« L'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus ». De ce qui était vrai du temps de Molière, le Sénat vient de nous donner un nouvel exemple. La semaine dernière, la chambre haute s'est réunie pour voter la loi de règlement. Le Sénat a adopté l'intégralité des articles, puis rejeté le texte en bloc. On doit saluer la cohérence de ces oppositions qui nous contraint aujourd'hui à nous réunir pour discuter ce texte en nouvelle lecture. Peut-être même les sénateurs s'imaginent-ils que cette manoeuvre passera pour un effet de la vertu aux yeux de l'opinion, vertu d'une opposition qui saurait se faire entendre quand les circonstances l'exigent.
Bien entendu, il n'en est rien. Cette décision est d'autant plus absurde que la nouvelle lecture n'ouvrira en aucun cas un nouveau débat sur le texte. L'adoption s'effectuera par un vote du texte conforme ; aucun amendement ne sera discuté à l'Assemblée ; et comme il s'agit de boucler des comptes, il est évident que les amendements déposés par le Sénat ne changeront rien aux choix budgétaires de l'an dernier. Puis, comme le veut la Constitution, le texte repassera devant les deux chambres et si le Sénat recommence ce petit jeu, l'Assemblée nationale tranchera en dernier ressort sans que le texte passe à nouveau devant la chambre haute.
Le comble, monsieur le secrétaire d'État, c'est que lors de la discussion au Sénat, Jérôme Bascher a décerné à Gérald Darmanin un Molière – encore lui ! Ne pourrions-nous pas retourner son compliment à ce Tartuffe pour cette belle mise en scène ?
Car enfin, cette loi de règlement n'est-elle pas exemplaire ?
Exemplaire d'abord car depuis deux ans, le déficit public est contenu en deçà de 3 % du PIB, ce qui n'était jamais arrivé depuis une décennie.
Exemplaire, ensuite, car elle introduit deux grandes avancées dans le pilotage budgétaire : la fin du recours aux décrets d'avance et la nette amélioration des prévisions. Les sous-budgétisations sont en recul, ce qui consacre un véritable effort de sincérité des comptes, salué par la Cour des comptes cette année.
Exemplaire aussi car elle témoigne d'un effort inédit consenti par les collectivités territoriales pour assainir leurs finances. Grâce à la contractualisation avec l'État, l'objectif de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités a été divisé par quatre. Les marges de manoeuvre ainsi libérées ont permis d'accroître les investissements.
Exemplaire enfin car, pour la première année de plein exercice budgétaire du Gouvernement et de la majorité, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, pourtant membre du groupe d'opposition Les Républicains, a tenu à saluer la sincérité du projet de loi de règlement.
Mais tous ces rappels sont inutiles car, en définitive, le vote du Sénat ne s'est pas fait sur le fond du texte : c'est une posture. Quand notre pays attend des réformes urgentes et salutaires, le Sénat choisit de nous faire perdre notre temps dans une procédure sans intérêt.
Ayant commencé avec Molière, je finirai en citant Péguy : « Il ne faut qu'un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. [… ] Il faut des mois et des mois, il a fallu du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu'un briquet pour flamber une moisson. » « Alors nous autres nous serons toujours les moins forts. Nous irons toujours moins vite, nous en ferons toujours moins. Nous sommes le parti de ceux qui construisent. Ils sont le parti de ceux qui démolissent. Nous sommes le parti de la charrue. Ils sont le parti du sabre. »
Bonnes vacances, mesdames et messieurs les sénateurs !