Au sujet des conséquences des résultats des élections en Allemagne sur les initiatives en faveur du budget de la zone euro, et notamment la position du Parti libéral-démocrate (FDP), il convient de respecter le dialogue qui va s'instaurer entre les partis politiques allemands dans l'objectif de parvenir à un contrat de coalition. Les enjeux européens seront certainement pris en compte par la Chancelière et ses partenaires politiques. Parmi ces partenaires, le FDP a une longue tradition européenne et les déclarations de ses responsables laissent tout à fait penser qu'il restera engagé en Europe. La position de l'Allemagne est connue sur des questions comme le respect des règles budgétaires ou l'hypothèse d'une mutualisation des dettes du passé mais, sans y contrevenir, elle a toujours su prendre ses responsabilités dans l'intérêt de l'Europe. Aussi pouvons-nous espérer que les forces politiques en présence seront attentives aux propositions du Président de la République concernant la zone euro et l'idée d'un budget, comme à la volonté de la France pour renforcer sa propre économie. Cette discussion politique pourra avoir lieu lorsque l'Allemagne sera prête.
S'agissant de la défense européenne, l'évolution politique est importante et se fonde sur la prise de conscience de défis communs, liés notamment à la présence de menaces qui peuvent s'adresser à l'Europe, aux incertitudes géopolitiques et à des lacunes des forces européennes. Ces lacunes peuvent être la conséquence d'investissements insuffisants dans un certain nombre d'États membres, mais les combler et atteindre une capacité d'action autonome suppose également des coopérations plus fortes et une organisation plus efficace, pour les opérations et missions, comme pour la base industrielle et technologique en Europe. Les étapes qui viennent d'être décidées, avec la coopération structurée permanente, la revue annuelle coordonnée en matière de défense (CARD) et le fonds européen de défense, fournissent des bases importantes. Il demeure néanmoins de profondes différences dans les cultures stratégiques, les doctrines d'intervention ou les travaux de planification. C'est le sens de l'Initiative européenne d'intervention proposée par le Président de la République, destinée à développer progressivement une culture stratégique partagée en ouvrant mutuellement les armées. Pour engager ce mouvement, il a proposé d'accueillir dans l'armée française des militaires venant de pays européens volontaires. Une fois sorti de l'Union européenne, le Royaume-Uni ne pourra plus participer à ses organes de décision. Ceci ne signifie pas que, dans le cadre des relations futures qui reste à définir, des coopérations ne pourront pas être mises en place avec le Royaume-Uni dans ce domaine, qui seraient dans l'intérêt de tous étant donné la place qu'il y tient. Les coopérations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni ont pour leur part vocation à être pleinement préservées.
Concernant la fiscalité du numérique, la France réunit, à l'heure actuelle, une dizaine d'États membres autour d'un projet de taxation de la valeur créée, permettant d'assurer une contribution équitable des grandes plateformes numériques pour chaque territoire. Dix, ce n'est bien évidemment pas vingt-sept. Or les décisions en matière fiscale sont prises à l'unanimité. Le travail de conviction doit donc se poursuivre pour parvenir à l'unanimité entre les États membres. Ce sujet sera porté par la France à Tallinn. Des résistances se sont exprimées dans certains États membres, qui sont prévisibles s'agissant d'un projet d'harmonisation fiscale en Europe, mais les avancées remarquables réalisées ces dernières années dans la lutte contre l'évasion fiscale montrent que la négociation peut permettre de rallier tous les États. À défaut, le Traité ouvre la possibilité de mettre en place une coopération renforcée entre les États membres volontaires dès lors que neuf au moins s'engagent. L'enjeu prioritaire sera de progresser sur ce sujet, comme d'ailleurs sur la proposition d'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, S'agissant de nouvelles recettes, qui pourront notamment abonder le budget de la zone euro, différentes pistes de réflexion seront examinées et présentées ultérieurement.
S'agissant de l'Union de l'énergie, la Commission a proposé huit textes, qui font partie des priorités de l'agenda européen et sont actuellement discutés au Conseil et au Parlement européen en vue d'aboutir avant les élections européennes de 2019. Certains portent sur l'efficacité énergétique, notamment avec un objectif général d'amélioration que la France souhaite ancrer à 30 % et des objectifs pour l'efficacité énergétique des bâtiments. Le Conseil étant parvenu à un accord sur ces deux textes, le débat va pouvoir s'engager avec le Parlement européen. La France fait partie des États membres les plus volontaires.
