La proposition de loi vise à réguler l'exploitation de réseaux 5G en les soumettant à une autorisation préalable du Premier ministre. Le groupe La France insoumise est favorable à un tel contrôle : il ne faut pas laisser s'installer sans les contrôler des technologies qui auront de telles conséquences sur la société. Je me réjouis de cette entorse au principe de concurrence libre et non faussée. En effet, les risques de cyberespionnage sont grands, d'autant que des technologies corollaires à la 5G vont se développer du fait des usages des objets connectés.
Il faut toutefois aborder le texte sans naïveté : il n'est pas question de laisser penser que la France s'alignerait sur la position agressive de Donald Trump vis-à-vis de la Chine, et notamment de l'opérateur Huawei. Les risques d'espionnage par la Chine sont réels, mais je rappelle que les États-Unis ont déjà – c'est un fait parfaitement avéré – espionné massivement nos concitoyens, et même nos ambassades, nos gouvernements, et au moins trois de nos chefs d'État. Nous devons nous prémunir contre le cyberespionnage d'où qu'il vienne.
Il faut néanmoins redire pourquoi nous en sommes arrivés à dépendre de technologies étrangères pour le développement des nouveaux outils : parce que nous avons laissé le géant Alcatel se faire dépecer, par pure idéologie libérale, de sorte que nous n'avons plus d'entreprise française capable de construire ces technologies. C'est une faillite coupable pour notre souveraineté et notre capacité à décider et à maîtriser les outils.
Depuis le rachat d'Alcatel par Nokia, plus de 1 200 postes y ont été supprimés. En janvier 2019, un troisième plan de suppression d'emplois a été annoncé. Comme pour Alstom, les engagements pris lors de la vente n'ont pas été respectés, alors même que l'entreprise touche chaque année 75 millions d'euros d'argent public en crédit d'impôt recherche.
Mais le texte oublie aussi d'autres enjeux essentiels s'agissant de la technologie 5G. La question soulevée par ces réseaux ne peut se réduire à des enjeux technologiques de couverture du territoire en réseau internet. Certes, le problème de la fracture numérique doit être réglé ; mais ce n'est pas l'instauration d'un nouveau réseau ultrarapide qui permettra de désenclaver celles et ceux qui n'ont déjà pas accès à des outils internet trop complexes, trop chers et inaccessibles dans les zones oubliées.
En outre, la résolution de la fracture numérique ne doit pas servir de prétexte au recul du service public, lequel serait dématérialisé, sans guichet ni interlocuteur physique, renvoyant l'usager à un obscur site internet où les cas particuliers ne peuvent pas être traités.
Le texte n'aborde pas non plus la question écologique. Mme Pannier-Runacher a ainsi résumé dans Les Échos, le 15 juillet, l'objectif du Gouvernement : « In fine, c'est de la croissance en plus. » Une telle perspective est dangereuse, car elle n'est pas écologiquement soutenable.
Nous ne voulons pas du développement infini de gadgets aussi coûteux qu'inutiles, non recyclables, visant à tout connecter à tout. La fabrication de ces outils consomme des terres rares dont les conditions d'extraction sont souvent condamnables. Ils nécessitent beaucoup d'électricité pour fonctionner, qu'il s'agisse des objets dont les batteries doivent être en permanence rechargées, des serveurs ou des antennes. La planète tout entière sera exposée de façon accrue aux rayonnements de radiofréquences, sans que nous ayons de véritable recul sur les conséquences potentielles de la pollution électromagnétique sur le vivant.
L'accroissement net des échanges de données pose en outre un grave problème de protection des données personnelles et de protection de la vie privée. Combien se lanceront sans crainte ni paramétrage complexe dans l'utilisation de ces nouveaux outils, avant de se rendre compte qu'ils ont aussi servi à renseigner sur leurs habitudes, leurs goûts et leurs préférences de puissants intérêts privés, qui en tireront de juteux profits en vendant de la publicité ?
Enfin, la 5G contribuera au développement de l'addiction aux écrans. Ce mal moderne, censé nous relier, enferme en réalité chacun dans un monde numérique, le rendant incapable d'apprécier le monde extérieur réel. Nous nous orientons vers un modèle de société dans lequel le réfrigérateur fera lui-même la liste de courses, mais dans lequel nous serons bientôt incapables de réaliser nous-mêmes des tâches simples, que les ordinateurs et autres objets connectés feront à notre place : en cas de panne ou de baisse de capacité électrique, nous serons perdus.
Aussi le groupe La France insoumise votera-t-il en faveur d'un texte qui vise à contrôler l'installation de cette technologie. La proposition de loi, cependant, ne va manifestement pas assez loin en s'en tenant à une autorisation préalable. C'est tout notre modèle de société que nous devons repenser, sans quoi l'urgence écologique le repensera pour nous.