Je voudrais adresser en guise de propos liminaire un satisfecit quant à l'exécution de la loi de finances pour 2018 telle qu'adoptée par le Parlement. En effet, la gestion des dépenses de l'État a été conforme à la prévision initiale. Preuve en est, aucun décret d'avance n'a été nécessaire en cours d'année, là où les exercices précédents y avaient recouru. Ainsi, en 2018, les sous-budgétisations se sont limitées à 1,5 milliard d'euros contre près de trois fois plus en 2017, où elles s'élevaient à 4,4 milliards. Cela a été souligné, mais je tenais, m'exprimant au nom du groupe Libertés et territoires, à le rappeler. L'amélioration de la sincérité des lois de finances, le respect de l'enveloppe des dépenses dans le cadre des autorisations budgétaires est une marque de respect portée au travail parlementaire.
Par ailleurs, les annulations et ouvertures de crédits comptent parmi les moins nombreuses depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances. La Cour des comptes note à ce propos le faible niveau de réserves : le taux de mise en réserve est passé de 8 % en 2017 à 3 % en 2018.
Un autre signe encourageant de sincérité est à remarquer : les recettes de l'État sont conformes aux prévisions. Elles ont même été supérieures de 8,8 milliards d'euros à ce qui était prévu en loi de finances, et ce malgré les grèves de la SNCF et le mouvement dit des gilets jaunes. Il convient certes de nuancer le propos en imputant ces résultats meilleurs qu'attendus à la conjoncture internationale favorable, même si la croissance a connu une inflexion en France entre 2017 et 2018, plutôt qu'au résultat de l'action publique : en effet, malgré ces signaux positifs, plusieurs points faibles persistent hélas, notamment sur la question du déficit.
La loi de finances pour 2018 avait en effet prévu une forte hausse du déficit de l'État, à 85,7 milliards d'euros. En définitive, il s'établit à 76 milliards en 2018. Sur le papier cela semble positif mais ce constat mérite d'être tempéré, car le déficit de l'État continue bel et bien de s'accroître : il atteint 3 % du PIB en 2018, soit 8,3 milliards d'euros de plus qu'en 2017. On peut même alourdir la note en tenant compte des 2,8 milliards liés au rattachement erroné des droits de mutation entre 2017 et 2018. Au total, le déficit est supérieur de 12 % à ce qu'il était l'année précédente, ce qui ne peut être considéré, il faut en convenir, comme une bonne nouvelle, et c'est un euphémisme.
Je relève au surplus que l'effort en matière d'économies n'est pas particulièrement porté par l'État. Il est plutôt assumé par les comptes des administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. Ce sont donc ces dernières qui viennent compenser l'augmentation du déficit de l'État. J'insiste car cela n'est pas anodin : c'est au crédit des administrations de sécurité sociale et des collectivités qu'il faut avant tout porter la réduction du déficit public enregistrée en 2018.
Ce dernier s'élève à 59,6 milliards d'euros en 2018, soit 2,5 points de PIB, après 2,8 points en 2017. Je note que ce chiffre est inférieur de 0,2 point à celui prévu pour 2018 dans la loi de programmation. Mais arrêtons-nous sur un point bien précis.
Les règles européennes exigent de nous un effort de réduction du déficit structurel de 0,5 point du PIB, soit environ 12 milliards d'euros par an. Rappelons que le déficit structurel est un indicateur qui tire sa pertinence du fait qu'il n'est pas lié aux aléas de la conjoncture. Or cet effort est seulement de 0,1 point en 2018.
Je voudrais aller plus loin. En 2019, vos prévisions misent sur un effort structurel de 0,3 point de PIB, là encore loin de l'objectif européen. Nous n'atteignons même pas la dérogation selon laquelle l'objectif de diminution du déficit structurel de 0,5 point peut être exceptionnellement réalisé sur deux exercices. C'est un problème qui n'est pas négligeable.
Cette situation est tout d'abord le résultat des choix politiques inscrits dans la loi de finances pour 2018 : la transformation de l'ISF en IFI – impôt sur la fortune immobilière – , la création du prélèvement forfaitaire unique ou encore la prise en charge par l'État du dégrèvement de la taxe d'habitation. Vous tabliez sur une baisse des recettes fiscales de 13,5 milliards. Elle sera finalement de 5 milliards d'euros, notamment du fait du dynamisme de la fiscalité énergétique et de la TVA.
