet : le commerce international. La capacité à agir dans ce domaine est une force de l'Union européenne, mais elle doit l'amener aujourd'hui à renforcer ses instruments pour ne pas être naïve face à des acteurs qui ne respectent pas les mêmes règles. il convient donc de mettre en place des conditions de commerce équitable. La France s'efforce de faire aboutir avec le Parlement européen des textes importants, qui permettront à l'Union européenne de mobiliser des instruments de défense commerciale, des instruments anti-dumping, plus robustes en cas de pratiques déloyales provenant de compétiteurs internationaux. La Commission vient par ailleurs de proposer, à la demande de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, une initiative qui vise à surveiller au niveau européen les investissements stratégiques étrangers. L'objectif est d'en assurer un meilleur contrôle au regard de leurs objectifs, en se fondant sur les instruments nationaux dont les États membres, à l'instar de la France, se sont dotés et sans bien sûr que cela affecte l'attractivité de leurs territoires pour les investisseurs.
De manière générale, l'Union européenne doit tirer les conséquences du débat qu'a suscité l'accord entre l'Union européenne et le Canada. Elle doit faire valoir une exigence environnementale, sociale et sanitaire, obtenir la réciprocité et faire preuve de transparence. Le Président de la République a dans ce contexte évoqué l'idée d'un « procureur commercial européen » chargé de vérifier le respect des règles par nos concurrents et de sanctionner les pratiques déloyales. Les parlements nationaux pour leur part devront assurément être associés au suivi du processus de négociation de manière plus structurée. Le Gouvernement prépare des propositions pour définir cette nouvelle stratégie commerciale au moment où d'autres négociations internationales pourraient s'engager.
Enfin, au-delà de la protection, l'enjeu pour l'Europe est aussi de préparer l'avenir, selon deux grandes priorités en particulier : la transition écologique et le numérique.
En matière de transition écologique et de développement durable, la responsabilité de la France est particulièrement engagée à la suite de l'Accord de Paris. Plusieurs textes sont en cours de négociation pour traduire dans le droit européen les engagements pris par l'Union européenne pour la réduction des gaz à effets de serre, avec des acronymes comme ETS, hors ETS ou ESR, LULUCF. Nous nous efforçons d'accélérer les travaux, que ce soit pour les installations énergétiques et industrielles, les transports, l'agriculture et les bâtiments, ou encore l'enjeu spécifique de la contribution des sols et des forêts. En parallèle, l'Union européenne travaille sur la refonte du marché européen de l'énergie, qui fait l'objet de huit propositions législatives. La France veille à des objectifs ambitieux pour la partie des énergies renouvelables, l'amélioration de l'efficacité énergétique ou la modernisation du marché de l'électricité, en évitant que certaines erreurs qui ont pu être constatées dans le passé ne se reproduisent.
En matière de transition numérique, le chantier est vaste et sera l'objet du Sommet de Tallinn. Pas moins de 23 législations sont sur la table et traitent un grand nombre de sujets, des infrastructures aux services en passant par le financement, l'innovation, la cybersécurité ou la protection des données personnelles. L'Europe doit impérativement prendre le leadership parce qu'elle a un modèle particulier qui permet, si elle s'organise en conséquence, l'innovation et l'émergence de champions tout en protégeant les données personnelles, en assurant la sécurité et en défendant les droits d'auteur et la production de contenus européens. Il faudra ainsi transposer le règlement général sur la protection des données et avancer sur la régulation des plateformes. L'enjeu est fondamental à divers égards.
Sur tous ces sujets, le Plan d'investissement (dit « Plan Juncker ») fonctionne bien. La France en est d'ailleurs le premier bénéficiaire. Il y avait des doutes initialement sur la capacité du Fonds à atteindre 315 milliards d'euros de projets en 3 ans. Dans la réalité, les délais sont jusqu'à présent tenus, les projets sont en général de qualité et la Banque européenne d'investissement en a tiré parti pour adapter ses priorités. La négociation avec le Parlement européen est en voie de conclusion pour porter le fonds à un objectif de 500 milliards d'euros d'ici 2020.
Le Président de la République a également proposé la création d'une agence européenne pour l'innovation, ainsi que la mise en place d'universités européennes (objectif de 20 d'ici à 2024), mettant en place un parcours européen et des diplômes européens. Il s'agit aussi de renforcer les compétences linguistiques avec l'objectif que chaque jeune parle deux langues d'ici à 2024 et d'engager les lycéens dans un dispositif d'échanges européens.
Je termine par trois enjeux particulièrement importants, quoique de nature différente : le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le Cadre financier pluriannuel et le renforcement de la zone euro.