La Commission a également proposé un nouvel objectif pour la part des énergies renouvelables en 2030, qu'elle souhaite porter à 27 % au moins. Sur le fond, la France est là aussi ambitieuse puisqu'elle s'est donnée elle-même pour objectif d'y parvenir à hauteur de 32 % à cet horizon. La négociation à Bruxelles portera néanmoins aussi sur certaines dispositions techniques auxquelles nous serons attentifs, par exemple pour les marchés publics afin qu'ils soient les mieux adaptés aux besoins des territoires en fonction des équipements, ce qui peut s'avérer contradictoire avec un principe strict de neutralité technologique.
Enfin, la Commission proposer une réorganisation du marché de l'électricité. Il est vrai que le fonctionnement de ce marché n'a pas été satisfaisant au cours des dernières années et que des améliorations sont donc nécessaires. La France souscrit à cet objectif, tout en étant vigilante sur certains points qui seraient susceptibles d'affecter nos propres instruments, tels que les mécanismes de capacité. Ces mécanismes permettent d'intégrer de manière croissante et sûre les énergies renouvelables et nous souhaitons les voir préserver dans le cadre de la négociation.
La France sera particulièrement vigilante sur les trois points d'attention que vous avez mentionnés :
- le premier, le plus important, concerne la proposition de la Commission de supprimer les tarifs réglementés de vente de l'électricité. La France y est fermement opposée dans la négociation européenne. Les motifs qui ont été retenus dans le domaine du gaz ne sont pas réplicables à l'identique en matière d'électricité. Une remise en cause de ce dispositif, qui offre des tarifs garantis, sans empêcher nullement à des fournisseurs alternatifs d'exister, ne se justifie donc pas. La France s'oppose à cette proposition, mais la bataille risque d'être rude, car cette position n'est pas spontanément majoritaire en Europe.
- la pertinence de « centres régionaux » n'est pas contestée de manière générale. La France a cependant demandé des améliorations dans la présentation qui en a été faite par la Commission, afin notamment d'assurer la place des gestionnaires de réseau, RTE pour la France, et éviter de créer des risques en matière d'approvisionnement. Le texte a évolué et le dernier texte de compromis de la Présidence propose de transformer ces centres de conduite régionaux en « centres régionaux de sécurité », dont la mise en place serait proposée par les gestionnaires de réseau eux-mêmes. Ces amendements conviennent davantage à la France. Il convient néanmoins de demeurer vigilant.
- enfin, s'agissant de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), si la France soutient le bon fonctionnement de cette agence, elle considère qu'elle est d'autant plus utile qu'elle permet aux régulateurs de se rapprocher. Il faut donc s'assurer du dispositif de gouvernance de cette agence, vérifier qu'elle se consacre à ce qui est réellement utile en vue d'améliorer la coopération des régulateurs et veiller à ce qu'elle ne devienne pas un régulateur européen qui se développerait de manière autonome.
En réponse à Mme Le Grip, les propositions formulées par le Président de la République appellent différents types de mise en oeuvre. Certaines peuvent amener à la création de nouvelles structures, selon des formats et des moyens à examiner, comme l'Académie du renseignement ou l'Agence pour l'innovation de rupture. D'autres peuvent davantage se traduire par le développement ou une extension ambitieuse du mandat de dispositifs ou d'agences existants : à titre d'illustration, pour le Parquet européen, il s'agirait d'étendre ses compétences actuelles à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, ce qui supposera des évolutions significatives. En matière d'asile, le Bureau européen d'appui en matière d'asile, situé à La Valette, avait été spécifiquement créé pour faire face aux besoins de Malte dans un contexte d'afflux de réfugiés, très significatif pour ce pays mais de moindre ampleur que ce que l'Europe a connu en 2015 et 2016. Outre son renforcement et l'accroissement de ses moyens, la proposition consiste à confier à cette Agence, au-delà du soutien aux États membres les plus exposés, une fonction d'accélération et d'harmonisation des procédures.
Concernant les travailleurs détachés, le Président de la République a apporté son soutien à la proposition du Président de la Commission européenne d'établir une Autorité européenne chargée de faire respecter les règles du travail. Parmi les amendements qu'elle a présentés dans la négociation en cours sur les règles du détachement des travailleurs, la France avait déjà proposé de renforcer la plateforme existante sur le travail illégal, afin d'étendre et de renforcer son mandat à la coopération en matière de travail détaché. Il pourrait s'agir d'une première étape vers la mise en place de cette Autorité, une proposition de la Commission à cet égard étant attendue dès 2018.
La création d'une Agence européenne pour l'innovation de rupture constitue une avancée dont il n'est pas aujourd'hui certain qu'elle aboutira d'emblée dans un cadre communautaire. Il s'agit d'un objectif proposé par le Président de la République. Il faudra en discuter avec les partenaires intéressés, déterminer si des possibilités existent de la mettre en place à brève échéance dans ce cadre ou s'il sera préférable de procéder différemment, peut-être dans un premier temps.