Il est un autre levier que l'exécutif n'actionne pas : il s'agit de la réduction de la dépense publique, comme le note d'ailleurs la Cour des comptes. C'est un problème difficile certes. Intéressons-nous plus spécifiquement aux dépenses fiscales. Ces dernières ont augmenté de 6,7 % pour s'établir à un peu plus de 100 milliards d'euros, soit une progression de 6,8 milliards. La Cour des comptes estime que les dispositifs de plafonnement des dépenses fiscales sont aujourd'hui inopérants. Il faut donc oeuvrer à une revue de l'ensemble des niches fiscales, problème que nous avons soulevé à maintes reprises car elles viennent « miter » l'impôt sur le revenu et obérer sa progressivité.
La Cour des comptes nous alerte également sur la nécessité de la transparence. Elle estime ainsi que, sur les soixante-dix-sept dépenses fiscales de la mission « Économie », vingt-sept ne sont pas évaluées, soit plus d'un tiers. Pour rappel, ces dépenses fiscales représentent un total de 28 milliards d'euros. Le contexte social actuel, symptomatique de l'exaspération fiscale de nos concitoyens, nous incite à plus de transparence et d'efficacité vis-à-vis d'eux. Cette piqûre de rappel de la Cour des comptes est nécessaire.
Permettez-moi, à ce stade de mon intervention, de m'attarder sur les conditions d'examen de ce projet de loi de règlement. Vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'État, les modifications apportées au calendrier doivent nous permettre de consacrer davantage de temps à l'examen de ce texte. Nous souhaitons qu'il devienne une véritable loi de résultats et un temps fort de l'évaluation et du contrôle parlementaires, ce qu'il n'a jamais été depuis l'adoption de la LOLF, malgré les ambitions affichées. Cependant, le resserrement du calendrier ne va pas sans poser quelques difficultés. Toutes les données nécessaires à l'évaluation ne nous sont pas parvenues à temps. Rappelons ainsi que le Haut Conseil des finances publiques a été conduit à formuler son avis avant que l'INSEE ne publie les résultats des comptes annuels de 2018. Ces données étaient pourtant nécessaires au calcul du solde structurel des administrations publiques. Gageons qu'à l'avenir les calendriers seront alignés pour faire de cette loi un outil aux résultats complets et tous à jour.
Je m'autoriserai une seconde remarque sur les conditions d'examen par le Parlement. Nous constatons en effet une complexité accrue du cadre budgétaire de L'État, aboutissant à un manque de lisibilité de plus en plus critique. La conséquence directe en est la limitation de notre capacité à appréhender d'un point de vue global les enjeux financiers associés à l'action de l'État. Reprenons l'exemple du contournement croissant du cadre budgétaire applicable aux dépenses de l'État, évoqué par mon collègue Charles de Courson en première lecture. Une part importante de l'action de l'État est en effet logée dans des fonds sans personnalité juridique qui ne figurent pas au budget de l'État, hormis leur abondement initial. Les dépenses effectuées sur ces fonds sont hors budget de l'État. Par conséquent, les moyens des fonds sans personnalité juridique échappent aux règles de gestion mises en place par la LOLF et de facto au contrôle du Parlement.
La création en 2018 du fonds pour l'innovation et l'industrie en est une illustration éclairante. Ce fonds a connu une célébrité récente. C'est lui qui devait accueillir une dotation non consommable de 10 milliards d'euros, issus de la vente des participations de l'État dans certaines entreprises, notamment Aéroports de Paris. Outre les critiques que nous avons formulées dans le cadre de la loi PACTE relative à la croissance et à la transformation des entreprises, ce montage a conduit à des opérations inutilement compliquées, comme l'a relevé la Cour des comptes. Dans son avis, elle a même préconisé la rebudgétisation de ce fonds. Ce type de mesures permettrait d'améliorer la qualité de notre travail parlementaire. Nous reprenons donc cette proposition à notre compte.
En attendant, au regard des éléments que j'ai rapidement exposés, les députés du groupe Libertés et territoires s'abstiendront très majoritairement sur ce texte.