Le Royaume-Uni doit quitter l'Union européenne en mars 2019 en vertu de l'article 50 du Traité, qui définit la manière dont doit s'organiser le retrait d'un État membre. Il s'agit d'une négociation inédite puisqu'aucun État membre n'est sorti jusqu'à présent et qu'elle concerne un pays majeur dans l'Union européenne. La France y est très attentive, car cette sortie ne doit ni léser les citoyens, les entreprises ou les États en Europe, ni affecter la marche de l'Union européenne à 27. Nous avons défini une méthode, avec une négociation menée par M. Michel Barnier, en relation étroite avec les 27 États membres et selon le mandat confié par le Conseil européen et le Conseil. Elle débute par une première phase concentrée sur les enjeux liés à la séparation elle-même, qui sera suivie par une deuxième phase consacrée à la définition du cadre des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, avec le cas échéant une période de transition de durée limitée après la sortie.
Nous sommes encore dans la première phase, qui est complexe. Le dernier discours de Mme Theresa May la semaine dernière à Florence comporte un certain nombre d'avancées, mais les progrès ne sont pas à ce stade suffisants pour passer à la seconde phase. Au-delà des conditions de la séparation, en cours de négociation, les enjeux liés aux relations futures sont considérables. Il s'agit d'organiser un partenariat commercial avec un pays très important doté d'une économie profonde, aujourd'hui intégrée dans le marché intérieur et avec lequel chaque divergence réglementaire peut créer une distorsion de concurrence, un avantage comparatif significatif. Nous devons donc définir le cadre et les instruments nécessaires afin que les échanges soient équitables et que d'autres coopérations puissent être établies avec le Royaume-Uni une fois sorti.
En France, le SGAE anime un groupe de travail interministériel rassemblant l'ensemble des administrations concernées afin d'assurer, dans l'ensemble et secteur par secteur, que nous sommes préparés à la fois pour la sortie du Royaume-Uni et pour les relations futures de l'Union européenne avec ce pays.
Une deuxième négociation transversale débutera l'année prochaine : elle préparera le prochain Cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, pour la période qui s'ouvrira après 2020. Cette négociation détermine tous les 7 ans les plafonds de dépenses et les ressources qui y sont affectées. Elle mobilise fortement les gouvernements, pour deux raisons principalement : l'enjeu budgétaire est très important, à hauteur de plus 1 000 milliards d'euros ; l'enjeu pour chaque politique commune l'est également, puisqu'il s'agit de les réviser, de les réformer le cas échéant et d'en fixer leurs moyens.
Il faudra compter cette fois avec la contrainte supplémentaire créée par la sortie du Royaume-Uni, qui est aujourd'hui contributeur net au budget européen à hauteur de plusieurs milliards d'euros par an. Du côté des dépenses, il conviendra de tenir compte des priorités nouvelles de l'Union européenne dont certaines devront se traduire dans le budget européen, en matière de recherche, d'innovation et d'enseignement supérieur, d'investissement dans les infrastructures, la modernisation numérique ou la transition écologique, ou encore de sécurité et de défense, de protection de frontières et d'action extérieure. Cette équation supposera donc un important travail de préparation.
Deux politiques communes forment aujourd'hui le coeur du budget européen, la politique agricole commune et la politique de cohésion, qui devront être redéfinies et simplifiées dans leurs modalités. Le Président de la République a souhaité que la PAC fasse l'objet d'un renouvellement profond pour être plus utile aux agriculteurs français avec une meilleure capacité de résilience face aux crises et aux aléas et avec un accompagnement pour une transition vers une agriculture responsable, durable et qui assure la sécurité alimentaire. La politique de cohésion fera également l'objet d'un réexamen, afin d'assurer son adaptation aux besoins des régions dans le cadre européen et sa contribution à la convergence au sein du marché intérieur.
Enfin, autre particularité de cette négociation qui débutera formellement avec des propositions attendues de la Commission en mai 2018 : elle devra se dérouler dans un laps de temps plus court que d'habitude et compter avec l'échéance des élections européennes au printemps 2019.
Le troisième enjeu, fondamental, concerne le renforcement de la zone euro. Ce sera une priorité pour la France. Vous connaissez l'ambition fixée par le Président de la République, qui est de faire de la zone euro le coeur de la puissance économique de l'Europe dans le monde. La Commission européenne a indiqué qu'elle ferait des propositions sur ce sujet à la fin de l'année 2017. Ce renforcement devrait porter en particulier sur l'Union bancaire et l'harmonisation financière ; l'évolution des mécanismes de crise, à partir notamment du MES ; la coordination des politiques économiques, à laquelle la France apporte sa contribution ; la mise en place d'un budget de la zone euro, qui est un enjeu prioritaire, dont la France souhaite qui favorise la convergence, l'investissement et la stabilisation face à des chocs économiques ; enfin les évolutions institutionnelles qui devront accompagner cet approfondissement, avec la mise en place d'un ministre des finances commun et d'un contrôle parlementaire au niveau européen.