Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 18 juillet 2019 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Nous voilà à nouveau réunis après que le Sénat a rejeté, par 212 voix contre 98, le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de 2018. Pourquoi donc une telle opposition, alors que, selon vous, nous aurions entièrement matière à nous féliciter pour les résultats obtenus en 2018 ?

Vous vous targuez d'une baisse du déficit public de 0,3 % entre 2017 et 2018, d'une stabilisation de la dette publique, d'une responsabilisation des acteurs de la communauté budgétaire, d'une sous-exécution de la norme de dépenses pilotables à hauteur de 1,4 milliard d'euros contre le 0,6 milliard prévu dans la loi de finances rectificative, et enfin – une première depuis trente ans ! – de l'absence d'ouvertures et d'annulations de crédits par décret d'avance en 2018. Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Mais à y regarder de plus près, le paysage est évidemment moins idyllique. Les dépenses continuent de progresser, certes à un rythme ralenti. Plus grave, pour la première fois depuis 2014 et après trois ans de quasi-stabilité, le déficit budgétaire de l'État s'est accru, passant de 67,7 milliards d'euros en 2017 à 76 milliards en 2018, soit 23,4 % des dépenses nettes du budget général contre 21 % en 2017.

Tandis que les recettes étaient stables, les dépenses des ministères ont crû de 1,4 milliard d'euros, et vingt des vingt-neuf missions du budget général ont vu leur consommation de crédits progresser. J'en citerai un seul exemple, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer lors de la première lecture. L'exécution de la mission « Immigration, asile et intégration » a été une nouvelle fois marquée par la hausse des demandes d'asile en 2018, avec pour conséquence évidente une hausse de l'allocation pour demandeur d'asile. Les crédits de cette mission avaient été significativement renforcés dans la loi de finances initiale pour 2018, à raison de + 10,3 % en autorisations d'engagement et de + 25,8 % en crédits de paiement. Pourtant, cela ne suffit toujours pas !

Cela n'a rien d'étonnant, dans la mesure où vous fondez vos prévisions de dépenses sur des anticipations de demandes d'asile largement sous-évaluées. Selon les chiffres définitifs publiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – , plus de 123 000 personnes ont demandé l'asile en France en 2018, soit une hausse de 22,7 % par rapport à 2017. Or, selon la Cour des comptes, vous programmez les dépenses d'allocation pour demandeurs d'asile en vous appuyant sur des hypothèses « optimistes », selon ses mots, mais qui, au vu des données disponibles en la matière, semblent plutôt totalement insincères. Évidemment, et c'est toujours la Cour des comptes qui l'affirme, cette sous-estimation des hypothèses et cette augmentation constante des demandes d'asile produisent « un risque d'insoutenabilité budgétaire de la mission ».

D'ailleurs, votre programmation pour 2019 prévoit en la matière un dépassement du plafond de 201,7 millions d'euros à périmètre constant. Mais là encore, votre estimation repose sur une hypothèse de croissance des demandes d'asile nulle, alors que les derniers chiffres fournis par l'OFPRA révèlent que depuis le 1er janvier 2019, 41 000 demandes ont déjà été enregistrées, soit une hausse de l'ensemble des premières demandes de 6,2 % en quatre mois.

Des hypothèses totalement irréalistes, donc, et qui font largement douter de votre bonne foi !

En résumé, les recettes de la France ne suffisent pas à couvrir ses dépenses. Plus précisément, elles ne couvrent que neuf mois de dépenses de l'État. En outre, la divergence avec nos voisins se maintient : notre déficit public s'établit à 2,5 % du PIB en 2018, alors que le reste de la zone euro est à l'équilibre.

Pour ce qui est de la dette, ce n'est pas mieux : le ratio d'endettement français est pour la première fois supérieur à celui du reste de la zone euro, hors Allemagne.

Alors, comment faire ? J'attendais avec intérêt les conclusions du rapport d'application de la loi fiscale de Joël Giraud, et son étude des 472 niches fiscales. Le résultat est décevant. Alors que ces niches coûtent à nos finances publiques quelque 100 milliards d'euros par an, j'ai été frappée de voir notre collègue dénoncer l'opacité de l'exécutif en la matière, et même son incurie. Je ne peux que l'approuver. Comme l'explique le président du Cercle des fiscalistes, Philippe Bruneau, ce n'est pas un coup de rabot qui est nécessaire pour traiter la question des niches fiscales, mais bien un grand ménage, c'est-à-dire une évaluation de l'impact de chaque niche pour la collectivité. C'est la condition minimum pour déterminer si une niche est bonne pour la collectivité ou ne l'est pas, ajoute-t-il : il n'y a pas de demi-mesure. Encore faut-il le vouloir...

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